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Accueil / CDoc / Recensions / Comprendre l’échec scolaire

Comme dans un suspense, ce livre captivant emporte le lecteur dans une enquête minutieuse sur les circonstances précises de la production par l’École de la « grande difficulté » de certains élèves. Ces élèves, Stéphane Bonnéry les a suivis depuis la dernière année du primaire (CM2) jusqu’au début de la deuxième année du secondaire. Ils sont loin d’être les meilleurs de la classe, mais, en primaire du moins, ils s’en sortent ; leurs prénoms sont exotiques, liés à leurs origines diverses : Amidou, Bassekou, Jérémy, Raffik, Vikash, Niamounga, …

Observateur discret au fond de la classe, Bonnéry scrute ce qui se passe au fil des cours et des leçons, il examine les pratiques des enseignants, repère les actes des élèves, note leurs dires, étudie les interactions.

Dans les premières pages, le lecteur assiste en life à quelques cours : le circuit électrique, le calcul de l’aire, la respiration, la carte de géo, les vertébrés… Ces pratiques habituelles, ordinaires, voire banales, Bonnéry les passe au crible de son regard pointu et piquant. Il les tourne et les retourne en tous sens, il en exprime tous les sens, il nous les fait voir sous toutes leurs facettes.

Et ce qu’il en tire est édifiant : ces pratiques enseignantes anodines deviennent pour lui l’ingrédient principal de la lente et longue fabrication de la grande difficulté des élèves suivis. Parce qu’il cherche quels effets ces pratiques produisent sur ces élèves de milieu populaire, Bonnéry discerne les mécanismes qui grippent, les processus qui coincent, les dynamiques qui piègent.

Il dévoile l’énormité du malentendu qui s’installe dès la maternelle, à la fois dans la tête de ces enfants et dans l’esprit des enseignants. Parce qu’ils se conforment aux demandes explicites de leurs enseignants, ces élèves sont persuadés qu’ils sont « bons ». Parce qu’ils participent à la vie de la classe et réalisent les tâches scolaires, les enseignants croient sincèrement que ces élèves sont sur le bon chemin, même s’ils leur reprochent d’être lents, distraits ou agités ; il suffirait qu’ils « fassent un effort », qu’ils « travaillent plus » pour que ça marche…

Ce malentendu s’étend à quatre domaines, immenses : cognitif, langagier, des valeurs et de l’inscription sociale. Enseignants et élèves coconstruisent les malentendus qui se muent en leurres, en pièges inextricables. Parce que l’École ne leur montre pas comment devenir des apprenants, parce qu’elle suppose qu’ils savent spontanément comment s’approprier effectivement les savoirs, ils restent enfants, coincés dans l’affectif, le vécu, l’expérience, ou au mieux deviennent des élèves qui se contentent de se conformer à ce qu’ils croient qu’on attend d’eux (réaliser des tâches, faire des exercices, participer, raconter, etc.). Tant qu’ils sont en primaire, la compassion bienveillante des instituteurs leur offre une « béquille relationnelle » qui les soutient vaille que vaille. Mais dès qu’ils entrent en secondaire, l’échec leur saute au visage, ils se sentent trahis, abandonnés, rejetés, et entrent dans l’opposition et la résistance.

Stéphane Bonnéry poursuit avec brio la lignée des Charlot, Rochex, Bautier, et de l’équipe ESCOL ; il complète leur analyse du rapport au savoir par l’étude du rôle primordial des dispositifs pédagogiques dans la fabrication de la grande difficulté scolaire, par la perspective temporelle de l’évolution de ces élèves, en particulier au moment du passage du primaire au secondaire et par la mise en évidence de la dimension politique des malentendus qu’il dévoile.
À lire et relire, absolument !

S. BONNÉRY, Comprendre l’échec scolaire, Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques, La Dispute, L’enjeu scolaire, Paris, 2007.