L’échec scolaire est une catastrophe humaine, sociale et économique, personnelle et collective. Personne n’en veut et pourtant, il persiste. Comment en venir à bout ? Et si l’on cessait de s’accuser mutuellement ? Si parents de tous milieux, enseignants et chercheurs se mettaient en mouvement pour chercher ensemble comment assurer la réussite scolaire de tous les enfants ?
Fin 2009, ATD Quart Monde France a lancé un atelier de croisement des savoirs[1]Charte du croisement des savoirs et des pratiques avec des personnes en situation de pauvreté http://click.in.ua/KG « Quand des personnes en situation de pauvreté, des universitaires et des … Continue reading et des pratiques entre professionnels de l’école, chercheurs universitaires et parents (dont des parents issus de la grande pauvreté). Une quarantaine de personnes ont répondu et se sont engagées dans un travail commun, de l’été 2010 à novembre 2011. Leur mission : bâtir une analyse partagée du fonctionnement de l’école débouchant sur des propositions communes et donc sur un combat commun pour que tous les enfants — y compris les plus exclus — réussissent à l’école.
L’aventure a commencé par la formation d’une équipe chargée de préparer et d’animer le travail commun. Même si nous pouvions nous appuyer sur plusieurs années de travail en croisement avec des personnes en situation de pauvreté, il s’agissait d’un défi original pour lequel nous devions inventer la méthodologie. Pour ce faire, notre équipe porteuse a été constituée de permanents d’ATD Quart Monde qui connaissaient bien les personnes très pauvres, mais aussi d’amis du Mouvement, certains issus du monde de l’enseignement et d’autres investis dans les questions scolaires en tant que parents, ainsi que d’un chercheur en sciences de l’éducation. Nous avons pris des journées entières pour penser ensemble les processus, les élaborer avec les apports de chacun, nous former mutuellement à l’animation en expérimentant entre nous les techniques que nous allions utiliser.
D’abord, nous avons cherché s’il existait des « essentiels pour la réussite à l’école » sur lesquels nous étions d’accord. On en a dégagé trois. Premièrement, il est essentiel de s’écouter, de dialoguer, de mettre de l’énergie, parents, professionnels et enfants pour trouver ensemble ce qu’il faut pour que l’enfant réussisse jusqu’au bout. Ensuite, il est essentiel qu’à l’école règne un climat sans violence où l’enfant se sente bien. Et, il est essentiel de donner le plaisir d’aller à l’école, le plaisir et le gout d’apprendre.
« Éviter les faux accords et les faux désaccords. »
Après ce premier séminaire, tous les participants sont retournés vers leur milieu d’ancrage. Le chercheur de notre équipe a étudié la littérature scientifique relative à la question. Il a vérifié si nos essentiels faisaient l’objet d’un consensus. Oui. Mai alors, pourquoi, malgré ce large accord, la mise en œuvre de ces « essentiels » est-elle loin d’être une réalité ? Qu’est-ce qui fait obstacle ?
Au cours de notre 2e séminaire, nous avons analysé des exemples concrets. L’universitaire de notre groupe a enrichi le débat en présentant des recherches qui portaient sur les mêmes éléments. Nous avons ainsi mis en évidence le poids des « étiquettes et des préjugés qui existent entre tous les acteurs, enseignants, parents et enfants. (…) Par exemple, beaucoup de professeurs s’imaginent que les parents “s’en foutent” lorsqu’ils ne viennent jamais à l’école alors que leur enfant a des problèmes. (…) De même, des parents s’imaginent que le professeur s’en fout, qu’il n’a pas envie de les voir, qu’il est trop occupé, que s’ils viennent, ils vont déranger, que le professeur ne comprendra pas (…) Les étiquettes, les jugements… c’est aussi (…) quand on n’est pas convaincu que tout enfant peut apprendre et progresser, quelle que soit son origine sociale ou culturelle, quels que soient son histoire et son passé scolaire. »
Le groupe a identifié un autre obstacle majeur : « Le dialogue et la communication ne sont pas faciles. Quand on vit des choses différentes, c’est plus difficile de se comprendre parce qu’on ne met pas les mêmes choses sur les mêmes mots. Par exemple quand nous disions que nous voulions que tous les enfants réussissent à l’école, nous étions tous d’accord, mais en creusant, nous nous sommes aperçus qu’on ne voyait pas tous la réussite de la même manière. » En général, la communication parents-école n’est ni régulière ni appropriée aux familles les plus éloignées de l’école. Souvent, cette communication est à sens unique.
Ces 2 obstacles en entrainent un autre : « Parents et enseignants ont peur l’un de l’autre. Cette peur réciproque est très générale, mais elle pèse d’un poids particulier pour les parents qui ont beaucoup souffert à l’école quand ils étaient enfants. Ce n’est pas seulement la peur des enseignants ou celle des autres parents, c’est aussi la peur que se reproduise pour leurs enfants ce qu’eux-mêmes ont vécu à l’école. »
C’est lié au « manque de formation adéquate. (…) au manque de connaissance par rapport aux différents milieux et au manque de formation pour communiquer. (…) ce qui manque aux professionnels, c’est la possibilité de prendre du recul, de réfléchir avec d’autres. »
Forts de ces analyses partagées, les membres de l’atelier ont cherché dans leur environnement des expériences qui permettent de dépasser ces obstacles. Ils les ont analysées lors du 3e séminaire pour en tirer des propositions communes concrètes, réalistes, significatives. Ils ont ainsi proposé qu’au sein de toutes les écoles soit mis en place un « espace-parents », entièrement pensé pour le rendre accessible aux parents les plus éloignés de l’école et pour favoriser le dialogue entre tous les acteurs de l’école. Ils ont demandé de repenser la formation des enseignants en y intégrant ces savoirs et savoir-faire dont nous avions identifié les manques. Les participants ont enfin rédigé un texte collectif synthétisant leur travail.
Nous avions pour ambition de réaliser un véritable travail collectif et d’aboutir à de vrais accords entre tous les participants pour que ce que nous produirions ait le maximum de chances d’être porté largement, ensuite, par l’ensemble des acteurs de l’école. Nous portions aussi le souci que ceux dont, d’habitude, on n’entend jamais le point de vue soient pleinement co-chercheurs, co-acteurs, co-auteurs. Pour cela, nous avons commencé par un travail de prise de conscience et de formation autour des difficultés de communication entre milieux différents. Nous avons alterné travail individuel, permettant à chacun de bâtir sa propre pensée, à son propre rythme, travail en groupes de pairs[2]Trois groupes : — parents ayant l’expérience vécue de la pauvreté et l’exclusion sociale; — autres parents solidaires (de milieu moyen-aisé); — professionnels de l’école.
permettant de construire un point de vue collectif, et travail en plénière confrontant les points de vue et permettant de faire émerger des accords entre tous. Nous avons pris beaucoup de temps pour vérifier les compréhensions mutuelles afin que chacun garde réellement la maitrise sur le travail en cours et pour éviter aussi bien les faux accords (en utilisant les mêmes mots, mais en leur attribuant des sens différents) que les faux désaccords (en exprimant différemment des choses semblables). L’équipe porteuse a soigné dispositifs et processus pour éviter toute prise de pouvoir par certains. Elle a évalué et adapté la méthodologie pour garantir que personne ne soit « largué » en cours de route.
Les propositions issues de cette année de travail ont été confrontées à celles issues de projets expérimentaux menés à l’échelle d’un quartier et d’un travail de recherche réalisé par un groupe d’enseignants engagés[3]« Tous peuvent réussir – Partir des élèves dont on n’attend rien », Éd. Quart Monde, 2013.. Elles ont été présentées et débattues au cours d’Ateliers pour l’École, à Lyon en novembre 2011. Ces journées ont été portées par un comité comprenant des membres d’ATD Quart Monde, des délégués de différents syndicats d’enseignants et de chefs d’école, d’associations de parents, de mouvements pédagogiques. Toute cette dynamique a abouti à la création d’une plateforme réunissant ces partenaires autour de l’objectif de la mise en œuvre des propositions ainsi construites ensemble.
Et c’est ainsi que la « loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République » du 8 juillet 2013 affirme entre autres dans ses préambules que « L’École doit être celle de la réussite de tous — La certitude que tout enfant est capable d’apprendre y sera affirmée et mise en œuvre — L’École ne sera celle de la réussite de tous que si elle se construit avec la participation de tous, dont évidemment les plus pauvres de notre société — L’École s’enrichira et se confortera par le dialogue et la coopération entre tous ses acteurs : parents, jeunes et enfants, enseignants, acteurs éducatifs. » Elle propose d’inclure dans la formation initiale et continue des enseignants « une formation à la connaissance de la grande pauvreté et une réflexion approfondie sur les stéréotypes et les préjugés — Formation au dialogue — Formation à aller à la rencontre des familles les plus éloignées de la culture de l’école. » Elle prévoit de « favoriser la participation de tous les parents, et en particulier des parents des élèves les plus en difficulté, au dialogue collectif Parents-École à travers des lieux de dialogue (espace-parents par exemple). »
Le travail commun a porté ses fruits. Nous savons cependant que tout reste à faire pour que les pratiques de terrain évoluent concrètement. Il nous faudra être vigilants par rapport aux plus exclus. Un autre aspect prévu dans la loi sera donc essentiel : « Évaluer régulièrement l’application de la loi d’orientation et de programmation sur l’École, au niveau national comme au niveau local, par des processus novateurs incluant notamment la participation des parents. » Le défi de penser et d’agir ensemble, avec les parents les plus pauvres, est et restera donc pleinement d’actualité.
Notes de bas de page
↑1 | Charte du croisement des savoirs et des pratiques avec des personnes en situation de pauvreté http://click.in.ua/KG « Quand des personnes en situation de pauvreté, des universitaires et des professionnels pensent et se forment ensemble » coédition Éd. de l’Atelier-Éd. Quart Monde, 2008. |
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↑2 | Trois groupes : — parents ayant l’expérience vécue de la pauvreté et l’exclusion sociale; — autres parents solidaires (de milieu moyen-aisé); — professionnels de l’école. |
↑3 | « Tous peuvent réussir – Partir des élèves dont on n’attend rien », Éd. Quart Monde, 2013. |