Partir de problèmes concrets pour aller vers une généralisation mathématique exige que l’on se pose des questions. Et ensemble, on est encore plus puissants.
J’avais donné le problème qui suit à mes élèves de deuxième secondaire lors de ma première année d’enseignement. Ils avaient dû lire seuls l’exercice et répondre aux questions données. Nous avions corrigé ensemble au tableau.
Les parterres de fleurs
Sandra doit réaliser des parterres de fleurs pour un parc de la ville. Les parterres seront de tailles différentes, mais doivent toujours être réalisés selon le même modèle : des buissons de fleurs entourés de pavés. Voici des exemples de parterres pour 2, 1 et 3 buissons de fleurs.
a. Observe ces 3 parterres et dessine un parterre avec 5 buissons de fleurs.
b. Voici les parterres que la ville souhaite voir réalisés :
• Pour l’allée centrale du parc : 2 longs parterres de 43 buissons de fleurs chacun
• Pour les autres allées : 4 parterres de 28 buissons de fleurs chacun, 10 parterres avec 4 buissons de fleurs, 10 parterres avec 2 buissons de fleurs, 10 parterres avec 6 buissons de fleurs.
• Combien de pavés Sandra devra-t-elle commander ?
c. Trouve un moyen qui permettrait de calculer le nombre de pavés nécessaires quel que soit le nombre de buissons de fleurs.
d. Rédige ce moyen avec tes mots : _____________________
e. Exprime ce moyen à l’aide d’une formule : _____________________
Après avoir travaillé sur cet exercice, je pensais que mes élèves étaient prêts pour résoudre seuls des problèmes du même type. Je me suis vite rendu compte qu’ils ne l’étaient pas et je ne savais pas comment leur faire comprendre la « logique » de résolution. Je n’arrivais même à déceler leurs problèmes dans la compréhension.
L’année d’après, j’ai décidé de mettre les élèves en groupes pour réaliser le travail, en voici une expérience.
Au début de l’activité les élèves lisent seuls le problème, pendant environ cinq minutes, et ils essayent de répondre à certaines questions s’ils y arrivent. Les cinq minutes passées, ils commencent à parler.
Très vite, des tendances se dessinent dans les groupes. Dans certains groupes, l’élève qui a déjà bien compris prend la parole et explique aux autres ce qu’il a compris. Il propose aux autres élèves son dessin pour un parterre de cinq buissons de fleurs. Discussions et mises au point, les élèves avancent dans l’exercice sans que j’aie le temps d’intervenir, je les interromps uniquement pour vérifier la compréhension et la participation de tous.
Dans d’autres groupes des tensions se font sentir :
Madame, son truc c’est n’importe quoi !
Effectivement, l’un compte le double du nombre de buissons pour avoir le nombre de pavés au-dessus et en dessous, et ajoute 6 pavés de chaque côté ; l’autre compte le nombre de buissons, ajoute 2 et multiplie la réponse par 2 pour avoir le nombre de pavés au-dessus et en dessous, et ajoute encore 2 pavés pour compléter le parterre à gauche et à droite.
As-tu essayé de comprendre son truc ? De vérifier si son idée était correcte ?
Il ne l’a même pas expliqué convenablement !
Je propose alors aux membres du groupe d’écouter toutes les idées et les différents arguments pour pouvoir avancer dans le travail. Scénario étrange dans un dernier groupe : pas de dessin pour le parterre de cinq buissons. L’idée défendue par une élève ne convainc pas les autres. Elle veut rassembler le parterre de deux buissons et le parterre de trois buissons, en rassemblant tous les pavés des deux parterres. Je lui demande de dessiner pour qu’on puisse tous s’en faire une idée.
_
Et celui qui est seul ?
Il ne faut pas le mettre !
L’une d’entre elles regarde sa voisine.
T’as compris quelque chose ?
Visiblement l’idée « On construit les parterres de fleurs toujours de la même façon, quel que soit le nombre de buissons » n’a pas été perçue par cette élève.
J’insiste pour que les autres membres du groupe fassent leur dessin, le dessin représentant leur idée pour avoir des points de comparaison. Une élève se décide à faire son dessin, je leur demande de comparer et d’argumenter.
Dix-sept minutes sont déjà passées depuis le début du travail en groupe et la confrontation ne mène à rien. J’interviens, la situation doit être débloquée.
Reprenons pas à pas le mode construction du deuxième dessin. Combien y a-t-il de pavés au-dessus des buissons ? Et en dessous ? Et sur les côtés ? Pour le parterre à trois buissons, combien y a-t-il de pavés au-dessus des buissons ? Et en dessous ? Et sur les côtés ? Comment construiriez-vous un parterre à 4 buissons ? 14 buissons ? 20 buissons ?
Les élèves du groupe reprennent la situation en main. Pendant ce temps, les autres groupes se perdent dans les calculs du point b. Ils trouvent eux-mêmes le problème, ils me disent qu’ils ont mal lu la consigne et n’ont pas vu qu’il y avait une commande de plusieurs parterres pour un même nombre de buissons.
J’insiste dans presque tous les groupes pour qu’ils expliquent leur raisonnement clairement et qu’ils en fassent un partage. Ce n’est qu’après l’expression orale de leurs idées qu’ils peuvent avancer dans l’activité.
Pour la mise en commun, je demande à un élève de venir expliquer (à l’aide d’un dessin) les idées du groupe dans lequel il a travaillé. Les autres élèves ont pour consigne de comprendre les idées données et de les comparer avec les leurs. Un autre élève, qui a une autre solution, vient l’expliquer devant la classe. Finalement, deux possibilités sont retenues pour les parterres de fleurs. Nous nous mettons d’accord sur le fait que les idées différentes permettent d’arriver à la même géométrie et que donc les expressions algébriques doivent être égales.
Nous égalons les expressions trouvées.
Il faut poser le rectangle avec 5 pavés comme référent (n).
2 . n + 6 = 2 . (n + 2) + 2
Quand je regarde les deux expressions je ne vois pas qu’elles sont égales, car les caractères d’écriture sont différents. Comment montrer algébriquement que ces expressions sont égales ?
Il faut distribuer !
2 . n + 6 = 2 . n + 4 + 2
Et ensuite ?
Il faut faire 4 + 2 ça fait 6 !
2 . n + 6 = 2 . n + 6
Je leur ai ensuite proposé un second exercice et me suis rendu compte qu’ils avaient pu s’approprier la logique de résolution et l’utiliser dans un autre contexte.
Les carrés accolés
Observe les figures suivantes : elles sont chaque fois composées de deux carrés dont la longueur des côtés diffère de 1 cm.
a. Recherche le périmètre d’une figure dont le côté du grand carré a une longueur de :
10 cm : ______________
56 cm : ______________
b. Trouve un moyen qui permettrait de calculer le périmètre de n’importe quelle figure construite sur le même modèle en connaissant la longueur du côté du grand carré.
Rédige ce moyen avec tes mots : _____________________
Exprime ce moyen à l’aide d’une formule : _____________________
L’activité sur les carrés accolés pose moins de problèmes au groupe de filles qui avait été bloqué par les parterres de fleurs, tandis qu’elle semble plus difficile pour le groupe qui avait très vite commencé.
Bien qu’ils avancent rapidement dans la réflexion, deux problèmes majeurs les bloquent : le lien entre le petit et le grand côté et le concept de périmètre. À plusieurs reprises, les élèves doivent se rappeler ce qu’est le périmètre d’une figure. Le lien entre le grand et le petit côté n’est pas évident, je dois les guider vers la réponse.
Vous avez choisi la lettre x pour représenter le grand côté. Comment définir, à l’aide de la lettre x, le petit côté sachant qu’il a 1 cm de moins que le grand côté ?
x – 1 cm !... x – 1 !
On obtient l’égalité suivante :
2 . a + (a + (a – 1)) . 2 = 3 . a + 3 . (a – 1) + 1
2 . a + (2 . a – 1) . 2 = 3 . a + 3 . (a – 1) + 1
2 . a + 4 . a – 2 = 3 . a + 3 . a – 3 + 1
2 . a + 4 . a – 2 = 3 . a + 3 . a – 3 + 1
6 . a – 2 = 6 . a – 2
Finalement, nous avons pu revoir, à travers les deux activités, des notions de calcul algébrique : la distributivité simple, l’addition de termes semblables… Nous avons pu travailler le concept d’identités (expressions égales). La lecture de consignes et la résolution de problèmes ont été mises en avant.
De mon côté, j’ai pu mettre le doigt sur des difficultés que pouvaient rencontrer les élèves dans des situations du même type. Les élèves peuvent être arrêtés dès le départ, s’ils ne comprennent pas le processus de récursivité, s’ils ne savent pas faire le dessin. Ils peuvent mal comprendre les consignes, ne pas savoir ce que je leur demande. Le passage à la généralisation est complexe, d’autant plus quand une valeur dépend d’une autre. Pousser sa réflexion à maturation, par des questions, n’est pas évident pour tous les apprenants.
Mais avant tout, j’ai la nette impression que les élèves se sont approprié les problèmes parce qu’ils se sont posé des questions. Seuls, il ne leur viendrait peut-être pas à l’esprit de formuler leurs idées et questions. À plusieurs, ils doivent poser des questions aux autres membres du groupe pour avancer, les membres du groupe doivent formuler et faire aboutir leurs réflexions. Les échanges permettent de mener les intuitions vers une réflexion et une solution. Au niveau du ressenti, les élèves se sentent plus en confiance, leur motivation augmente, seuls, ils bloquent (paroles d’élèves). Alors, confrontons !
Sources : J. VLASSIS, I. DEMONTY, L’algèbre par des situations-problèmes au début du secondaire, de Boeck, Bruxelles, 2002.
Ministère de la Communauté française, AGERS, Service général du Pilotage du système éducatif, Évaluation externe non certificative, Mathématiques, 2e année de l’enseignement secondaire, Pistes didactiques, 2008.