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De ce que l’école fait ou ne fait pas de ces petits riens qui s’y passent. De ces actes et paroles que les profs posent ou ne posent pas et qui peuvent construire ou flinguer.

Émilie revient de l’école avec son nouveau pantalon dégueulasse et dessous, un bleu sur la cuisse. Je m’inquiète de savoir ce qu’il s’est passé. Il y a Frédéric qui a fait exprès de me viser avec la balle, de toutes ses forces, à la récré. Je lui demande si elle en a parlé à l’adulte qui surveillait. Oui, mais madame n’a rien fait. Elle ne l’a pas appelé et elle m’a punie au mur parce que j’avais mon berlingot en main, je n’avais pas eu le temps de le finir en classe et on ne peut pas boire dans la cour.
Il y a des règles qui ont l’air d’être mieux garanties (pas de jus dans la cour) que d’autres (je ne fais pas mal), dans une hiérarchie un peu spéciale… Qu’est-ce que cette petite histoire raconte à l’enfant sur la sécurité du cadre et sur les relations  ? Une bonne façon d’inviter les enfants à régler leurs conflits entre eux, chacun devra aiguiser ses armes.
Marthe revient de l’école et me raconte. Maman, j’ai été choquée. Ce matin, Younes, l’homme à tout faire de l’école est venu en classe pour réparer les casiers. Il ne parle pas super bien le français et il a un accent. La prof a répété ses paroles à toute la classe et devant lui, en prenant son accent. Elle est raciste, non  ? Je n’ai rien osé dire. Tu aurais fait quoi, toi  ?
Une grosse partie de la classe est en échec à ce cours où les temps d’évaluation prennent beaucoup de place et où les discours moralisateurs sur l’ambiance de travail sont récurrents. L’attitude de cette enseignante avec l’ouvrier est un bel exemple de violence symbolique. C’est peut-être une mise en situation d’un dispositif pour travailler ensuite les rapports sociaux…
Mon fils revient un jour vexé. Le prof de gym nous a traités de Carolo. Il nous a dit qu’on ne ressemblait à rien et qu’il avait honte d’être en rue avec nous.
Comme ce fait n’est qu’un minuscule exemple de tout ce qui s’est passé dans cette école qui a si bonne réputation, depuis Eugène a changé d’école et apprend beaucoup mieux avec son nouveau prof de gym qui est Carolo  !

Tu me visais droit au cœur…

Trois petites situations. Isolément, rien de dramatique. Cela ne va pas les empêcher de grandir ou provoquer une phobie scolaire. Mais l’accumulation de ces situations dont on ne fait rien, les dominations symboliques qui frappent plus durement selon la confiance qu’on a en soi et le milieu dans lequel on évolue, on monte progressivement les élèves contre les profs. Si ce sont «  les relations humaines respectueuses vécues qui apprennent à devenir attentif à soi et aux autres  », les relations non respectueuses font écho aussi.
Quand j’ai eu ma première classe dans l’enseignement spécialisé, ma priorité, c’était apprendre à lire, écrire et calculer. Quand les élèves revenaient de la cour ou du cours de religion, en colère et en dispute, je les invitais à laisser les problèmes de l’extérieur à l’extérieur et les invitais à se remettre au travail. Je ne savais pas bien comment faire, donc, j’essayais d’évacuer. J’ai dû comprendre que le relationnel était un apprentissage en soi à travailler à l’école et aussi une condition pour entrer dans les autres apprentissages. Que cela faisait partie du boulot de l’école, les élèves ne se résument pas à des cerveaux, mais sont des sujets Que le cadre sécurisant, c’était de ma responsabilité.
Les incohérences ou les dérapages qu’on fait comme prof ont des conséquences sur la confiance en soi, dans la classe et dans l’école pour les élèves. Avec la pédagogie institutionnelle, j’ai appris à faire quelque chose de ce qui se passait difficilement, au Conseil ou avec d’autres institutions. À ne pas classer sans suite, à rependre.
Je pense que plutôt que de faire un cours sur la justice, il faut travailler les injustices qui sont là quand on vit ensemble. Mais travailler ainsi, seul, c’est impossible. Avec les autres, on quitte son point de vue. On déplie. Il y a d’autres réponses que celle qui nous vient.
Je vois fleurir dans les écoles, des moments, appelés Conseil ou autrement, où les élèves peuvent s’exprimer. Mais s’exprimer, ce n’est pas tout. En dehors de ces temps-là, quel pouvoir ont les élèves, comment sont-ils pris en compte  ? Et quand un enseignant le fait du bout des lèvres ou à cœur ouvert, mais sans lieu pour remettre au travail son métier, ça fait beaucoup de souffrances.