Contre-Educatif à la Base

Dans notre école, l’arrivée des épreuves externes certificatives de la Communauté française a été une révolution.

Jusqu’à l’arrivée des nouvelles épreuves externes, nous organisions nos propres épreuves en fin de 6e, principalement la réalisation d’un Chef-d’œuvre et le passage de brevets attestant les compétences de base en mathématiques et en français. Cette manière d’évaluer était l’aboutissement cohérent de nos pratiques coopératives Freinet.

Cependant, ce n’est pas d’un mauvais œil que nous avons vu ces nouvelles épreuves arriver. Après tout, un regard extérieur sur l’efficacité de nos pratiques ne peut être qu’enrichissant. Même si ce regard est très formaté et partiel, dirigé uniquement sur certaines compétences : on est loin des quatre objectifs du décret Missions.

La compétition est ouverte

La première année, les épreuves ont été abordées avec une certaine sérénité, personne ne sachant vraiment à quoi s’attendre. Tout s’est bien passé jusqu’au jour de la remise des diplômes. Chaque enfant en venant signer son diplôme recevait une farde contenant les évaluations de l’année ainsi qu’un document regroupant les résultats chiffrés obtenus lors des épreuves. Quelle surprise pour nous, équipe pédagogique, quand nous avons vu certains parents se ruer sur les fardes de leur enfant alors que la cérémonie était encore en cours, pour regarder les résultats aux épreuves (et si ce n’était que cela, on pourrait encore comprendre) mais aussi comparer les résultats de leur enfant avec ceux du voisin. Nous qui travaillons depuis toujours dans un esprit de coopération… La déception était grande de voir la nature compétitive de certains reprendre si vite le dessus.

La deuxième année, fort de cette expérience, nous avons décidé de ne plus rendre les pourcentages, mais juste une couleur (rouge, orange ou vert) signifiant la réussite (avec ou sans fragilité) ou l’échec. Cela a permis d’éviter les scènes de l’année précédente, mais entretemps, nous avions dû faire face à un nouveau phénomène. Les épreuves de la première année étant accessibles sur Internet, certains parents inquiets avaient organisé pour leurs enfants des séances d’entrainement aux épreuves, les dimanches matins durant les mois de mai et juin.

Bachotage, quand tu nous tiens

Pour comprendre ce phénomène, il faut savoir que nous avons pris le parti de ne pas faire passer en classe les épreuves des années précédentes. Nous ne voulons pas bachoter au sens de préparer hâtivement un examen pour le réussir et non pour apprendre un savoir. Nous sommes persuadés que le travail que nous menons chaque jour avec eux dans l’esprit de notre pédagogie est suffisant pour leur permettre d’acquérir les compétences de base définies dans les socles de compétences. Reste alors la question de la présentation des épreuves, du style d’exercices proposés et de la capacité d’adaptation des enfants à ce type de travail. Pour éviter de pénaliser les enfants plus faibles et moins capables de transférer ce qu’ils connaissent à de nouvelles situations, nous avons tout de même décidé de les confronter en cours d’année, à l’une ou l’autre reprise, à des questions et exercices sortis des épreuves externes des années antérieures. De plus, dans les moments de travail en classe, nous avertissons les enfants de ce qu’ils risquent de rencontrer comme exercice ou comme matière dans ces épreuves.

Et pourtant, malgré ces quelques aménagements et la confirmation annuelle de la réussite de nos élèves, l’inquiétude des parents ne diminue pas et la pression sur la classe, l’enseignant et les enfants est grandissante.

De la pression des médias à la pression dans la classe

Mais alors, me direz-vous, en quoi toute cette agitation hors école peut-elle déranger les enseignants ? Et bien en rien, me suis-je finalement dit au bout de trois années d’opposition face à ceux qui organisaient des entrainements aux épreuves. Mais là, nouveau cas de figure. Certains enfants avaient accumulé tellement de pression de la maison qu’ils perdaient leurs moyens lors du jour J. Et là, soyons-en bien conscients, c’est contreproductif. Si chaque enfant ne peut arriver assez serein et sûr de lui que pour donner le meilleur de lui-même, toutes les préparations du monde ne serviront à rien. Alors je continue à conseiller à chaque parent qui vient me voir de veiller à ce que son enfant se repose bien, se détende et se nourrisse sainement.

Il me semble que la pression médiatique est particulièrement importante face à ces épreuves. Les journaux publient les sujets de chaque journée d’épreuve et même des entrainements pour celles-ci. Certaines maisons d’édition ont fait paraitre des ouvrages spécialement prévus pour se préparer ou, devrais-je dire, se formater aux épreuves ? Des équipes entières de coachs pédagogiques proposent aux parents et à leurs enfants des séances de préparation aux examens (les panneaux publicitaires sont déjà affichés plus de deux mois à l’avance le long des routes du Brabant Wallon).

Si la réussite de ces épreuves dépend de l’investissement horaire et financier des parents, je me pose vraiment la question de l’égalité des chances dans notre enseignement. Mais rassurons-nous, il ne semblerait pas que ce soit le cas. Seuls certains parents veulent y croire. Mon propos est bien sûr à replacer dans le contexte de l’école dans laquelle je travaille, où la majorité des familles font partie d’une classe économiquement, socialement et culturellement favorisée.

Envie d’apprendre ou envie de réussir

Des situations d’évaluation, telles que les épreuves externes, peuvent parasiter l’envie d’apprendre au profit de l’envie de réussir. Cette bascule de l’apprentissage à la réussite n’est pas un problème tant qu’elle se limite au jour de l’examen. Mais quand l’objectif général de la 6e primaire devient la réussite des épreuves et non plus l’apprentissage, il me semble que nous mettons les enfants en danger.

Notre inspecteur nous disait l’année dernière à quel point il était facile d’augmenter la moyenne d’une classe de 5 % en faisant passer les épreuves des années précédentes. Mais quelle est donc la valeur de ces 5 % en terme d’apprentissage à long terme ? Pour un enfant qui réussit, ce pourcentage ne fait pas de différence et pour un enfant qui serait en difficulté, ce pourcentage risquerait de le mettre en danger. Je préfère un enfant qui a 48 % et à qui je vais donner le CEB (car pour rappel, le conseil de classe formé par la direction et les enseignants de 5e et 6e a le droit d’accorder le CEB même s’il y a un échec à l’épreuve externe commune), car les parents et l’enfant sont conscients des difficultés à surmonter et du travail à mener et en ont les capacités. Dans ce cas, l’obtention du diplôme est aussi une preuve de confiance dans l’enfant.

Cette année, je me sens démunie. Je ne sais pas si je dois encore mettre de l’énergie à tenir un discours aux parents qui ne sera que peu entendu. Je continuerai à travailler avec ma classe comme je l’ai toujours fait et sans mettre de côté les idéaux et les valeurs auxquels je tiens. Mais je l’avoue… faire la 6e dans ces conditions n’est pas un plaisir.