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Le gouvernement gouverne. Le « Contrat pour l’École » en est le reflet.
Le gouvernement décrète, il décide, il influe, il tente d’imposer. Il négocie avec les syndicats, les fédérations de pouvoirs organisateurs... et donc aussi avec lui-même.

Le gouvernement pilote. Il évalue, teste, oriente, conseille, met en place des cellules qui émettent des pistes, des tendances. Incontestablement, cette législature est particulièrement active. Ce qui n’est pas toujours facile à suivre. Certains diront qu’après les années de rationalisations en tous genres et avec les résultats très inégalitaires de notre enseignement, il était temps. En général, les intentions sont généreuses, intéressantes et de préférence, peu coûteuses. Et après...

Il appartient à chaque enseignant, acteur du terrain, de mettre en œuvre dans sa pratique les consignes et décrets imposés. Or, entre décret et mise en application, il y a souvent de la marge. Une réforme nécessite une action collective, une bonne information, un accompagnement des équipes qui la vivront, une écoute de tous les partenaires concernés, y compris les élèves et leurs familles, des rencontres entre l’institutionnel et l’humain, des soutiens, des concertations, des temps de formation, de coordination et de synchronisation. Et à l’image d’un orchestre, il est indispensable que quelqu’un donne le « la » afin d’assurer la cohérence de la partition. Ce rôle échoit principalement au chef d’établissement qui au quotidien assume la continuité et l’accompagnement des équipes éducatives. Il joue un rôle essentiel dans la dynamique d’une école.

Trois fonctions principales pour la direction

Le récent décret fixant le statut du directeur d’école lui attribue trois fonctions principales : administrative, pédagogique et relationnelle. Ces trois fonctions ont toutes leur importance et pour que l’une marche, les deux autres doivent être fortes.

La fonction administrative couvre un champ très vaste. Cela comprend la tenue journalière des tâches demandées par l’administration, mais aussi la gestion et l’entretien du patrimoine, la direction du personnel non enseignant, l’organisation générale de l’établissement, la participation aux réunions diverses... Si une bonne organisation, une gestion du temps maîtrisée et une utilisation optimale de l’outil informatique permettent d’atténuer la charge administrative -certaines directions se réfugient parfois derrière cette trop lourde fonction parce que les deux autres volets de la fonction leur demandent un certain engagement personnel-, il faut admettre que les règles se sont complexifiées et les tâches nouvelles se sont multipliées. Sans compter la multitude d’actes à poser quotidiennement pour la simple gestion matérielle des établissements. La vie quotidienne d’une école est envahie de petits problèmes matériels, souvent urgents, qui demandent des réponses rapides et efficaces pour le bien-être et la sécurité de tous.

La fonction relationnelle représente une part non négligeable du travail. Ainsi, il est important de relever qu’il ne s’agit pas uniquement des relations au sein de l’équipe éducative puisque l’article 8 du dit décret spécifie « le directeur est responsable des relations de l’établissement scolaire avec les élèves, les parents et les tiers ». La direction se situe en permanence à l’interface entre tous les partenaires concernés. Des demandes venant du haut et des souhaits venant du bas, il se trouve à hauteur du « goulet de l’entonnoir ». Il doit donc jongler en permanence avec les relations multiples dont il est le centre. Il doit trouver l’équilibre afin que l’harmonie règne au mieux entre toutes les parties entre autres pour assurer sa mission pédagogique. Celle-ci trouvera écho et pertinence à partir de socles relationnels forts.

Illustrons ce propos en partant d’un exemple vécu dans les écoles fondamentales : le renforcement de l’encadrement des élèves de 1re et 2e primaires. Les écoles primaires reçoivent des périodes complémentaires et peuvent ainsi engager de nouveaux enseignants. Sur base du nombre d’élèves en 1re et 2e primaire, elles doivent affecter ces périodes à ces classes afin d’assurer un encadrement optimal dès le début des apprentissages. Cette mesure est très intéressante entre autres dans la lutte contre l’échec scolaire. Pour rendre cet encadrement performant, il importe que la direction, dans sa mission pédagogique, écoute ses enseignants, connaisse les élèves, soit soucieuse de ceux qui sont en difficulté et coordonne le mieux possible les enseignants qui en auront la charge. À côté du savoir-faire des instituteurs, ce travail de suivi des élèves et de lien avec l’équipe éducative demande du temps pour animer efficacement les conseils de classe, les concertations, rencontrer les parents pour lesquels il faut être disponible afin de les écouter, les rassurer, les conseiller ou avec d’autres services comme les PMS les écoles de devoirs, les centres de santé... Autant d’actes utiles pour que cette mesure d’encadrement porte pleinement ses fruits.
Il en va de même du suivi des projets pédagogiques, pour la mise en œuvre des recommandations des services d’inspection qui vont être amenés à se concentrer sur le contrôle de l’application des décrets, pour les remédiations à apporter si, suite aux épreuves externes, telle école doit se reprofiler pour répondre aux socles de compétences. Ce ne sont là que quelques exemples de la mission pédagogique.

Missions réalisables ?

Une direction d’école peut-elle concilier toutes ces fonctions avec efficacité, performance et dans la durée ? Nous ne le pensons pas. Certes, le nouveau statut des directeurs d’établissement définit assez clairement les missions qui leur incombent, et par conséquent celles qui incombent aux pouvoirs organisateurs, ces derniers, souvent affaiblis ou peu concernés, en particulier dans l’enseignement libre, délèguent de nombreuses missions à la direction.
Or, de nombreuses directions -surtout dans l’enseignement fondamental- sont seules pour assurer l’ensemble des tâches d’une gestion d’école. Elles sont à la fois économes, gestionnaires des bâtiments (ce qui leur prend bien du temps vu l’état de certains d’entre eux), comptables. Elles assument les rôles d’écoutant, d’assistant social, de soignant, d’administratif. Elles sont sans cesse sollicitées et dispersées par dix choses différentes de la vie quotidienne d’une école, coordonnent le temps scolaire comme l’extrascolaire... Bref, sont au four et au moulin et savent difficilement remplir convenablement leurs missions. Une enquête portant sur un échantillon de cent vingt-quatre directions d’écoles fondamentales représentatives l’a clairement démontré : seuls 10 % d’entre eux, moyennant des conditions favorables, parvenaient à concilier leurs différentes fonctions.
Bien entendu, il existe autant de directions qu’il y a d’écoles fondamentales : que l’école compte peu ou beaucoup d’élèves, qu’elle soit attachée à une école secondaire qui, elle, bénéficie d’un vrai encadrement administratif (pourquoi cette différence ?), qu’elle soit soutenue par un pouvoir organisateur efficace ou inexistant. De plus, l’École se situe dans un contexte qui s’est fondamentalement transformé. Alors qu’autrefois elle imposait une coupure nette entre univers scolaire et univers familial, aujourd’hui des parents et les décideurs politiques et économiques sollicitent en permanence l’institution scolaire : performances, éducations tous azimuts.... Malgré cette complexification, la fonction de directeur d’école n’a pas reçu le soutien nécessaire.

Le pilotage des écoles, et surtout des écoles fondamentales, nécessite la présence d’au moins deux fonctions distinctes et complémentaires : une fonction administrative et gestionnaire, confiée à une personne qui a des compétences dans ce domaine, chargée de la maintenance matérielle de l’établissement et de tous les aspects liés à l’économat et aux finances. Une fonction pédagogique et relationnelle, confiée à un enseignant formé pour cette tâche par une formation initiale et continuée à savoir un solide bagage psychopédagogique, sociologique et en relations humaines et par une supervision constante, en étroite collaboration avec les inspections. Cette direction serait chargée de gérer le projet pédagogique, de soutenir ses enseignants, en particulier les débutants, de la continuité et le suivi des élèves, de la dynamique de l’équipe éducative et de construire les liens entre tous les partenaires dans et hors l’école. Il s’agit d’une direction collégiale avec une responsabilité partagée en plaidant pour que les intérêts pédagogique et éducatif priment sur le matériel. Il ne s’agit pas dès lors d’adjoindre à l’école une aide administrative insignifiante (le décret prévoit une aide pour mille élèves). Cela doit aussi s’accompagner d’une revalorisation barémique au regard de l’importance et de la complexification de la fonction et du temps de formation nécessaire pour devenir compétent dans toutes les matières de celle-ci.

Le pilotage des écoles vit. Les directions avec leur équipe éducative réalisent un extraordinaire travail et les initiatives sont nombreuses, mais les réformes du contrat pour l’école amélioreront les performances de notre enseignement lorsque ce pilotage au niveau des écoles sera significativement renforcé. De plus en plus de pouvoirs organisateurs rencontrent des difficultés à recruter des directions qui sont de plus en plus jeunes et gardent leur fonction de moins en moins longtemps. Il est indispensable d’apporter des réponses fortes à ce défi si on veut voir l’École évoluer dans le sens du décret « Missions » et du « Contrat pour l’École » proposé par le gouvernement de la Communauté française.

Pierre Smets est instituteur, ex-directeur d’une école fondamentale.