Le Tous capables, à CGé, on y tient fort et ça ne date pas d’hier. Un brin de contexte pour situer cette affirmation et ses enjeux.
C’était une vraie provocation, au milieu des années 80, d’inviter des collègues-formateurs du groupe français d’éducation nouvelle (GFEN) qui ne se gênaient pas pour scander leur slogan Tous capables ! Dans un contexte où le handicap socioculturel était très à la mode et servait de justification aux inégalités.
D’aucuns ont bien rigolé dans leurs moustaches. D’autres ont crié aux cryptocommunistes. Nombreux aussi ceux et celles qui ont voulu voir de plus près et se sont inscrits aux formations proposées aux Rencontres Pédagogiques d’été, avec Michel Huber, Odette et Michel Neumayer. Quelques uns ont pioché dans les livres des Bassis et d’autres pionniers de l’éducation nouvelle qui remonte aux années 30 !
À CGé (qui n’était pas encore ChanGements pour l’égalité), nous réalisions Échec à l’échec avec des récits de pratiques en rupture avec le traintrain pédagogique. Des pratiques qui éveillaient les élèves et les étonnaient eux-mêmes de leurs résultats. Nous dénoncions les fausses évidences à la mode comme le trop fameux handicap déjà cité ou la plus pernicieuse égalité des chances (toujours très prisée par une certaine gauche).
Il était donc évident que nous allions faire un long chemin avec le mouvement français. En particulier avec Odette et Michel, des personnalités exceptionnelles. Avec eux, des centaines d’entre nous, aux ateliers des RPé, ont beaucoup travaillé et vécu intensément les exigences du tous chercheur, tous créateurs, tous inventeurs. Bien sûr, il y a eu aussi quelques zélateurs qui ne juraient plus que par l’auto-socioconstruction et qui ont prêté à rire.
Racines éthiques
À CGé, pas de monothéisme ! Nous avons continué à travailler et à nous inspirer du mouvement Freinet.
À lire Vasquez et Oury et surtout à introduire la pédagogie institutionnelle dans nos classes et en formations. Et donc à inventer des pratiques nouvelles, non seulement pour aborder les savoirs les plus difficiles, mais aussi pour transformer l’organisation, les relations et la vie des groupes.
C’est donc dans un terrain qui était plus humaniste qu’idéologique que le Tous capables ! a trouvé naturellement (?) sa place. Nous étions avant tout des femmes et des hommes de terrain. Nous pouvions, malgré les obstacles, constater que les yeux de nos élèves brillaient quand ils parvenaient, souvent ensemble, à relever des défis à première vue insurmontables. Ce n’est pas un hasard si un autre compagnon de route de nos deux mouvements, Albert Jacquard, répétait la réflexion d’une jeune élève : « Je préfère une réussite solidaire à un exploit solitaire. » Pour nous, il était illusoire de faire toujours plus de la même chose (les rattrapages). Nous cherchions donc inlassablement de nouveaux dispositifs d’appropriation des savoirs.
C’est ce qu’écrit Philippe Meirieu, un autre compagnon de la route de CGé, rencontré à la même époque. Rappel de son propos sur ce qu’il qualifie d’exigence éthique ou de pari de l’éducabilité : « Le grand enjeu, le pari fondateur ; tout enfant et tout homme est éducable… et l’histoire de la pédagogie comme celle des institutions scolaires n’est rien d’autre que la mise en oeuvre toujours plus audacieuse de ce pari : le choix de l’éducation contre celui de l’exclusion. La transgression permanente de tous les fatalismes. L’affirmation que rien n’est jamais perdu et que, au contraire, tout peut être gagné si on s’attache obstinément à inventer des méthodes qui permettent d’intégrer les petits d’hommes dans le cercle de l’humain… Un pari éthique : il faut toujours espérer le meilleur car c’est le seul moyen de le faire arriver. Un pari prudent : rien ne permet jamais d’affirmer qu’on a tout essayé et qu’il n’y a plus rien à tenter. »
Quand on transforme ses pratiques, son propre rapport aux savoirs, on se transforme soi-même. On change son regard sur les autres (élèves et adultes), sur la société, sur l’avenir. Le regard humaniste s’enrichit d’approches plus théoriques et politiques. On retrouve une liberté de penser, de s’engager, de construire avec d’autres (dont le mouvement pédagogique) les voies d’une société plus égalitaire.