Une conseillère pédagogique avait pris l’initiative de regrouper les enseignants de plusieurs écoles fondamentales du PO pour discuter d’un thème qu’elle choisissait. Ce jour-là, nous discutions de la remédiation et des enseignants volants. J’ai pris la parole… et je ne me suis pas fait que des amis !
J’ai dit que ces enseignants volants ne recevaient aucune formation spécifique. Qu’ils étaient, pour la majorité, de nouveaux enseignants ou des enseignants en fin de carrière, fatigués de gérer une classe. J’ai dit qu’ils servaient le plus souvent à remplacer une titulaire absente. J’ai dit qu’ils restaient peu de temps dans cette fonction : heureux de devenir titulaire pour les plus jeunes, heureux de partir à la retraite pour les plus âgés ! Je reconnais que cela n’est pas facile à entendre pour les personnes concernées, mais c’était et c’est encore la réalité.
Un remède qu’on ne donne pas
Et cette réalité pesait lourdement sur l’organisation de mon travail. J’avais décidé, depuis longtemps, de confier à l’enseignante qui s’occupe de remédiation mes élèves chez qui je n’avais pas repéré de difficultés. En effet, puisque j’étais leur titulaire, je connaissais mieux à la fois les élèves en difficultés et ces difficultés que j’avais vues émerger. De plus le manque d’expérience professionnelle de mes jeunes collègues ne leur permettait que très rarement de proposer à ces élèves des situations susceptibles de remédier à leurs difficultés.
Très souvent, ma collègue volante devait s’occuper d’une classe dont la titulaire était absente et moi, je me retrouvais avec tous mes élèves et l’activité prévue ne convenait plus.
J’ai donc changé d’organisation : l’enseignante volante venait, en classe, soutenir le travail d’un ou deux élèves. Présente à leurs côtés, elle aidait ces élèves dans les activités que je dirigeais. Les jours où une titulaire était absente, je menais seule l’activité que j’avais prévue, cette fois pour toute la classe.
Un remède avec effets secondaires
J’étais moins prise au dépourvu, mais rarement satisfaite de l’intervention de mes (souvent très jeunes) collègues. La plupart d’entre elles étaient très attachées à la réussite de l’activité par l’élève en difficulté : terminer la tâche, compléter le cahier, être capable de répéter. Très peu partaient de la formulation de l’enfant, essayaient de saisir ce qu’il comprenait et surtout ce qu’il ne comprenait pas quand il formulait sa pensée. Très peu faisaient évoluer formulation et compréhension, acceptaient de ne pas avoir terminé, valorisaient l’expression d’une nouvelle et partielle compréhension !
J’ai fini par donner à mes autres collègues titulaires les périodes de remédiation qui m’étaient attribuées !
Et la prévention ?
Et je me suis retrouvée seule devant tous mes élèves : les bons, les difficiles, les faibles, les forts, les dys, les mauvais, les populos, les moyens, les bobos, les faciles, les…
J’ai décidé de travailler seule avec toute la classe, tout le temps, mais en tentant de concevoir toutes mes situations d’apprentissage pour mes élèves les plus éloignés de la culture scolaire. Ce qui, je dois l’avouer, ne me permettait pas, en plus, de tenter d’inclure des enfants venant de l’enseignement spécialisé qui demandaient des adaptations très spécifiques (les autistes, les enfants débiles légers ou encore les malvoyants).
J’ai pris soin de former un groupe classe soudé, qui avait envie d’apprendre, sans laisser personne sur le carreau. J’ai réfléchi à ce qui pouvait reproduire les inégalités sociales en inégalités scolaires, dans chacun des dispositifs que j’utilisais en les modifiant parfois profondément. J’ai cherché et mis en place des moyens de faire travailler tout le monde, par exemple en interdisant de lever le doigt [1] ou encore en confiant aux élèves qui avaient de grandes facilités d’apprentissage la difficile mission de repérer les causes des erreurs avant que celles-ci ne soient analysées. Je me suis obligée à prévoir plusieurs situations autour d’un même savoir pour pouvoir proposer plusieurs retours différents sur le même concept plutôt que de faire revivre une seconde fois les mêmes activités par les enfants les plus en difficultés. J’ai essayé d’identifier les obstacles que les enfants, surtout de milieux populaires, rencontraient et devaient surmonter tout en tenant compte des problèmes liés à la langue de scolarisation.
Le service de prévention est débordé
J’ai évidemment eu beaucoup trop de boulot : trop d’élèves, pas assez de temps avec eux, mais surtout pas assez de ressources pour l’enseignant.
Je n’ai trouvé, pour chaque savoir enseigné, ni une liste des obstacles possibles et des difficultés liées à la langue de scolarisation, ni un ensemble de situations nécessaires à l’apprentissage de chacun de ces savoirs, ni une progression établie pour construire une cohérence entre ces savoirs, ni une didactisation de savoirs transversaux comme l’énumération ou la schématisation, ni des textes pour non-spécialistes qui précisent ce que l’École exige, mais n’enseigne pas ! Assurer le quotidien de la classe et engager un travail de réflexion sur tous ces aspects prend beaucoup de temps, beaucoup trop de temps !
Le travail collectif était bien en place dans l’école où je travaillais, mais peu sur les questions ci-dessus. Le manque de stabilité de l’équipe ne m’a pas permis de réellement construire une étroite collaboration tant sur les plans didactique et pédagogique que sociologique, alors que celle-ci est une condition indispensable pour assurer la cohérence des apprentissages dans une école et envisager de travailler efficacement à plusieurs avec les mêmes élèves.
Un nouveau médicament : le RCD ?
Le Pacte d’excellence prévoit deux heures de remédiation, consolidation et dépassement. Est-ce le médicament miracle attendu depuis si longtemps ? Je ne le pense pas. Il permet sans doute de reconnaitre qu’aucune classe n’est homogène, que tous les enfants n’apprennent pas de la même manière, mais ça, la plupart des enseignants le savent déjà. Par contre, organiser du RCD, c’est persister à identifier l’élève comme le malade et pas le dispositif d’apprentissage dans lequel on le place. Peu de choses changeront dans l’enseignement fondamental si on continue de séparer les élèves dans des groupes de niveaux, de besoins, de… plutôt que de décortiquer finement les dispositifs d’apprentissage pour qu’ils conviennent d’abord aux enfants culturellement éloignés de l’école.
C’est sans doute aux enseignants qu’il faut administrer ce nouveau médicament, sans en limiter la posologie, en formation initiale et continuée ! Mais aussi aux didacticiens et aux pédagogues pour qu’ils nous fournissent les ressources nécessaires !