Dans une société moderne où l’information scientifique et technique prend de plus en plus d’importance, on peut s’étonner que ne soient pas enseignées les compétences nécessaires à l’élaboration, à l’interprétation et à la manipulation de modèles.
n modèle est une interprétation d’un domaine de la réalité. Solides et figures sont des objets géométriques, théoriques qui peuvent servir de modèle aux objets réels et permettre ainsi de résoudre des problèmes pratiques de la vie courante. Des enfants de deuxième primaire en ont pris conscience en se familiarisant avec la notion de modèle.
Boites et briques, un même objet géométrique
J’ai fait vivre aux élèves de ma classe de deuxième primaire la démarche décrite par Martine de Terwangne dans la revue TRACeS de ChanGements 174, « À tâtons vers le rectangle ». Chaque enfant, rendu aveugle par un bandeau, a dans les mains une boite rectangulaire. Il en découvre certaines caractéristiques : les faces qui sont plates, les arêtes qu’on suit avec le bout d’un doigt, les sommets qui piquent. Pendant cette première phase, je ne sais plus à la suite de quelle remarque d’enfant, j’ai précisé qu’on parle de tous ces aspects pour les boites.
Et l’activité continue, pendant quelques jours, plus ou moins comme celle décrite dans l’article.
Lors d’une dernière phase, les enfants dessinent chaque face de leur boite séparément, sur une feuille quadrillée, pour que les faces ne grossissent pas, que les pointes piquent bien et que ce soit bien droit. J’attends et je prends note de ces formulations encore maladroites qui montrent à la fois le vocabulaire qu’il faudra apprendre pour mieux s’exprimer, et aussi les premières perceptions du parallélisme et de l’orthogonalité.
Un enfant interrompt son dessin et m’interpelle en regardant la brique placée sur la table de présentation de la classe : « Véronique, tu t’es trompée ! Quand on était au coin à paroles, au tout début, tu as dit qu’il n’y avait que les boites qui avaient des faces, des arêtes et des sommets… C’est faux ! Je trouve que la brique, elle a aussi des faces, des arêtes et des sommets ! »
Modéliser pour résoudre un problème
Là, on peut voir un malentendu entre les élèves et moi, autour du mot boite : les élèves lui attribuent le sens de l’objet réel et moi le sens d’un objet géométrique… Mais on peut aussi y voir les premiers pas d’un élève dans une démarche de modélisation, si nécessaire en géométrie. Et c’est ce que j’ai choisi d’approfondir avec mes élèves.
Il a donc fallu choisir les mots pour différencier l’objet réel de l’objet géométrique. Après l’explicitation de cette différence, entre les vraies boites et les boites en math, les enfants ont proposé d’utiliser le terme boite-math.
Nous avons ensuite recherché dans la classe des objets réels, pouvant être modélisés par une boite-math. À côté d’objets pour lesquels il n’y a eu aucune hésitation (nos gourdes et nos crayons ne sont pas des boites-maths, les planches sur nos bancs en sont) d’autres ont posé problème : la boite à tartine, avec ses sommets arrondis, le taille-crayon avec ses faces non parallèles, la latte de Clara un parfait parallélépipède rectangle ou celle d’Ilias avec les graduations plus basses que le reste de la latte).
C’est Dawid qui, cette fois, lance une nouvelle réflexion : « Oui, mais ça dépend de ce qu’on va en faire ! Pour savoir combien de boites à tartines comme celle de Nadia on peut mettre dans le bac à tartine, on peut prendre comme modèle la boite-math ! » Dawid exprime là que certaines propriétés des objets géométriques peuvent être absentes de l’objet réel, mais que l’objet géométrique reste un modèle de l’objet réel suivant la situation.
Nous avons conclu ce travail par l’élaboration d’un texte qui décrit la boite-math. Nous avons placé ce texte au-dessus d’un ensemble d’objets réels qui pouvaient être modélisés par celle-ci.
Aller-retour entre réalité et modèle
Faire la distinction consciente entre le monde physique et ses représentations n’est pas chose aisée pour les enfants. Quand un enfant intervient lors de la représentation de rails de chemin de fer par deux droites parallèles en précisant que « les rails, c’est plus épais », il montre qu’il ne comprend pas l’intérêt dans certaines situations de représenter les objets du réel en laissant de côté certaines informations. Quand un enfant refuse de considérer deux droites perpendiculaires parce qu’elles ne se coupent pas et que je précise que si je les prolonge, elles se couperont, il reste sceptique et ajoute : « Tu ne pourras quand même pas les prolonger comme tu veux ; elles ne peuvent aller dans le sol ! », il n’a pas compris qu’une droite, modèle d’une réalité physique est représentée par un trait de craie ! Et, tout bien pensé, ce n’est vraiment pas simple !