Autorité et sanction : entre pragmatisme et recherche de sens

Parmi la multitude de micro-décisions que prend constamment un enseignant en train de donner cours, il y a celle potentiellement redoutable de décider que faire, face à un élève qui ne respecte pas les consignes ou les règles. Réagir ou pas, si oui à partir de quand, et surtout comment ?

Schématiquement, ne pas intervenir, c’est courir le risque que l’élève décroche de l’activité,voire d’un effet domino sur d’autres élèves. Mais intervenir, c’est risquer de perturber le déroulement de l’activité pour l’ensemble de la classe, voire de susciter une escalade avec l’élève concerné. Cette tension ou ce dilemme professionnel touche un ingrédient central de l’efficacité de l’enseignement: la conduite de la classe. Or, c’est un aspect du métier à propos duquel les enseignants s’estiment habituellement trop peu formés et regrettent le peu d’occasions d’en discuter sérieusement entre collègues. Les quelques lignes qui suivent visent à contribuer à la réflexion sur
ce sujet.

Lorsque l’enseignant réagit, il est courant que les transgressions de l’élève soient suivies, après les sommations d’usage, d’une punition. Si cette dernière permet parfois d’interrompre un comportement jugé problématique, elle a rarement l’effet préventif espéré sur la réapparition de ce comportement, notamment parce qu’elle n’apprend pas à faire autrement. En outre, plus on use d’une punition, moins elle s’avère efficace, ce qui peut conduire à une surenchère. Enfin, le recours à la punition génère généralement des sous-produits non désirés: climat émotionnel négatif, détérioration de la relation avec l’adulte, voire valorisation de l’élève visé aux yeux de ses camarades de classe. Là où l’adulte espérait susciter prise de conscience
et réflexion, il se retrouve régulièrement face à des conduites de fuite ou de rébellion. Bref, d’un point de vue strictement pragmatique, l’usage de la punition est d’une efficacité limitée et soulève toute une série de problèmes.
Autre paradoxe ou dilemme professionnel.

Au-delà de ces aspects pragmatiques, l’usage de la punition soulève aussi des questions – moins souvent discutées – liées aux finalités de l’institution scolaire. Dans de nombreux pays, le mandat de l’enseignant, d’où il tient
son pouvoir de sanction, n’est pas seulement de transmettre des connaissances, mais aussi de «préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique» et de «promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne» (décret Missions). L’horizon fixé à l’École par nos sociétés démocratiques est donc, entre autres, de contribuer à former des êtres humains capables de réguler eux-mêmes leur conduite, même en l’absence de surveillance ou de menace de punition, mais aussi de réfléchir aux conséquences de leurs actes et de poser des choix personnels face à des injonctions ou des règlements.

L’analyse des effets de la punition esquissée ci-dessus fait craindre que le recours fréquent à la punition, qui est une forme d’affirmation
de pouvoir, non seulement ne contribue pas à l’avancée vers cet horizon, mais nous en éloigne. Le dilemme ou le paradoxe est ici plus fondamental
: les formes de discipline couramment utilisées dans notre enseignement permettent parfois un certain maintien de l’ordre, mais elles risquent de faire obstacle au développement du jugement moral et de la maitrise de soi des élèves, ce à quoi aspirent pourtant nombre d’enseignants etqui fait partie de l’essence même de leur mission.

Quelles issues peut-on trouver face à ces dilemmes? Il n’est bien entendu pas question de renoncer à fixer des limites, à se montrer exigeant, ou à sanctionner. Vivre ensemble dans le respect de chacun nécessite des règles, un cadre clair facilite les apprentissages, et le contrôle de soi ne s’apprend pas
par le laisser-faire. Il s’agit plutôt de s’interroger sur l’usage du pouvoir et de l’autorité en milieu scolaire. À cet égard, évoquons deux approches potentiellement complémentaires.

La première répond davantage aux questions pragmatiques soulevées, en travaillant à l’élaboration de règles et à rendre les sanctions plus éducatives. Elle se décline en deux manières de faire. L’une des deux se base sur l’ajustement des pratiques habituelles. Prendre le temps de s’accorder entre adultes sur les règles essentielles, limiter le nombre de règles, les reformuler – éventuellement avec les élèves – les expliquer davantage, les rendre plus visibles ; distinguer punition et sanction; élargir la gamme des sanctions aux conséquences logiques, à la réparation, la restauration; recourir à des dispositifs laissant plus de place au dialogue (fiches de
réflexion, médiation,…), etc…

L’autre manière de faire propose d’aborder le problème différemment. L’accent est mis sur l’explicitation des comportements attendus, formulés positivement (plutôt que sur les comportements «indésirables») et sur la valorisation de ces comportements quand ils sont manifestés par les élèves (plutôt que sur la menace et la punition). Cette manière de faire s’accompagne souvent d’un système de progression clairement balisé, qui permet d’accéder à des droits supplémentaires (plutôt que de subir des conséquences négatives). Hors situation d’urgence avec mise en danger des personnes, où la rapidité de réaction prime, ces pratiques s’avèrent généralement plus efficaces pour modifier un comportement dans la durée.

La deuxième approche peut inclure la première mais vise à prendre en compte la question des finalités. Il ne s’agit pas d’abord de rendre la discipline scolaire plus efficace, mais bien d’instaurer un autre rapport à l’autorité au sein de l’école. Le projet est alors d’aller vers une gestion plus collective des règleset de leur application, à travers des procédures participatives (votes, délégués, conseil coopératif, pédagogie institutionnelle, école citoyenne,…) qui visent à favoriser la réflexion et la résolution de problème face à des situations de conflits. Les expériences concrètes montrent que cette approche peut permettre
le développement d’un climat scolaire plus serein et plus motivant pour les élèves et pour les professionnels.