Que peut signifier l’expression « Travailler l’histoire dès l’école maternelle » ?
L’enfant doit apprendre à se situer dans le monde, à prendre sa place dans l’histoire du monde pour devenir citoyen... pour être citoyen acteur dans son environnement. Que de sens et de questions derrière ces quelques mots !
Entendre des histoires racontées et tenter ensemble ou avec les autres de reconstituer l’histoire écoutée, c’est déjà apprendre quelque chose de la chronologie, et peut-être de la « grande histoire [1] ».
Remettre en ordre les procédures d’une réalisation : bricolage ou d’une recette, c’est aussi se situer dans le temps à partir de l’organisation interne propre à une réalisation.
Travailler les jours de la semaine, les saisons, les mois de l’année, l’ordre des fêtes officielles est un autre aspect important dans l’apprentissage des repères du temps.
De nombreuses activités peuvent se vivre dans chacune de ses trois pistes et elles participent toutes à la construction progressive des notions de chronologie, durée, simultanéité, rythme et souvenir, constitutives de la construction du temps.
Une quatrième piste d’activités diverses doit être abordée très tôt pour compléter les sollicitations offertes par l’enseignant aux enfants qui ont besoin de l’école pour construire leurs outils de découverte du monde. Il s’agit de toutes les activités se préoccupant du vécu familial et personnel de l’enfant.
Par exemple, se poser la question en fin de journée : « Qu’avons-nous fait aujourd’hui ? » et pouvoir choisir, seul d’abord, puis en partage avec d’autres, parmi un ensemble d’étiquettes représentant les activités habituelles d’une classe ou d’une journée, celles réellement vécues. Cette activité permet à chaque enfant d’essayer de porter un regard sur son passé immédiat, l’habitue à devenir attentif à sa vie, le prépare peu à peu à anticiper les journées futures, anticipation reconnue comme facteur important de réussite scolaire.
Travailler, dès la troisième maternelle, peut-être plus tôt, mais nous n’avons pas essayé, la ligne du temps personnelle montre non seulement la nécessité de solliciter l’enfant sur ce qui peut paraître évident, mais aussi toutes les difficultés de la traduction du temps sous forme de ligne dans l’espace. Quels rapports entre le temps et l’espace ? Nous considérons ce rapport comme évident chaque fois que nous utilisons la ligne du temps. Mais est-ce si simple ?
Nous annonçons aux enfants que nous allons évoquer les deux générations qui nous précèdent (grands-parents et parents) afin de mieux nous situer par rapport à eux et construire quelques repères sûrs par rapport à l’histoire de chacun [2].
Chaque enfant reçoit une série d’étiquettes avec la consigne de les mettre en ordre. Ces étiquettes sont soit écrites, soit dessinées (symboliquement) et écrites. On peut y trouver les éléments suivants : « La naissance de papy », « Le mariage de mamy et papy », « La naissance de maman », « Papa en deuxième primaire », « La rencontre de papa et maman », « Ma naissance », « Mes premiers pas », « Mon deuxième anniversaire », « Ma rentrée en 2ème maternelle », « Un événement important de l’actualité », « Un événement récent de la vie de la classe », « Un autre événement récent de la vie de l’école ».
Les enfants prennent, bien sûr, un certain temps pour faire connaissance avec le matériel. En maternelle, il est important ensuite de donner ou vérifier le sens de chaque dessin avec l’ensemble de la classe. En primaire, la lecture devrait normalement suffire à préciser le sens de chaque étiquette. On peut vérifier individuellement chez l’un ou l’autre enfant que l’on sait encore en difficulté à ce propos.
Il ne s’agit pas d’un contrôle des connaissances, mais bien d’un apprentissage de ce que l’on ne maîtrise pas encore. Il est donc normal de constater un grand nombre d’erreurs. L’ordre proposé par les enfants nous paraît souvent très fantaisiste. En fait, il répond souvent à une autre logique que celle que nous voulons travailler. On peut leur proposer de l’exprimer, en sachant qu’il n’est pas utile de passer du temps à donner la parole à tous. Par contre, il est important pour l’enseignant, de se rendre compte que les difficultés ne sont pas toujours où l’on pense. L’enfant peut être très conscient du fait que les grands-parents sont plus vieux que ses parents, mais être très déstabilisé pour organiser les étiquettes correspondantes sur son banc : beaucoup d’enfants s’organisent de droite à gauche, même en deuxième année, ou de bas en haut. Pourquoi ? Et quel rapport avec l’ordre de l’écriture et de la lecture ?
Dans ce cas, il est important de parler avec les enfants : évoquer le sens de l’écriture dans les livres de notre culture, le sens de la lecture ; faire référence au calendrier ou à la ligne du temps de la classe ; montrer les jours qui passent, le temps qui « avance », le passé derrière nous et l’avenir devant dans les représentations habituelles. En d’autres termes, il faut essayer de construire quelques liens entre le temps et sa représentation dans un certain espace. Même si le calendrier est devant les enfants tous les jours, ses caractéristiques d’organisation ne sont pas évidentes pour eux. Elles ne le deviennent que peu à peu si l’on prend le temps de mettre des mots sur ces caractéristiques en situation de véritable interrogation.
Cette première ressource permettant de lever momentanément quelques difficultés permet souvent aux enfants de retourner au travail individuel et à leur questionnement : « J’avais quel âge quand je suis entré en 2e maternelle ? ».
Quand le travail individuel s’essouffle un peu, il est intéressant de proposer aux enfants de partager avec le ou les voisins. C’est l’occasion d’un nouveau questionnement à propos des choix et surtout la possibilité de mettre en mots les notions de succession, de chronologie, d’âge,...
Le travail porte bien sur « Mon histoire ». Il ne s’agit donc pas d’apporter une correction collective où chaque enfant finirait par mettre en ordre les étiquettes sous la dictée de l’enseignant. Nous aurions peut-être un beau produit fini, mais en ayant enlevé aux enfants une certaine prise sur les repères de leur vie. De plus, cet ordre pourrait être différent pour chacun. L’enseignant doit donc se contenter d’interpeler chaque enfant sur la logique construite, sur la certitude de ses choix. Il doit accepter de terminer l’activité sans que chacun soit sûr de l’ordre établi pour permettre que les enfants puissent interroger leur milieu pour vérifier ou confirmer . C’est en reproposant l’activité plusieurs fois, peut-être avec quelques variantes dans le contenu des étiquettes, que l’enfant prendra vraiment possession de quelques repères de son histoire,... et peut-être de la « grande histoire » si l’on introduit dans les évènements travaillés quelques informations comme la Guerre 40-45, les congés payés, l’euro, etc.
[1] L’expression « grande histoire » renvoie au cours d’histoire officiel habituel sans vouloir lui attribuer une valeur plus importante qu’à « notre histoire ».
[2] La suite du texte est inspirée du travail de fin d’études de Sabrina Ingrao. Haute École Charleroi Europe 2000-2001 parce qu’il constituait un écrit correspondant à nos essais partagés oralement.