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Un enseignant doit-il savoir bien parler ? Sans doute ! Il est tout aussi important d’apprendre à bien écouter, mais cela se fait peut-être en même temps. Comment formons-nous nos étudiants, futurs enseignants, à prendre la parole, et peut-être, en même temps, à écouter celle des autres ?

(La présentation de cette activité fait suite à l’article Apprendre à causer de Jacques CORNET, publié dans le nº 189 de TRACeS de changement.)

Dans la grille de cours de l’enseignement supérieur pédagogique, il n’y a aucun temps prévu pour « apprendre à parler », sauf si le professeur de « maitrise de la langue » décide d’en faire un objectif de son cours, avec de toute façon peu d’heures à y consacrer. Mais dans tous les cours, des occasions peuvent se présenter. Voici ce qu’il en est dans la vie de notre « classe coopérative verticale » [1].

Prises de paroles
Université de Nanterre : haut lieu de la prise de paroles. Colloque international, novembre 2008. Héloïse s’en veut : elle a dit « IUFP » au lieu de « IUFM [2] » pour situer sa formation [3] face à un public surtout français. Perfectionniste, elle a bien préparé son intervention pour introduire la présentation du système de formation1 dans lequel elle est engagée. Elle parle de manière claire, posée, agréable. Anaïs en rajoute, elle jouit des rires que son humour provoque. Elle parle avec assurance, forte, un peu catégorique. Simon, sous ses dehors de grand dilettante, est apparemment plus stressé, son débit s’accélère, mais il ne trébuche pas. Tous trois ont préparé cette conférence commune avec un professeur. Leur sérieux et leur enthousiasme font plaisir à voir.

Atelier-Monde. En classe de 2e (régendat), nous préparons, organisons et animons un cinéclub pour les autres étudiants de l’école. Jenn’ a visionné un film qu’on pourrait programmer, elle en résume l’intrigue et en fait la critique en tenant compte des critères qu’on s’est donnés. Elle parle de manière posée, claire, avec recul : elle ne veut ni défendre, ni rejeter ce choix, elle donne le mieux possible des informations pour que le groupe puisse décider en connaissance de cause. Benjamin est président de cette séance et on est en retard pour la programmation. Il doit trancher vite, donner la parole, reformuler les différentes alternatives : pas facile. Il en ressort insatisfait. Fin de séance, l’habituel « Ça va – ça va pas » : de nombreux « Ça va pas » expriment leur insatisfaction, clairement, sans agressivité.
Vendredi après-midi, lors du « Je critique – je félicite » de cette quinzaine, la responsable de ce temps lit le mot de Jennifer qui dit : « Je critique Madame N. de m’avoir exclue de la théorisation en histoire sur PLOZEVET, elle n’a pas respecté les règles prévues pour cela et je lui demande dorénavant de respecter ces règles ». La parole lui est donnée et elle explique posément le problème.
« Présentations d’articles ». Charlotte présente les résultats d’une étude sur l’alcoolisme et les jeunes. Elle a douze minutes pour réaliser une miniconférence qui doit être agréable à écouter et qui doit apprendre quelque chose en sciences humaines à ceux qui y assistent. À la fin de cette présentation, Charlotte demande une évaluation de sa prestation à son public (d’autres étudiants) en choisissant certains critères parmi d’autres dans une fiche d’évaluation qui est affichée [4] en classe.
Lieux de paroles
Toutes ces prises de paroles sont survenues dans la quinzaine qui a précédé l’écriture de cet article. Elles sont toutes survenues dans des lieux et temps prévus pour ces prises de paroles, mais prévus aussi pour d’autres apprentissages. D’explicitement prévu et organisé pour « apprendre à parler », il n’y a que le dernier exemple, le temps de présentation. Et assez paradoxalement, c’est là qu’ils parlent souvent le moins bien et peut-être là aussi qu’ils apprennent le moins à prendre la parole ! Là où ils nous épatent souvent, c’est quand ils sont amenés, comme dans le premier exemple, à prendre la parole en « grand public ». C’est là, peut-être, qu’ils parlent le mieux et qu’ils apprennent le plus.
Si parler est une compétence et si le décret donne une bonne définition d’une compétence, alors parler suppose « une aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches » [5]. L’important dans cette définition, c’est d’une part la combinaison de savoirs, savoir-faire et attitudes et d’autre part, le caractère conjoncturel de la compétence : on peut très bien parler dans telle situation et très mal dans telle autre.
Pour former les enseignants, il est donc utile de lister les différentes situations professionnelles et d’organiser, en formation, des lieux de paroles qui y correspondent. Ce que nous n’avons évidemment pas fait (!), mais notre pari est que, si on organise la formation comme un véritable espace social d’interactions [6], ce qui est le cas, alors les différentes situations seront rencontrées.
En bref, un enseignant doit savoir parler à et avec : ses élèves, ses collègues, les cadres pédagogiques (direction, inspection,…) et les parents d’élèves. À titre d’exemples, il doit être capable de développer une explication magistrale dans sa (ses) discipline(s), de bien dire « oui » ou « non » (à un élève, un collègue, la direction), d’interagir avec ses élèves tant pour faire apprendre que pour réguler la classe, de participer à et de conduire une réunion avec ses collègues, d’expliquer et de justifier ses options pédagogiques à ses collègues, à la direction, aux parents, etc. Et si la compétence est « située », conjoncturelle, alors ce n’est pas en apprenant à parler pour faire une leçon (transmission magistrale, ce qui est utile et nécessaire aussi) qu’on apprend à interagir avec les élèves, à conduire une réunion avec les collègues, à expliquer son travail aux parents. Et c’est évidemment encore moins en apprenant à se taire qu’on apprend à parler !
Actes de paroles
Parler, c’est agir. Apprendre à parler, c’est donc aussi apprendre à agir ; c’est politique. Et cela implique beaucoup de choses qui dépassent, et de loin, le seul aspect technique, sémantique, de l’intelligibilité du discours. On n’apprend pas à parler (au sens d’agir) en apprenant simplement à bien parler (au sens de bien dire). On apprend à parler en posant des actes de paroles « pour du vrai ». Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas entrainer gratuitement certaines attitudes (par le théâtre ou l’impro, par exemple) ou certaines techniques (par l’étude de la rhétorique ou par certains exercices), mais cela signifie qu’apprendre à parler, au sens d’éduquer la parole, c’est bien plus et bien plus important. Qu’est-ce qu’apprendre à parler suppose ? Qu’ont en commun les prises de paroles citées ci-dessus et que l’école souvent ignore ou réprouve ?
Tout d’abord, toutes ces prises de paroles s’effectuent dans des lieux [7] de paroles, des temps qui le prévoient, des espaces-temps qui en prévoient :
• l’opportunité :c’est ici et maintenant que tel acte de parole peut être posé ;
• la procédure : la structure de l’interaction est prévue pour permettre l’élucidation d’un sens commun ;
• les limites : l’objet de l’élucidation commune est clairement circonscrit ;
• les règles : la sécurité des personnes est garantie.
Bien plus que cela, les caractéristiques de ces lieux de paroles n’ont d’autres raisons d’être que la reconnaissance mutuelle en tant que sujets engagés dans une œuvre commune. Chacune de ces prises de paroles est à la fois engagement de soi, prise de risques et de responsabilités, et reconnaissance de l’Autre. C’est certainement ce que l’école réprime le plus : la reconnaissance de l’élève en tant que sujet parlant. La jubilation et la qualité de la prise de paroles de nos étudiants dans des colloques universitaires, face à ceux qui ne les avaient pas reconnus, sont hautement significatives à cet égard.
Et il n’y a pas que la reconnaissance, même si elle est fondamentale ; il y a aussi l’exigence. Pour qu’il y ait reconnaissance mutuelle, la prise de parole doit répondre aussi à trois exigences [8] :
• l’exigence de vérité : ce que je dis renvoie-t-il à des faits objectifs ?
• l’exigence de progrès :ce que je dis peut-il favoriser un mieux-être commun ?
• l’exigence d’authenticité : ce que je dis exprime-t-il une expérience personnelle subjective ?
Enfin, on ne parle pas pour ne rien dire. On agit pour transformer le monde. Pour parler, et donc, pour apprendre à parler, il faut avoir quelque chose à dire à quelqu’un. Et ça, c’est tellement bête que l’école l’a oublié depuis longtemps. Pour parler, pour apprendre à parler, il faut que ma parole compte pour les autres, importe socialement, agisse politiquement.

Description de l’activité

Lors du temps de présentation, un étudiant (à tour de rôle) présente le contenu d’un article lu dans « Alternatives Économiques » ou dans « Sciences Humaines ». La présentation en elle-même dure environ 12 minutes. Cette présentation est suivie d’une évaluation de la prestation, réalisée par les autres étudiants et le professeur. Cette évaluation se base sur les critères définis ci-dessous. Ensuite, un temps de questions – réponses autour du thème est possible. L’étudiant est responsable de son choix d’article mais peut demander conseil.

notes:

[1Système de formation directement inspiré de la pédagogie FREINET et de la Pédagogie Institutionnelle pour former des régents en sciences humaines.

[2IUFM = Institut Universitaire de Formation des Maitres (formation des enseignants en France)

[3Formation de régente en sciences humaines.

[4Cette fiche est publiée, avec le descriptif de l’activité, sous le titre Présentation d’articles, sur le site www.changement-egalite.be, rubrique TRACeS 189.

[5Décret Missions, Moniteur belge 23/09/1997, chap. 1, art. 5, 1°.

[6C’est-à-dire comme une microsociété, où chacun va apprendre « naturellement »à parler en situations « naturelles » (référence aux méthodes naturelles de C. FREINET).

[7On retrouve ici, exprimés autrement, les 4 L de la PI : Lieu, Limites, Loi, Langage.

[8M.J. HANSOTTE, Les intelligences citoyennes, De Boeck, 2005, p. 100.

Pièces jointes