Un algorithme est une suite finie et non ambigüe d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre un problème ou d’obtenir un résultat. En clair, lorsque j’accomplis une recette de cuisine ou monte pas à pas, en suivant le plan, un meuble du géant suédois, j’utilise un algorithme. À ajouter au programme ?
L’école fondamentale initie déjà les élèves à des algorithmes pour procéder, par exemple, à une division ou une multiplication écrite voire même pour analyser la fonction d’un groupe de mots dans une phrase.
Pourquoi alors introduire l’algorithmique à l’école ? C’est que l’algorithmique est avant tout l’étude et la production des règles et instructions qui permettent de résoudre un problème et non pas le suivi obéissant d’une suite d’opérations.
Si le discours dominant actuellement est de centrer l’école sur les apprentissages dits fondamentaux, souvent compris comme directement utiles — savoir lire, savoir écrire et savoir compter —, il nous semble important d’interroger cette idée : qu’est-ce qui fait la différence entre des savoirs fondamentaux et des savoirs utiles ?
Les savoirs scolaires, même si les élèves n’en sont pas toujours conscients, sont le fruit des questionnements fondamentaux des hommes, des tentatives d’explication du monde. Ces questionnements et explications sont inscrits dans un espace et un temps et l’ont été au prix de conflits parfois fort douloureux : la Terre tourne-t-elle autour du Soleil ou est-ce le contraire ? Qu’est-ce qu’une révolution en histoire ? Existe-t-il des similitudes entre toutes les révolutions ? Qu’est-ce que le vivant ? Existe-t-il des caractéristiques communes à tous les organismes vivants ? … Il conviendra évidemment à la nouvelle génération d’inscrire ces savoirs dans la réalité et le contexte du moment non sans ajustements voire déconstruction de certains savoirs. Mais ils sont indispensables pour ne pas tomber dans les mêmes écueils (et noyer le bébé avec l’eau du bain : demander à Galilée !), et pour permettre à chacun d’assoir son identité d’héritier.
Par contre, l’utilité peut poser question. S’agit-il d’une utilisation automatique et ignorante ou celle d’une utilisation stratégique et fruit d’un choix éclairé ?
L’introduction de l’algorithmique à l’école aurait pour objectif de permettre aux élèves d’apprendre à concevoir et construire des suites systématiques d’opérations qui permettent la résolution de problèmes, à décrire précisément et chronologiquement les étapes indispensables pour effectuer une tâche, à élaborer consciencieusement une stratégie qui, suivie à la lettre, permet d’accomplir une action, voire gagner à un jeu.
À l’heure des robots et de l’intelligence artificielle n’est-il pas indispensable d’apprendre ensemble à concevoir une stratégie ou une suite d’instructions plutôt que de se résigner à ce que certains conçoivent les algorithmes pendant qu’on apprend aux autres à s’y conformer… « Loin d’être de simples outils techniques, les algorithmes véhiculent un projet politique. Comprendre leur logique, les valeurs et le type de société qu’ils promeuvent, c’est donner aux élèves, futurs citoyens, les moyens de reprendre du pouvoir dans la société des calculs », d’après Dominique Cardon[1]D. Cardon, À quoi rêvent les algorithmes ?, Seuil, 2015.
L’école est bien le lieu dans lequel les savoirs ont pour finalité de constituer une ébauche d’une culture commune qui prendra vie grâce à chaque citoyen. Mais pour y parvenir, il faut sans doute dépasser les savoirs listés dans les programmes, pour accéder à une réflexion à dimension épistémologique. Qu’est-ce que la culture mathématique ? Bien au-delà d’une somme de savoirs comme l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, la trigonométrie…, la visée des mathématiques n’est-elle pas d’apprendre à modéliser, à construire un modèle qui permette de résoudre un problème… La visée des mathématiques n’est-elle donc pas, aussi, de nature algorithmique ?
Évidemment, l’algorithmique, comme tout savoir, peut être présenté comme un savoir de domination, s’il ne conduit pas à son appropriation à part entière par chacun, s’il se limite à pouvoir exécuter une suite prédéterminée d’actions ou comme un savoir d’émancipation, s’il permet à chacun de comprendre à quelle question l’algorithme répond, voire à construire et réguler une suite d’instructions en vérifiant directement si elle est valide.
« Donnez-moi n’importe quel savoir et, en fonction des situations didactiques que je mettrai en place, je dirai symboliquement aux élèves : c’est moi qui ai raison et vous avez tort ! Écoutez-moi ! ; ou je mettrai en place des situations d’appropriation de ces savoirs. Les savoirs ne sont rien en dehors de l’usage que l’on en fait », écrit Michel Develay[2]M. Develay, À propos des savoirs scolaires, VEI Enjeux, n° 123, décembre 2000..
Pour l’algorithmique comme pour l’ensemble des savoirs proposés par l’école, l’enjeu n’est-il pas de permettre à tous de s’approprier la culture en tant que réponses apportées aux questionnements fondamentaux ? Ce projet reste le défi de l’école d’aujourd’hui.
Pour voir un exemple d’activité algorithmique dès la maternelle : https://is.gd/bfPjxe