L’explosion de l’information depuis la naissance de l’Internet per-met à tout le monde de trouver facilement ce qu’il cherche. Il est presque impossible de ne pas trouver. S’il est plus facile de trou-ver des infos aujourd’hui, il est plus ardu de trouver des infos vraies. Comment les futurs enseignants peuvent-ils pêcher les perles de l’Internet sans devoir boire toute l’eau de l’océan ?
« Tu choisis d’aborder le mode de vie de l’homme de Neandertal en classe de primaire. “Choisir” est un grand mot. Ton maitre de stage te l’a imposé (il déteste la préhistoire). Tu as trouvé le dessin animé “Il était une fois… l’Homme de Neandertal”. Tu penses que les enfants fixeront beaucoup mieux son mode de vie par l’intermédiaire de l’image que par le verbal. Malheureusement, tu sais (ou je te l’apprends) que les dessins animés ne sont pas toujours soucieux de l’exactitude de leurs propos, leur objectif étant avant tout récréatif. Tu sais aussi que les enfants seront davantage marqués par ce dessin animé que par tous les discours que tu pourras faire dessus à postério-ri.
Tu entreprends donc, avant même de choisir à quel moment tu utiliserais ce support dans ton dispositif pédagogique, de vérifier sa “valeur”. Est-il exact ? Est-il représentatif du mode de vie de Neandertal ?
Mais voilà ! Une fois n’est pas coutume. Les sujets de stage ont été communi-qués à la dernière minute. C’est la course ! Monsieur THIRY a raflé tous les bou-quins de préhistoire de la bibliothèque de l’école (il parait qu’il fait un travail avec ses étudiants !). Tu as cours toute la semaine. Et pour couronner le tout, la bi-bliothèque près de chez toi est exceptionnellement fermée cette semaine (les bibliothèques ont tendance à être ouvertes uniquement quand on n’en a pas be-soin !) Tu t’apprêtes à aller à Liège à la bibliothèque des Chiroux. Elle est ouverte le samedi de 9 h à 12 h. Programme : lever très tôt, attendre dans le froid (on annonce de la pluie verglaçante pour le weekend), prendre un train puis un bus, attendre dans une file immense pour renouveler ta carte, déambuler des heures dans les rayons (la bibliothécaire a dit qu’elle avait autre chose à faire que de chercher à ta place ; ça doit être une activité cérébrale, car elle ne fait rien de-puis ta question), prendre un bus puis un train, attraper un rhume, être absent le premier jour de stage.
Tu regardes du coin de l’œil l’ordinateur calfeutré dans l’espace douillet de ta chambre. Tu sais pertinemment bien ce que penserait ton professeur de la mé-thode que tu t’apprêtes à suivre. Mais aux grands maux, les grands remèdes… Au diable les bibliothèques ! Internet sera bien suffisant. »
Voici en résumé le défi lancé aux 1res BAC instituteur dans les premières se-maines de la rentrée. Par équipes tirées au sort, ils entreprennent de vérifier l’exactitude des propos tenus dans le dessin animé qu’ils visionnent en cherchant des réponses sur Internet. Dans une classe, ils travaillent sur le mode de vie des Néandertaliens, dans l’autre, sur celui des Hommes modernes (Cro-Magnon). Au terme du travail, ils pourront s’échanger leur production et disposer chacun d’une analyse en matière de qualité sur ces périodes de la préhistoire.
Le culte de l’ours
La première étape consiste à relever un élément du dessin animé au choix et à prouver l’exactitude de cet élément. Les Néandertaliens mangent des lézards. Ils ont inventé le feu sans le faire exprès. Ils étaient en compétition avec les ours pour s’approprier les grottes. Ils pratiquaient le culte de l’ours. Une série de cli-chés, mais aussi de faits avérés par l’archéologie sont véhiculés par l’épisode. Au bout d’une semaine, les étudiants présentent le résultat de leurs investigations sur Internet. Ils proposent un fait relaté dans le dessin animé et ils se position-nent sur son exactitude en démontrant comment ils sont arrivés à leur conclu-sion :
« Le culte de l’ours, c’est exact, car nous avons trouvé plusieurs sites qui di-saient la même chose. » À partir de là, nous cherchons à définir des critères de recherche. « À partir de combien de sites pourrions-nous dire que nous sommes suffisamment certains ? » Les plus prudents lancent « dix », les plus économes « trois ». C’est là qu’une étudiante intervient : « Moi, j’ai un site qui dit le con-traire ! L’auteur dit que c’est une théorie contestée. » Je lance une recherche sur Google : culte de l’ours néandertalien idées fausses. Nous parvenons à trouver plusieurs sites qui démontent cette théorie. Chaque groupe tente alors de faire la part des choses à partir de ces sites contrastés en définissant des critères ca-pables d’isoler les références suffisamment fiables afin d’aboutir à une relative certitude.
Au terme de chaque séance, les groupes rédigent les questions suscitées par l’activité, les problèmes rencontrés, les contradictions soulevées par la confronta-tion entre leurs découvertes et ce qui a été montré aujourd’hui. Lors des mises en commun ultérieures, je cherche à justifier le bienfondé de certaines dé-marches en explicitant les principes épistémologiques qui les sous-tendent.
Cela fait plusieurs années que je développe ce dispositif d’apprentissage par pro-blème. À force d’entendre les étudiants expliciter leurs démarches, il me semble percevoir des obstacles qu’un simple cours d’initiation à la recherche [1] est inca-pable de lever.
Garants du juste ou du faux
Premièrement, en terme de recherche d’information, le réel n’est pas assez sanc-tionnant. Une infirmière se trompe dans l’administration de dose de sédatif. Le patient se plaindra des douleurs lancinantes. Un vitrier relève mal les mesures de l’encadrement de fenêtre. Ce sera la consternation à la pose. Un scientifique pu-blie un article mal étayé. Il subira les affres de la controverse. Un instituteur qui raconte des choses erronées à ses élèves aura moins de chance de se faire pin-cer. C’est sans doute une des raisons qui font que les instituteurs et les régents, à l’entrée de leur formation, obtiennent les plus mauvais résultats en recherche sur le net dans une étude de la CIUF [2]. Durant leur stage ou leurs travaux, les professeurs de discipline sont les seuls garants de ce qui est juste ou faux. Et les raisons de ce discernement ne sont pas rendues accessibles aux étudiants ! Ils ne savent pas expliquer pourquoi les profs jugent cela bon. Ils identifient souvent ces prises de position comme des marottes qu’ils resserviront à l’examen, mais qui ne leur servira pas dans leur pratique professionnelle. Un cours de recherche doit nécessairement être interdisciplinaire et l’instrument de travaux pratiques transversaux. Il doit avoir de la valeur pour une communauté d’enseignants.
Des façons de chercher l’information
Deuxièmement, la recherche sur Internet prend du temps contrairement à ce que l’on pourrait croire. Le temps où l’on cherche est infiniment plus grand que le temps où l’on trouve. De plus, chercher sur Internet nécessite une sélection de ressources fiables qui est moins indispensable en bibliothèque. Or pour assoir des pratiques de recherche d’information efficaces, il faut que chacun ait pu par-venir à trouver quelque chose de formidable pour qu’il estime que cette dé-marche vaille la peine. Cela réclame d’être exigeant, de renvoyer l’étudiant à de nouvelles recherches, et à la fois reconnaissant, souligner les bons réflexes, les trouvailles intéressantes et les démarches qui ont permis d’y aboutir. Dans la plupart des travaux que nous demandons des primaires au supérieur, la re-cherche d’information est considérée comme un prérequis ; des élocutions réali-sées par les parents aux travaux de fin d’étude. L’autre extrême consiste à bar-der l’élève de fiches outils sur l’analyse de site Internet ou sur la façon de noter des références bibliographiques. Je n’ai jamais vu aucun chercheur en histoire remplir des grilles avant de sélectionner les bouquins qu’il allait lire. Il y a sans doute une économie de la recherche documentaire, au sens étymologique du terme.
Du résultat ou de la rigueur ?
Il ne faut pas négliger les effets conjugués de ces deux premiers obstacles : le réel peu sanctionnant et le temps nécessaire à une recherche de qualité. Les re-cherches efficaces en terme de réussite sont beaucoup plus accessibles que les recherches efficaces en terme de rigueur scientifique. Le temps dépensé pour rendre un travail plagié est beaucoup plus rentable que celui consacré à une vraie recherche, d’autant que, dès le secondaire, le dopage a systématiquement une longueur d’avance sur le dépistage. Même au niveau de la recherche univer-sitaire le dictat du nombre de publications encourage certains chercheurs à sé-lectionner les résultats qu’ils publient. Pour éviter cet écueil, il faut laisser la place à l’erreur, au doute, au tâtonnement et même valoriser les recherches in-fructueuses. La recherche scientifique rentable aboutit à peu de découvertes.
Le temps de construire du savoir
Troisièmement, certains étudiants sont à la recherche de trucs et ficelles pour être dans la certitude, alors que la recherche scientifique est fondée sur le doute. La fiabilité et la véracité sont uniquement des tentatives d’approcher le réel. Un expert très fiable peut se tromper et les vérités scientifiques d’aujourd’hui ne le seront peut-être plus demain. Le rapport au savoir est prépondérant dans la dé-marche de recherche. Les étudiants qui ont vécu un rapport de transmission du savoir ont parfois tendance à chercher de nouveaux transmetteurs plutôt que de se mettre en recherche. Le processus de déconstruction/construction est lent et parfois il s’est arrêté en chemin. Certains étudiants remettent en cause toutes les références sur le prétexte de « on n’est jamais sûr ». Et donc ils s’autorisent à prendre n’importe quoi. Rien ne sert d’inculquer une démarche de recherche si l’on ne travaille pas d’abord ou en même temps le rapport au savoir. Montrer comment se construit le savoir scientifique et donner du savoir à construire.
Enfin, certains étudiants parviennent à trouver de bonnes références, mais à cause d’une maitrise de la langue insuffisante, ils finissent par écarter la trou-vaille pour se rabattre sur un contenu qui leur est plus accessible. Là encore, l’effort à fournir est trop conséquent par rapport à la valorisation/reconnaissance que l’apprenant peut en attendre.
En conclusion, il est illusoire de croire que les recherches documentaires sont facilitées par l’arrivée d’Internet tout comme de croire que nous pourrions empê-cher les jeunes d’y avoir recourt. Une série d’étudiants qui rentrent au supérieur ont déjà une longue expérience de recherche documentaire, mais cette dé-marche souvent empirique est axée sur la réussite et non sur l’apprentissage. L’évaluation et le rapport au savoir jouent un grand rôle dans l’autorisation que se donnera l’apprenant pour modifier ses pratiques : passer de la certitude au doute, de la réception du savoir à sa construction. Deux qualités primordiales pour se mettre en recherche. Deux qualités qui s’apprennent... en y consacrant du temps.
[1] Le cours d’initiation à la recherche est un cours de 15 h pour les 1res BAC instituteur.
[2] B. MORIAME, « La génération Google est busée », Le Soir, 21 mai 2008, http://goo.gl/tbdZbF.