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Désirer mettre en place,
individuellement, dans des classes
de l’enseignement secondaire, des
pédagogies nouvelles nécessite
quelques ruptures préalables. Elles
engendreront une transformation
identitaire. Ce désir partagé en
équipe n’est pas sans risque. Récit
d’une aventure personnelle et
collective.

Depuis des années, nous étions quelquesuns
à estimer que le fonctionnement de
notre établissement (qui n’est pas un cas
isolé) produisait bien trop d’échecs au 2e
degré. L’écrémage socioculturel et socioéconomique
même s’il a déjà lieu au premier degré se
poursuit de manière implacable et à grande échelle au
deuxième degré. Nous étions également confrontés à la
difficulté de mettre les élèves au travail, surtout à domicile.
Quelques années auparavant, le lycée avait constitué
un groupe de travail entre enseignants qui avait permis
de faire émerger la parole sur les difficultés de la transition
3e – 4e comme une source de stress, de crispation
tant pour les élèves que pour les enseignants.

ENTRE IMPATIENCE ET PULSION

Qu’attendions-nous pour passer de la plainte à l’action,
du découragement à l’espoir ? À quelques-uns,
nous nous sommes mis à rêver et à vouloir changer
l’école, notre école… « Oui, mais comment constituer
l’équipe ? Sur quelles bases allions-nous fonder notre
projet ? Changer, oui, mais quoi, pour quoi, pour qui ? »
Pas d’importance, il faut aller vite, battre le fer tant qu’il
est chaud, saisir ces insatisfactions, les directions nous
poussent, elles y voient sans doute une opportunité de
lutter contre l’échec, de ne pas continuer à perdre trop

« Il ne suffit pas
d’instaurer un conseil
pour partager le
pouvoir. »

d’élèves dans ce niveau. L’impatience chez certains
d’entre nous était également forte : « Arrêtons de causer,
lançons-nous dans l’action, si on ne démarre pas le
projet en septembre, on ne le fera jamais ! » Et comme le
dira Jacques [1] plus tard, nous nous sommes alors « jetés
à l’eau pour traverser la rivière sans que notre radeau soit
construit… »
Vouloir adopter une éthique PI et utiliser des techniques
(Freinet), faire vivre des institutions ce n’est
pas magique, il ne suffit pas de vouloir pratiquer des
pédagogies actives pour le pouvoir ! C’est sans doute là
qu’a été mon erreur, un grand « désenchantement » dans
mon parcours avec cette équipe. Aujourd’hui, je me dis
qu’inconsciemment j’ai enfermé mes collègues et peutêtre
les élèves dans mon désir. Car devenir un praticien
PI, c’est un chemin choisi, non imposé, une démarche
personnelle, une traversée faite de remises en question.
Et si on peut cheminer à plusieurs, les ruptures, elles,sont individuelles et appartiennent à chacun.
Je reprendrai un mot d’Évelyne [2] : « On apprend par
« corps » et pas seulement par « tête ». ». Désirer mettre
les élèves en recherche, les rendre acteurs de leurs apprentissages
et ne pas se l’appliquer à soi-même, c’est
une impasse. Comment vouloir construire un système
qui s’inspire de la PI si la majorité des enseignants de
l’équipe n’a jamais vécu un stage, n’a jamais été placé
en situation… C’est faire comme si les ruptures étaient
là, déjà présentes pour tous, au même stade, bien
conscientes, bien digérées… C’est proposer des solutions
toutes faites, comme des recettes, or la PI n’a pas
de solution miraculeuse, elle est une construction inachevée
et il appartient à chacun des acteurs de faire
évoluer le cadre collectivement, d’instituer ce qui permet
de dépasser les insatisfactions… parce que l’éthique
et les techniques vécues à travers des stages, des formations
ont stimulé des ruptures et ont produit une nouvelle
manière d’aborder le métier.
Sans formation à cette pédagogie, ce fut pour nous
comme construire une tour de Babel, juxtaposer nos
« pulsions » individuelles et organiser une cacophonie
qui empêcha la communication entre nous, mais, surtout
avec l’extérieur, nos collègues, les directions et parfois
les élèves. L’identité enseignante a à se transformer,
recourir à quelques techniques de la PI et conserver des
méthodes d’enseignement classiques, traditionnelles
où seul l’enseignant est détenteur du savoir et donc du
pouvoir, c’est rester dans un corps vieux de plusieurs
siècles en ayant subi un lifting de la face.

DES INSATISFACTIONS ET APRÈS…

Oui, nous avions l’intuition de devoir arrêter de saucissonner
les cours par tranche de 50 minutes, arrêter
d’évaluer pour mettre des points dans le bulletin,
nous voulions faire de nos élèves des acteurs de leurs
apprentissages, donner du sens à ce qui se passe en
classe… mais nous étions peu outillés pour transformer
nos dispositifs pédagogiques, bien trop formatés par
nos propres années d’étude sur les bancs de l’école ou
de l’université, par nos pratiques individuelles et traditionnelles
comme enseignants. Il ne suffit pas d’avoir
des blocs de 2 ou 3 fois 50 minutes pour révolutionner
nos pratiques, il ne suffit pas d’instaurer un conseil de
tous pour changer de posture, pour partager le pouvoir.
De plus en plus d’écoles, d’enseignants
voire même parfois des
directions sollicitent des praticiens
de la PI pour qu’ils viennent
dans leur établissement afin de
« régler les problèmes ». Comme
si la PI, c’était magique, comme
s’il suffisait de déverser ses
grands ingrédients : des techniques et des institutions
pour que le tour sera joué. Bien sûr qu’il est indispensable
de soutenir cette amorce de rupture, mais aller
trop vite c’est courir à la déception. Qui veut rompre ?
L’enseignant, une équipe, une institution tout entière ?
Rompre avec quoi, avec qui ? Désirer rompre avec des
pratiques incorporées depuis des années nécessite un
travail d’identification de ces ruptures, requiert de se
questionner sur l’étendue de son pouvoir d’action, sur
les moyens nécessaires (les formations par exemple),
et sur les buts et objectifs à poursuivre et avec qui (les
alliés, les coopérateurs). Bref éviter de se jeter tête baissée
parce qu’on sait ce qu’on ne veut plus !

notes:

[1Jacques, un formateur
sollicité
par l’équipe éducative.

[2Évelyne, une
enseignante
française qui a
participé au weekend
d’écriture de
TRACeS.