Cinq ans, pour faire quoi ?

Merveilleux consensus sur la nécessité de prolonger la formation initiale des instits et régent(e)s à 5 ans. Méfions-nous donc ! L’affaire est tout sauf simple. Comment ne pas répéter les opérations ratées en 1984 (passage de 2 à 3 ans, sans moyens ni objectifs nouveaux) et de 2001 (chambardement avec très peu de moyens) ? Comment éviter une réforme de façade pour s’aligner sur les standards européens ?

Pourquoi la formation des profs laisse-t-elle à peu près tout le monde insatisfait, à commencer par les premiers intéressés ? Parce qu’elle ne prépare pas à un métier qui a profondément changé dans une société en crise permanente. Changements des publics : massification et puis les jeunes ne sont plus ce qu’ils étaient …et tant mieux ! Changements de contexte : Ntic, hyperconsommation, religion du fric …et l’école là-dedans ? Et encore, dérive insidieuse vers une marchandisation des savoirs et une privatisation larvée des écoles à travers l’installation du quasi-marché scolaire. Enfin, l’hécatombe scolaire : le colossal échec de l’institution scolaire qui ne parvient pas à assurer un bagage commun et citoyen à tous les jeunes de 16 ans. Soit l’échec d’une société qui tolère la reproduction des inégalités et la mise à l’écart de la majorité des enfants des familles populaires. Tout cela sous couvert « d’égalité des chances » !

« La formation doit permettre aux futurs enseignants de se forger une identité professionnelle forte et les amener à prendre conscience de leur position d’acteur de changement au sein de la société », voilà déjà un élément de réponse proposé par ChanGements pour l’égalité (CGé) qui poursuit et précise : « il faut utiliser les résultats des recherches en sociologie à propos des rapports aux savoirs et à l’école des milieux défavorisés et les traduire en termes didactiques. La maîtrise de ces savoirs est indispensable… ». C’est une partie importante de la réponse à la question posée. C’est une dimension de la formation trop négligée jusqu’ici et particulièrement délicate et difficile.

En outre, on ne peut plus penser la formation initiale sans l’inclure dans un processus permanent de formation tout au long de la vie professionnelle. Avec des temps forts : entrée dans le métier, formations continuées et, innovation indispensable, périodes sabbatiques (des trimestres ?) pour toutes et tous. Autre écueil à dépasser : les inévitables marchandages entre Hautes écoles et Universités pour savoir qui sera maître d’œuvre, à quelle institution sera confié ce marché. L’ensemble des dispositifs à « inventer » devra contribuer à rendre le métier d’éducateur plus attractif, à le revaloriser aux yeux du public. Y compris en termes de rémunérations ! Faute de mesures audacieuses, les pénuries se feront encore plus criantes, le recrutement sera de moins en moins sélectif, ce qui fera le bonheur, ou plutôt les affaires, des marchands de connaissances qui prospéreront sur les décombres de l’école publique. Ils proposeront, avec force publicité, des formations réservées à une clientèle qui a les moyens d’y inscrire sa progéniture.

En toile de fond de ce dossier, c’est l’avenir d’un service public de qualité pour tous qui est en jeu. Cela mérite qu’on y consacre du temps, qu’on y associe largement les acteurs et les visionnaires, qu’on se refuse aux médiocres accommodements de court terme.