Décret inscription

Pour inscrire leurs enfants en première année secondaire, les parents doivent disposer de deux papiers, fournis et partiellement complétés par l’école primaire dans laquelle ces enfants sont en 6e primaire. Les parents doivent compléter le premier en y ajoutant le nom de l’école secondaire qui est celle de leur premier choix et certaines données personnelles. Sur le second, ils doivent inscrire un nombre maximum de neuf écoles secondaires qui constituent leurs autres choix, par ordre de préférence. Les parents se rendront dans l’école de leur premier choix avec ces deux papiers. Le deuxième papier sera remis sous enveloppe fermée (qui ne sera ouverte que si l’enfant n’obtient pas de place dans l’école de son premier choix).

Pourquoi commencer un article par autant de détails administratifs[1]La procédure complète est expliquée sur le site suivant http://www.inscription.cfwb.be ? Parce que les personnes pour qui le décret inscription a été mis en place ont parfois bien des difficultés pour s’y retrouver !

L’année passée, au mois de janvier, nous avons, comme toutes les écoles de la fédération Wallonie-Bruxelles, distribué les papiers aux parents des élèves.

J’étais alors institutrice dans une classe de 6e primaire, dans une école de la région bruxelloise, fréquentée essentiellement par des enfants de milieux socioculturels défavorisés. “Aider les familles à comprendre les arcanes de l’École”

Envoyer simplement les papiers aux familles est impossible : beaucoup de parents ne peuvent pas lire le français, certains ne savent ni lire ni écrire.

Nous les avons donc invités à une réunion informative dans la classe de leurs enfants. La majorité des parents sont venus. Inquiets, ils avaient été alertés par les médias des « difficultés » qu’ils allaient rencontrer pour inscrire leurs enfants dans une école secondaire.

« Le décret inscription, c’est bon pour vous ! »

De curieux échanges ont eu lieu. Alors que ce décret a été mis en place pour permettre aux enfants de ces personnes d’accéder à plus d’écoles secondaires, de nombreux parents se sont mis à critiquer ce décret : « Mais pourquoi ont-ils fait cela ? Pourquoi est-ce qu’on ne peut plus inscrire nos enfants où on veut ? _ Quel bazar, ce truc, à quoi ça sert ? » Ce n’est pas facile de dire à des personnes socialement défavorisées qu’elles sont socialement défavorisées… Je me suis lancée et j’ai essayé d’expliquer en quoi ce décret était « fait pour eux ». Une maman d’origine marocaine, elle-même enseignante, a alors pris la parole pour préciser que si le décret avait bien été pensé pour qu’il n’y ait plus d’écoles secondaires ghettos, celles dans lesquelles leurs enfants pouvaient être inscrits, vu le critère de proximité géographique, étaient essentiellement des écoles ghettos.

Et c’est exact ! Tant que la population du quartier ne changera pas, les écoles de ce quartier ne seront pas mélangées socialement. Certaines écoles, anciennement fréquentées par les milieux les plus aisés, mais implantées dans des quartiers défavorisés, voient leur population scolaire changer. Et de celles-là, les enseignants, les parents, les médias parlent. Mais qu’en est-il des écoles secondaires qui se trouvent dans des quartiers comme celui dans lequel se trouve notre école ? Ce n’est pas encore demain que ces écoles-là seront mixtes socialement ! Faut-il en conclure que ces écoles sont de « mauvaises » écoles ? Ou bien ont-elles seulement de « mauvaises » réputations alors que le travail pédagogique qui s’y fait est de bonne qualité ? Et qu’est-ce qui me permettra, à moi, enseignante dans une autre école, de détecter, malgré cette « mauvaise » réputation, les qualités du travail pédagogique qui s’y fait ?

« Je cherche une bonne école »

Vinrent ensuite les questions sur les « bonnes » écoles secondaires. « Et vous, vous pouvez nous dire quelle est la bonne école dans laquelle je dois inscrire mon enfant. Mon enfant travaille bien, hein ? Alors il faut que je l’inscrive dans une école où il va devoir beaucoup travailler. Vous en connaissez une ? Moi, il n’est pas question qu’il aille dans une école du quartier. Il y a trop de violence. _ Mais je ne sais pas où le mettre. L’école X, c’est une bonne école ? »

Que répondre ? Faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes : « Toutes les écoles sont bonnes ! » ou nuancer en sachant que c’est faux : « Mais, parfois, il y a certains profs moins bons que d’autres. » Ou ne pas répondre : « Je ne connais pas les écoles secondaires. » Ou encore, essayer de leur donner un conseil : « Demandez bien ce qu’il se passe si votre enfant est en difficulté, comment on va l’aider, ce qui est organisé pour cela. »

Des formalités administratives compliquées

À la fin de la réunion, de nombreux parents viennent me trouver : « Dites, vous voulez bien m’aider à compléter le papier ? » Je ne suis pas surprise parce que je sais que l’écriture du français est une difficulté importante pour beaucoup de parents. Je propose d’être disponible les après quatre heures de la semaine suivante pour les aider.

Les parents les plus éloignés de la culture scolaire c.-à-d. ceux des élèves pour qui le choix (puisqu’aujourd’hui, choisir son école est nécessaire) d’une école secondaire est important ne connaissent aucun nom d’écoles secondaires. Tout au plus, ils peuvent vaguement en situer une dans le quartier. Parfois, ils citent un nom qu’un autre parent leur a renseigné. C’est alors moi qui, en un quart d’heure, complète les feuilles et décide de l’école dans laquelle l’enfant rentrera peut-être en secondaire !

Puis le temps passe… Des enfants arrivent en classe en m’annonçant qu’ils ont une place dans l’école où ils voulaient aller. Les autres interrogent : « Pourquoi je n’ai pas encore de réponse ? » Je rassure : « Elle va arriver ! »

Mais c’est parfois une autre réponse qui arrive : celle de la Commission Inter réseaux des inscriptions (CIRI) qui informe les parents de la situation de leur enfant en ordre utile et/ou en liste d’attente. Les trois parents des élèves de cette classe de 6e qui ont reçu la lettre de la CIRI sont venus me voir, incapables de comprendre cette lettre, et d’autant plus d’y répondre ! En fin d’année, une élève n’avait toujours pas reçu de réponse ni de l’école de son choix ni de la CIRI. Je rencontre ses parents qui me demandent de téléphoner à l’école de leur premier choix. Cette école était la plus proche de leur nouveau domicile et elle n’était certainement pas complète vu sa réputation de « mauvaise » école… Lors de l’entretien téléphonique, je comprends que ces parents avaient seulement déposé le second papier !

Décréter, mais aussi soutenir

Le décret inscription, parce qu’il cherche à mettre en place une mixité sociale des établissements scolaires, participera, sous certaines conditions, à la lente disparition du marché scolaire. Encore faut-il, pendant tout le temps de la transition (peut-être infini… La disparition du marché scolaire en Belgique n’est-elle pas une utopie ?) aider les familles à comprendre les intentions et les arcanes de l’École. Il est nécessaire d’expliquer aux parents comment est organisé l’enseignement en Belgique et quel est l’écart entre les « belles » intentions mises en avant et la « laide » réalité vécue sur le terrain. Certaines associations s’y sont attelées, mais il reste encore bien des parents qui ne sont pas informés. Financer les actions de ces associations et les mettre en place aux entrées des écoles pourraient être un premier pas vers une « bonne » école pour tous grâce à une « bonne » information pour tous !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La procédure complète est expliquée sur le site suivant http://www.inscription.cfwb.be