14H69 – L’école et ses enfants poètes…

J’ai eu le plaisir de rencontrer Milady sur un banc public au parc Josaphat. Son look, loin des représentations standards, m’a tout de suite intéressé. J’ai eu envie de l’interviewer pour TRACeS de ChanGements.

Anne : Tu travailles dans des écoles de la Communauté française, quelle est ta fonction ? Par qui es-tu mandatée ?

Milady : J’organise des ateliers d’écriture dans les écoles primaires, avec ou sans discrimination positive, ainsi que dans des classes-passerelles. Je travaille pour l’asbl ReMuA au sein d’un projet fondamentalement musical Choeurs à l’école. Un de mes objectifs est l’apprentissage ludique de la langue française dans ses représentations non académiques, plus spécifiquement l’écriture poétique créative prenant appui sur des démarches d’auteurs (connus ou moins).

Tous en considération

Le projet au sein de l’école s’étale sur une année scolaire et s’articule et se désarticule en plusieurs étapes. Un : initiation au chant par une chanteuse lyrique qui aide les élèves à placer leur voix, à s’écouter, à se trouver un espace sonore et physique au sein des autres. Deux : les ateliers d’écriture pour écrire une chanson. Dans mes ateliers, on peut dire les mots qu’on veut, je les prends tous en considération, il n’y a pas de mauvais mots et surtout, on joue avec des jeux aux enjeux littéraires qui vont, tacitement, des enseignements classiques (grammaire, orthographe, structure, narration) aux apports plus créatifs (puits de l’imaginaire, création poétique, néologismes…). Troisièmement : la mise en voix des chansons des enfants après une mise en musique par des musiciens confirmés de l’asbl. L’apogée du projet étant le concert en fin d’année qui offre un « résultat », une démonstration aux enfants, aux parents et aux enseignants de ce que peuvent faire les enfants quand ils sont accompagnés de a à z.

Tu as publié des nouvelles dans des revues et des recueils de poésie. Comment es-tu présentée et comment est décrit ton projet aux enseignants ?

C’est lors d’une réunion pédagogique que l’on définit le projet ainsi que son cadre, suite à des propositions de thématiques qui peuvent rencontrer celles des enseignants. On y présente l’accompagnateur, c’est-à-dire le titulaire de la classe. Je suis officiellement auteur (autrice ?) ET animatrice d’ateliers d’écriture et c’est ainsi que je suis présentée, spécifiant que je ne suis pas prof de français et que je n’enseigne pas « l’écriture ».

Comment as-tu été accueillie ? Quelles difficultés as-tu rencontrées étant donné la rigueur du cursus scolaire ?

Ce ne fut pas toujours aisé. Selon les écoles, leurs valeurs, leur direction, l’accompagnement des enseignants, le panel des réactions et des enthousiasmes varie fortement. Mais j’ai eu affaire, quelquefois, à de tristes anecdotes, qui ont marqué l’animatrice et la jeune maman que je suis. Je vais te donner un exemple. Lors d’un atelier sur le temps, où je collecte des mots offerts par les enfants autour du thème de la journée idéale (folle), J. lance : « 14H69 ». Rire général. J. sait qu’il n’a pas dit une « connerie », mais qu’il a fait une blague. Je le note au tableau, avec les autres propositions. L’institutrice intervient : « Je ne suis pas d’accord. 14h69, ça n’existe pas, ce n’est pas juste. Je viens justement de leur apprendre le temps, l’heure, ça ne marche pas ! »

Veritas ?

Nous nous lançons dans une discussion devant les enfants, chacune restant sur ses positions. J’ai l’impression d’être devenue sa rivale. De mon côté, je pense qu’elle confond rigueur et rigidité. Pourquoi est-il interdit de repenser l’expression du temps avec les enfants ? Ne pourrait-on pas plutôt ouvrir le débat en parlant des différentes manières de vivre le temps dans les différents pays ? N’était-ce pas une forme d’ostracisme monoculturel. Il semblait difficile à cette institutrice de quitter son cadre académique pour faire place à la poésie. Peut-être avait-elle peur ? Lui laisse-t-on assez d’indépendance dans son travail ? Mais face à sa peur, j’avais ma juste fureur !

Après ce stand-by, comment la situation a-t-elle évolué ?

Pour la fin d’année scolaire, un chansonnier officiel est préparé. Il englobe quelques pratiques au niveau musical, animation et petites consignes d’écriture ainsi que les chansons des élèves et les partitions. C’est un outil pour les enseignants et les animateurs et c’est une belle archive pour les enfants. Je me suis permis une petite incartade. Chaque classe a reçu ce chansonnier. J’ai pris chaque fois des photos des tableaux à la fin de chaque atelier. L’une de ces photos est une du tableau où j’ai écrit « 14h69 ». J’ai imprimé et photocopié la photo de leur chanson, la version « OFF ». J’ai eu des scrupules vis-à-vis de l’institutrice à laquelle je n’ai pas donné de copie de cette version. N’avais-je pas manqué de loyauté à l’égard de l’institution et de son cadre ?

Avec Milady, nous avons continué à bavarder autour d’une bonne bouteille de Saint-Emilion. Et in vino veritas, je lui ai dit que, pour moi, elle avait été fidèle à son projet et donc aux enfants. Les enfants ne doivent-ils pas être les premiers bénéficiaires de ses ateliers ? Une question reste : comment aurait pu se créer une alliance entre ses valeurs de poète et la logique d’apprentissage portée par l’institutrice ? Milady croit que les mots doivent être libres, accompagnés, que les permissions, les virages devraient permis et encouragés autant que les acquis culturels et pédagogiques, dans un cadre prêt à évoluer. Mais comment faire dans une école marquée par le formatage ?