Comprendre, apprendre et mémoriser sont les étapes qui ont permis à des élèves de troisième secondaire de s’approprier deux notions importantes du cours d’histoire : le système autoritaire et le système démocratique.
Le programme du cours prescrit de former les élèves à la compréhension et à l’utilisation de trois concepts : le système autoritaire, le système démocratique et la stratification sociale.
Durant plusieurs années, j’ai suivi la linéarité historique du cours : les premières royautés antiques et l’organisation des sociétés, puis la République romaine et l’Empire romain, etc. À la fin de l’année, je me rendais compte que les élèves n’étaient pas autonomes dans leur réflexion. Très peu d’entre eux maitrisaient les concepts et très peu avaient acquis la capacité de faire des liens entre ce qu’ils avaient vu au début et à la fin de l’année, or tout se tenait !
« Un processus de plusieurs semaines pour acquérir un vocabulaire spécifique et technique. »
Apprendre à des adolescents de quatorze ans à réfléchir de manière autonome, à établir des relations, à utiliser des concepts complexes, demande du temps et beaucoup de patience. La lecture de l’ouvrage de Joseph Stordeur [1]J. Stordeur Comprendre, apprendre, mémoriser : les neurosciences au service de la pédagogie, Joseph Stordeur, De Boeck, 2014. est venue étayer ma réflexion et sur cette base, brique après brique, j’ai bâti mon dispositif pédagogique pour ce cours d’histoire.
Les programmes scolaires sont très denses et nous obligent à travailler sur plusieurs plans en même temps. Cependant, il est très compliqué pour un apprenant de cet âge d’effectuer une double tâche, dans ce cas-ci : repérer et maitriser un concept et son vocabulaire spécifique, tout en le découvrant au travers de l’analyse de documents historiques. J’ai donc décidé de disséquer le programme, d’en retirer la substantifique moelle : les trois concepts et leur vocabulaire spécifique.
Pourquoi partir du concept avant toute autre connaissance historique ? Un concept en histoire est une véritable grille de lecture pour étudier le passé et le présent. C’est un outil très riche qui nécessite d’y consacrer tout le temps nécessaire. Avant d’entamer l’étude des premières royautés antiques, je devais m’assurer que tous reconnaissaient les signes d’un système autoritaire.
Au cours de cette étape, il est indispensable de mobiliser des savoirs déjà-là pour y accrocher peu à peu les nouveaux savoirs en construction [2]Ibidem.
Mobiliser des savoirs déjà-là nécessite de partir d’informations que tous les élèves maitrisent. Le professeur peut décider, dès le début de l’année, de partir de concepts très simples, voire basiques, afin d’être sûr de rallier tous les apprenants.
Je suis partie du postulat que tout élève, au terme de sa deuxième secondaire, connais la notion de chef comme quelqu’un qui a du pouvoir, qui prend des décisions. Pour construire le concept de système autoritaire, je me suis servie de cette notion pour y accrocher progressivement de nouvelles données plus complexes.
Les élèves ont été placés en situation d’observation de dirigeants qui ont marqué leur époque à travers le documentaire : Une journée dans la vie d’un dictateur.
Pendant la projection, ils avaient pour consigne de classer, dans un tableau à double entrée, les informations qu’ils collectaient sur l’exercice du pouvoir par Staline, Amine Dada et Kadhafi : comment deviennent-ils des chefs ?, comment conservent-ils leur rôle de chef ?, quelles règles mettent-ils en place pour conserver leur place de chef ? et quelle image donnent-ils d’eux-mêmes ?
Au terme du documentaire nous avons échangé, en groupe classe, les informations recueillies. À cette étape, les élèves avaient des images mentales communes sur ce qu’était un dictateur. Il nous restait à structurer ces données pour faire ressortir les caractéristiques d’un système autoritaire.
Les élèves ont alors reçu un tableau conceptuel du même type que le précédent dans lequel les questions étaient remplacées par des items plus techniques et plus universels : légitimité du pouvoir, outils du pouvoir (répression, censure, propagande), culte de la personnalité.
Bientôt confrontés à de nombreux autres exemples de chefs autoritaires, les élèves complèteront cette grille conceptuelle afin de la rendre la plus universelle possible. Ainsi, notèrent-ils déjà, qu’un coup d’État est une technique courante pour légitimer un pouvoir. Ils découvriront bientôt que les élections sont aussi une manière de devenir gouvernant dans une dictature.
Jusqu’ici, je n’avais fait qu’accrocher de nouveaux savoirs à des savoirs déjà-là.
L’étape 1 de mon dispositif me permettait de vérifier la compréhension de tous les élèves sur le savoir en question. Cela ne signifiait pas pour autant qu’ils étaient en mesure de l’utiliser. Pour m’assurer que tous arriveraient à jongler avec les différents éléments du concept, il fallait, dans la deuxième étape de l’apprentissage, permettre des sollicitations répétées sous différentes formes [3]Ibidem.
C’est en effet la répétition qui fixe durablement le nouveau savoir. La sollicitation répétée doit nécessairement être organisée par le professeur et être essentiellement réalisée en classe, car les inégalités entre élèves sont plus susceptibles d’apparaitre à cette étape.
Les élèves ont pris connaissance du vocabulaire que j’allais utiliser et qui serait indispensable pour la suite du cours. J’ai donc mis en place des outils pour permettre aux élèves d’assimiler ce nouveau vocabulaire. Une liste reprenait les termes avec leur sens politique, et des mots dont la définition se trouvait sur l’application Quizlet.
Chaque cours était consacré à l’apprentissage de ce vocabulaire spécifique à travers des activités variées. Les élèves étaient testés, chaque semaine, en classe, avec autocorrection immédiate.
Des extraits tirés du livre Et si je devenais dictateur, de Mikal Hem m’ont permis de confronter les élèves à divers despotes du XXe siècle et de repérer des éléments typiques d’un système autoritaire
Les élèves, en groupes de quatre ou cinq, recevaient une trentaine d’extraits du livre et cinq enveloppes portant les inscriptions : répression, censure, propagande, légitimité du pouvoir et culte de la personnalité. Chaque extrait devait être placé dans la bonne enveloppe. Les élèves devaient donc mettre en pratique leur connaissance de ces termes.
Chaque élève lisait à haute voix un des extraits et déterminait, seul, à quelle caractéristique il l’associerait. Les autres élèves du groupe pouvaient éventuellement intervenir par rapport au choix posé. Ce moment de confrontation entre pairs — le conflit sociocognitif — est un excellent moyen d’apprendre. Les discussions étaient vives. Si un élève demandait de l’aide, je le renvoyais toujours vers les définitions du cours.
Une fois les trente exemples triés, je vérifiais leur classement, en silence, en mettant de côté les extraits incorrectement classés et je leur demandais de trouver l’enveloppe adéquate.
Afin de mettre les élèves plus individuellement face à leur connaissance effective des termes du concept, un court documentaire sur la Corée du Nord contemporaine leur a été projeté pendant lequel ils devaient compléter un tableau en utilisant les termes techniques de leur liste.
Nous avons vu que les évocations répétées des nouveaux savoirs sont indispensables pour qu’ils restent en mémoire et soient utilisés plus tard dans des activités complexes. Les élèves ont suivi un processus de plusieurs semaines pour acquérir un vocabulaire spécifique et technique. Une fois les termes suffisamment ancrés, j’ai pu espacer les sollicitations lexicales et introduire le cours sur les royautés antiques.
À l’aide de documents écrits et de bas-reliefs antiques, les élèves étaient amenés à examiner ces peuples et leurs chefs. L’analyse des documents historiques n’était certes pas aisée, mais ils savaient ce qu’ils cherchaient (des traces de propagande, des indices de légitimité du pouvoir…), ce qui rendait la tâche moins ardue. La gradation des étapes n’a pas provoqué de surcharge cognitive et a permis la consolidation durable de leurs connaissances.
Les évaluations de décembre ont été un excellent moyen de mettre à l’épreuve le dispositif et le travail d’appropriation des concepts. Au cours de l’examen, il s’agissait d’évaluer la nature autoritaire d’un pouvoir. Huit documents étaient à analyser et concernaient le règne de Louis XIV, époque jamais étudiée par les élèves. Le seul élément auquel ils pouvaient se raccrocher était le tableau conceptuel comme grille d’analyse.
Durant les deux heures d’examen, j’ai observé mes élèves et je sentais émaner d’eux une sensation de maitrise. La plupart d’entre eux ont utilisé le temps imparti et je n’ai assisté à aucun abandon comme cela arrivait auparavant. Ils se sont dépassés, car ils étaient outillés pour y arriver. La correction des copies de mes quatre classes de troisième a confirmé mon impression : les résultats étaient bien meilleurs que pour l’examen similaire de l’année précédente.
Pour la petite histoire, les élèves réalisaient qu’ils n’auraient qu’une feuille à étudier pour l’examen…, « Mais quelle feuille ! », rajoutaient-ils. Ils étaient conscients de tout le travail que nous avions effectué pendant près de deux mois. Sans l’engagement des élèves dans l’apprentissage, le processus aurait été fastidieux, et sans la mise en place d’activités structurées et structurantes, beaucoup se seraient sentis dépassés.