À bras le corps

Comment faire, en classe, un livre avec des artistes ?

09.1-2.jpg Après avoir consulté ses élèves en début d’année, Ekram, (institutrice de 4e année dans une école située dans une zone classée « en discrimination positive ») a décidé de travailler sur leurs multiples questions autour du corps telles que : « Comment les cheveux poussent-ils ? D’où viennent les grains de beauté ?, Pourquoi a-t-on des poils dans le corps ? Que se passe-t-il quand on arrête de respirer ?… »

Elle en a dressé la liste pour, ensuite, faire appel à différents « spécialistes » pour aider les enfants à y répondre : la dentiste, le médecin du centre de santé du quartier, une diététicienne ; chacun est venu quelques heures en classe.

Ensuite, deux artistes (une animatrice d’ateliers d’écriture et un dessinateur) sont intervenus pour interpréter ces réponses et d’autres questions dans un travail créatif autour du livre.

Les enfants ont d’abord créé chacun un personnage en terre puis lui ont donné une identité par l’écriture. À partir de consignes diverses, ils l’ont fait parler de son corps, de ses maladies, de son alimentation et de ses habitudes à table, de son quartier. Ensuite, ils ont mis leurs textes (retravaillés au préalable) en image en utilisant le pastel, le fusain ou la peinture. Le projet a duré trois mois pendant lesquels les artistes sont intervenus chacun entre 8 et 10 h avec les enfants !

À la fin du travail, les parents ont été invités à un petit-déjeuner où les enfants leur ont expliqué leur parcours à partir d’une exposition qui retraçait le cheminement de l’ensemble du projet. On pouvait y trouver des extraits des textes, des dessins et des traces du travail parallèle, sur les différentes compétences, réalisé en classe telles que l’émission d’hypothèses orthographiques et la vérification à l’aide d’outils de références, les dictées à partir des textes, la systématisation de certaines difficultés récurrentes en français (accords des mots, conjugaison, déterminants et nombres…). Les élèves ont également pu montrer qu’ils avaient appris à s’orienter sur un plan en parlant en termes de parallèles, de perpendiculaires et de sécantes ou étudier la pyramide de l’alimentation.

Lors de cette exposition, À bras le corps, le livre réalisé par la classe à partir des textes de chacun a été présenté aux parents. Les artistes avaient choisi de le sortir dans une mise en page soignée et en impression digitale pour qu’il puisse figurer dans la bibliothèque, au même titre que des livres édités par des professionnels. Les enfants et les parents étaient fiers du résultat !

L’institutrice a accepté de répondre à quelques questions[1]Propos recueillis par Benoît Jadin. à propos de son travail.

Vous accueillez dans votre classe, une (ou des) personne(s) extérieure(s) pour animer des ateliers d’écriture-arts plastiques. Qu’y font les enfants exactement ?

Les enfants reçoivent lors de ces ateliers d’écriture, des consignes très précises qui leur permettent de faire vivre des personnages. Celles-ci leur donnaient la distance suffisante pour oser parler de l’intime sans avoir à se dévoiler puisque c’était Monsieur Biscoto ou Monsieur Psychopathe qui parlaient.

Dans les ateliers d’arts plastiques, des consignes d’observation et des choix techniques étaient imposées par le dessinateur. Ils ont permis aux élèves de renter dans la peau de leurs personnages et de chercher très loin à l’intérieur d’eux-mêmes.

Les sorties en rue nous ont fait observer un quotidien qui nous semblait pourtant familier. Lors de la mise en commun et du partage de nos observations, nous avons été étonnés par des textes très touchants qui révélaient combien, grâce à la voix de leurs personnages, les enfants avaient analysé leur environnement immédiat. Ils étaient tous sortis de l’anonymat.

Comment se préparent ces activités ? Qui les conçoit ? Y a-t-il collaboration entre l’animateur extérieur et l’instituteur titulaire de la classe ?

Les animations se préparaient pendant le temps de midi entre les trois intervenants. Les premiers ateliers avaient été préparés par les artistes. Puis, en fonction de l’évolution du travail, de nouvelles décisions ont été prises en fonction de la classe comme, par exemple, passer d’une liberté très grande à des consignes plus précises. Ces temps de concertation étaient très importants car ils m’ont permis de rentrer dans ce projet avec mes priorités. Pour moi, c’était, par exemple, que les enfants soient capables de dire à d’autres ce qu’ils avaient fait et comment ils l’avaient fait. J’ai également pu y apprendre à préparer un atelier d’écriture, à avoir des pistes pour retravailler des textes avec les enfants. Au début, je n’y arrivais pas, je me laissais déborder par les pistes des enfants et j’avais peur de trop intervenir dans leurs textes puis je suis arrivée à les orienter en leur posant des questions plus précises.

J’ai aussi appris que, dans un projet, on ne sait pas toujours au départ où l’on va arriver. C’est le chemin, les étapes, le travail qui nous ont mené au livre et à l’exposition. C’est petit à petit que j’ai construit ce livre dans ma tête avec les enfants et les animateurs.

Qui fait l’animation en classe ? Quel est le rôle de l’instituteur ?

Ces ateliers me permettent de regarder dans d’autres directions, de ne pas être seulement préoccupée par mes objectifs, de travailler avec d’autres. Mon rôle est de suivre, d’encourager les enfants, d’utiliser ce qui est dit et réalisé pour faire le lien avec les apprentissages. J’ai été très surprise de voir certains enfants que je pensais faibles s’ouvrir, s’exprimer et oser « autrement » dans ces ateliers.

Y a-t-il articulation de ce type d’activités avec les activités scolaires habituelles ?

Grâce à l’atelier, tout le matériel d’écriture était réalisé pour mes activités de structuration : le travail autour des unités lexicales et grammaticales, et autour de la cohérence des idées, des groupes de phrases. Nous avons, e. a. abordé les déterminants, les temps des verbes. Grâce au projet, j’avais toujours des mises en situation différentes et amusantes pour aborder les matières.

Quelle est la place de cette activité ? Est-elle indispensable ? N’est-ce pas au détriment du temps consacré aux apprentissages classiques ?

Pendant l’activité, je gérais pour que les enfants restent présents et concentrés. J’étais la personne qui les connaissait le mieux. Ces ateliers ont soutenu tout mon travail en classe pendant le reste du temps. Au début, j’avais peur de perdre du temps, mais petit à petit, en y travaillant, je me suis aperçue du contraire. L’exposition finale me l’a d’ailleurs confirmé : le fil était clair. J’ai eu l’impression d’être accompagnée par tous les intervenants. Il y a beaucoup de personnes autour de nous qui peuvent nous aider ; il suffit d’aller les chercher. Chacune a eu l’occasion de transmettre un peu de sa passion au groupe.

Quelles sont les difficultés, pour vous et pour les enfants ? Quels sont les bénéfices ?

Pour les enfants, le meilleur souvenir de cette année reste le projet. Et ceci, même si certains enfants ont été bloqués face à l’écriture. Ils devaient se défaire de l’écriture du « cahier-journal » où on leur demande depuis la troisième maternelle de raconter leurs vacances, leurs weekends, pour rentrer dans l’observation et la description de ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent dans leur corps, dans le quartier.
De manière générale, ils ont pris confiance en eux et ils ont également bien mémorisé les étapes et le contenu du projet. Ils sont rentrés dans la ligne du temps à partir d’une aventure qui leur appartenait. Certains ont aussi pris conscience qu’ils avaient des talents. L’école, c’est apprendre à lire et à écrire, mais on peut lire en écrivant ou écrire en dessinant. J’ai appris à faire des liens et montrer aux enfants qu’ils sont capables, qu’ils peuvent se développer chacun à leur manière en vivant des situations réelles. Mais cela demande plus d’investissement et plus de travail que de repiquer des textes dans des livres scolaires.
1.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Propos recueillis par Benoît Jadin.