Partant du principe qu’il n’est possible d’apprendre que dans une école pacifiée, l’enseignement explicite propose aussi une méthode de gestion explicite des comportements : le soutien au comportement positif[1]V. Kubiszewski, (2018). L’approche du « Soutien au Comportement Positif » : Description, apports théoriques et planification de l’étude de son déploiement (Rapport intermédiaire), … Continue reading (SCP).
Ici aussi, la méthode est strictement modélisée et d’appellation contrôlée : « Nous nous dissocions de toutes autres formes d’implantation et nous tenons à rappeler que nous n’autorisons personne à utiliser notre matériel sans notre autorisation ! Arrêtons d’improviser et soyons aussi sérieux en éducation qu’en médecine[2]Steve Bissonnette : bit.ly/3UiDcw4 ! »
Il s’agit en effet à chaque fois du même dispositif. Cela commence par l’obtention de l’adhésion de minimum 80 % du personnel sur la base d’une présentation de la méthode. Les rapports de force précédant cette adhésion ne sont pas pris en compte et le dispositif n’est pas négocié : c’est tout ou rien. La position de ceux qui oseraient s’y opposer risque donc d’être délicate.
Ensuite, une équipe de pilotage SCP, formée d’enseignants et de membres de la direction et encadrée par un formateur, va décider de six valeurs devant guider les comportements. Ces six valeurs seront présentées au suffrage des élèves, des enseignants et de tout le personnel de l’établissement pour en retenir trois. Ces trois valeurs seront ensuite travaillées en classe pour en faciliter la compréhension et l’appropriation et pour les traduire en comportements attendus, qui seront renforcés par des récompenses, et en comportements interdits, qui seront sanctionnés. Différents niveaux de gravité et de sanctions sont prévus. Tout cela sera enseigné explicitement aux élèves et les élèves seront invités à réaliser des affiches et même des fresques murales pour rappeler explicitement les comportements attendus et interdits décidés par l’équipe SCP.
« L’ordre scolaire et social est réputé juste et bon et tout est mis en œuvre pour le faire accepter au moins formellement. »
Ce sont souvent les mêmes valeurs qui reviennent : respect, coopération, équité, persévérance, responsabilité, autonomie, tolérance… Il n’y a aucune explicitation ou débat sur des contradictions possibles entre valeurs, ou entre valeurs entre elles ou entre valeurs affirmées et vécu implicite réel de l’école et de la société. Les valeurs choisies aboutissent souvent aux mêmes normes comportementales d’ailleurs présentes dans la plupart des règlements d’école. En voici quelques exemples[3]V. Kubiszewski, (2018). L’approche du « Soutien au Comportement Positif » : Description, apports théoriques et planification de l’étude de son déploiement (Rapport intermédiaire), … Continue reading :
Respect : « Je lève la main pour permettre le tour de parole[4]Voilà qui est paradoxal : si on fait un tour de parole, celui qui lève la main le gêne plus que le permettre ! », « Je me range deux par deux devant ma salle et attends calmement en chuchotant », « j’adopte une attitude polie », « je respecte l’enseignant, ses directives et ses consignes »…
Coopération : « Je montre mon carnet », « Je règle mes conflits positivement », « Je m’intéresse aux autres », « Je joue avec les autres dans la bonne entente », « J’accepte de pratiquer avec tous mes camarades »…
Ces valeurs et normes comportementales sont exigées pour les seuls élèves. Il n’est nullement question de réciprocité dans les rapports hiérarchiques. Une comptabilité rigoureuse des comportements observés pour chaque élève est tenue afin d’intervenir auprès des élèves répétant des comportements interdits. L’équipe SCP se réunit alors pour s’expliquer cette répétition et chercher comment y réagir.
Des théories diverses sont appelées pour justifier le dispositif comme les stades de développement moral de Kohlberg, mais le dispositif a été créé indépendamment de ces théories appelées par la suite pour justifier un dispositif qui nous semble strictement behavioriste. Tout ce qui n’est pas déclaré explicitement par les enseignants, comme des attitudes implicites d’approbation ou de désapprobation de comportements d’élèves ou des attentes implicites de soumission ou au contraire de remises en question, ou encore l’humour, l’ironie, les doubles sens, semble faire partie d’une boite noire apparemment jamais ouverte. De même, pour ce qui n’est pas observé objectivement chez les élèves comme l’humiliation rentrée, les sentiments de honte, l’incompréhension non déclarée, les rancœurs cachées et même une fausse politesse ironique.
Ce système est conçu comme un système « d’interventions préventives auprès des élèves à risque de manifester des difficultés comportementales[5]Steve Bissonnette : bit.ly/3UiDcw4 », un système de prévention du décrochage scolaire. Il s’adresse donc prioritairement à un public spécifique supposé à risque alors même que l’histoire particulière, personnelle et sociale des élèves ne semble pas prise en compte. Ce système ne tient pas compte non plus de l’abondante littérature scientifique à propos du décrochage et qui avance des facteurs explicatifs en contradiction avec les principes du soutien au comportement positif.
Ces interventions préventives supposent une relation positive, un environnement sécurisant, un encadrement constant, une classe bien organisée et des stratégies d’enseignement efficace. Par exemple, la bonne organisation de la classe : ce sont des places assignées aux élèves, un mobilier disposé pour que tous les élèves puissent voir l’enseignant et le tableau, un agenda journalier des activités affiché au tableau et coché au fur et à mesure, des routines renforcées pour les déplacements, la distribution du matériel… Beaucoup de choses avec lesquelles il serait difficile de ne pas être d’accord et qui semblent piquées de bon sens, et sans doute présentes dans beaucoup d’écoles sans recours à ce dispositif.
Nul doute que ce système SCP contribue à la pacification apparente de l’école et à de meilleurs résultats scolaires pour beaucoup d’élèves. Mais, à nouveau, l’ordre scolaire et social est réputé juste et bon et tout est mis en œuvre pour le faire accepter au moins formellement. Cet ordre s’exprime verticalement, de haut en bas, avec la mise en place d’une forme de participation qui s’apparente pour nous à de la manipulation. Nous sommes dans la meilleure école dans le meilleur des mondes.
À la question, quel sujet souhaitons-nous voir émerger dans quelle société, nos réponses éducatives diffèrent fondamentalement. Nous les présenterons dans la suite de ce texte.
Notes de bas de page
↑1, ↑3 | V. Kubiszewski, (2018). L’approche du « Soutien au Comportement Positif » : Description, apports théoriques et planification de l’étude de son déploiement (Rapport intermédiaire), Besançon, université Bourgogne Franche-Comté. |
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↑2, ↑5 | Steve Bissonnette : bit.ly/3UiDcw4 |
↑4 | Voilà qui est paradoxal : si on fait un tour de parole, celui qui lève la main le gêne plus que le permettre ! |