Par rapport à certains problèmes évoqués dans mon blog ces derniers mois, je dois bien constater que « ça bouge ». Mais est-ce que ça change vraiment ? A Bruxelles, des sommes ont été débloquées pour faire face à l’accroissement de la population scolaire à l’horizon 2020 (18 000 élèves en plus). Trop peu et trop tard, puisque ces jeunes enfants seront essentiellement accueillis dans des conteneurs. Et on est loin d’être certain de trouver des institutrices/teurs pour les accompagner sur les chemins tortueux de l’apprentissage. Pénurie !
Depuis la rentrée, la ministre Simonet entretient le débat sur le redoublement. Fort bien. Mais elle a beau dire que ce n’est pas le coût (dernière évaluation : 416 millions !) qui la préoccupe en premier, c’est ce que tout le monde retient. Et ça passe mal dans les écoles où les enseignants se sentent accusés à répétition.
Tout récemment, à l’occasion de la présentation des « Indicateurs de
l’enseignement », la même ministre a mis en cause la formation initiale des enseignants. Elle préconise de « former des spécialistes de l’apprentissage plutôt que des matières » ! Elle pense que la formule va faire mouche et elle se plante royalement. Comment devenir un(e) spécialiste de l’apprentissage d’une discipline qu’on ne maîtrise pas soi-même sur le bout des doigts ? Et puis ce ne sont pas ses oignons ! C’est du ressort de Marcourt, le ministre de l’Enseignement supérieur, qui se hâte très lentement. Il attend pour fin février un état des lieux de la formation initiale. Et nous attendrons sans doute la prochaine législature pour voir le moindre changement…
Arrêtons-nous un instant à un moment-clé de la scolarité qui pose d’énormes problèmes : le premier degré de l’enseignement secondaire (les 2 premières années). Le Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique) vient de rendre public un livre blanc qui lui est consacré. Fruit d’une longue et sérieuse enquête sur le terrain, il est très instructif : on réalise toutes les difficultés que rencontrent élèves et enseignants. Et les efforts que ces derniers font pour faire face à des situations de plus en plus compliquées. Mais les pistes proposées par ce livre blanc me paraissent bien trop timides pour relever les défis de terrain.
Il faut savoir que l’organisation des deux premières années du secondaire
, de retouches en retouches, toujours bien intentionnées, est devenue illisible pour la plupart des acteurs de l’école. Seuls les directeurs (heureusement !) et quelques rares experts s’y retrouvent dans des parcours qui s’apparentent à des labyrinthes. Les élèves en difficultés, eux, comprennent vite qu’ils font du surplace. Près d’un sur quatre accomplit le parcours en 3 ans (au lieu de 2) et n’obtient pas le CE1D, le certificat d’enseignement du premier degré qui certifie que l’élève a acquis les compétences de base. Et ce n’est pas faute de remédiations en tous genres mises en place dans la plupart des écoles. Pourquoi cette « usine à gaz » massacre-t-elle tant d’élèves et de profs ?
Parce que nous avons mis en place un système incohérent et producteur d’un énorme gaspillage. Explications. Nous avons un décret qui prétend organiser un « enseignement du fondement » jusqu’à 14 ans. C’est au terme de ce « continuum » que les compétences de base devraient être maîtrisées par tous et couronnées par le CE1D.
Mais il n’y a pas de continuité !
On fait comme si le passage du primaire au secondaire allait de soi. Or, c’est tout le contraire. Il y a de profondes ruptures qui n’échappent à personne sauf… au législateur ! Changements de lieux et de taille des écoles : on passe souvent de petites entités à taille humaine vers de grosses « boites ». Changements de culture et de méthodes : on avait un ou deux instits, on voit défiler 5, 6, 7 profs différents. Changements dans le type de relations entre les enseignants et les élèves. Ce n’est pas le moindre ! Etc, etc… Qui disait « continuum » ? Ce sont évidemment les élèves fragiles qui s’adaptent le moins bien et sont les victimes de ce « mensonge institutionnel ».
Autre explication : fin de primaires, plus de 90% des élèves ont obtenu des CEB (certificats d’études de base) de valeurs très inégales selon qu’ils ont été sanctionnés par un score de 90% ou de « tout juste » 50%. Cela n’empêche pas nombre de parents d’enfants « mal classés » d’essayer de les inscrire dans la « bonne » école du coin. Comme sur notre marché scolaire, les exigences des écoles secondaires sont à géométries très variables et n’ont pas bougé d’un poil, ça va être un calvaire pour les « tout juste 50% ». Surtout là où la filière « enseignement général » est privilégiée et où c’est la monoculture « classique » qui est à l’honneur. Y compris dans les activités complémentaires en principe prévues pour assurer des ouvertures.
Un autre système s’impose !
Beaucoup plus simple et lisible par tous les citoyens. Soucieux de préparer positivement tous les enfants à des orientations plurielles. Les modifications homéopathiques à répétition ont épuisé les enseignants et démontré leur inefficacité.
La fameuse continuité – indispensable – passe par un vrai tronc commun. D’abord jusqu’à 14 ans. Dans une seule et même école qui regrouperait les actuelles sixième primaires et première et deuxième secondaires. Cohérence et simplicité. Cette école sera indépendante ou rattachée aux écoles primaires. Pour éviter que le poids des options organisées dans les écoles secondaires ne pèse lourdement sur la culture et les méthodes de cette nouvelle structure, comme c’est le cas actuellement pour le premier degré.
Puisque c’est le moment de faire mûrir les orientations ultérieures
, tous les élèves devront s’essayer à des apprentissages techniques et manuels sérieux. Pas des bricolages ! Ce ne seront plus des activités complémentaires. Elles seront considérées comme le français ou les mathématiques. Faute de quoi ces orientations seront toujours déconsidérées et beaucoup de parents continueront à croire, envers et contre tout (même le bonheur de leur gosse !) que l’enseignement général est la voie royale.
Ce changement radical ne fera pas disparaître comme par enchantement les difficultés plus grandes de certains élèves. Dès lors un travail approfondi sur les outils de remédiation garde tout son sens. On sait que « faire plus de la même chose » ne marche pas. Dès la formation initiale, on peut apprendre à repérer les difficultés, à les analyser avec les élèves et les collègues, on peut chercher où trouver les outils nouveaux et adéquats ou travailler à en élaborer.. C’est un terrain trop peu exploré.
Aujourd’hui, on communique beaucoup en haut lieu
On fait beaucoup de bruit autour du moindre frémissement. Mais le système reste bloqué, incohérent et surtout producteur de drames humains. Tant chez les enseignants que chez les élèves. Qui aura l’audace et le courage de proposer les changements de système… qui réussissent si bien ailleurs ?
Voir en ligne Le blog de Jacques Liesenborghs