Le jeudi, c’est le jour des cours philosophiques à l’école. Et dans une école primaire communale de la Région bruxelloise, cela fait beaucoup de cours organisés : cours de religion catholique, islamique, protestante, orthodoxe, israélite et cours de morale non confessionnelle.
Dans le 1er cycle, cycle dans lequel je travaille, cela fait neuf professeurs supplémentaires dans l’école : deux pour le cours de religion catholique, deux pour le cours de religion islamique, deux pour le cours de morale non confessionnelle et un professeur pour chacun des autres cours).
Partager quatre-vingts enfants, âgés de 6 à 8 ans, entre neuf locaux n’est pas toujours facile ! Aujourd’hui, c’est Bilal qui, après avoir été à la toilette, ne retrouve plus le local dans lequel il était ! C’est la 4e fois que le cours philosophique auquel il assiste change de local ! Alors, à 6 ans, même si on commence à pouvoir se déplacer seul dans l’école, on oublie parfois encore de quel local on vient ! Hier, c’était Karolina qu’on a retrouvée pleurant dans les couloirs : le professeur de cours philosophique qui enseignait dans sa classe lui a refusé l’accès à celle-ci, fatigué par les trop nombreuses interruptions de son cours par des enfants qui avaient oublié du matériel.
Procurer à chacun de ces enseignants un local pose de réels problèmes d’organisation dans une école primaire. Nos quatre locaux (c.-à-d. les classes de 1e et 2e primaires) sont évidemment occupés par les élèves qui suivent un de ces cours, mais il faut encore trouver cinq locaux supplémentaires, ce qui est parfois un vrai casse-tête. En tant que titulaire de 1re année, je dois donc quitter mon local pendant ces deux fois cinquante minutes. Je me retrouve dans la salle des profs avec mes collègues où nous tentons de nous organiser pour profiter de ces moments pour concerter. Certains des cours philosophiques se donnent dans de très petits locaux, très peu adaptés à l’enseignement. Parfois même, il n’y a pas de local disponible ! Il faut dire que certains des professeurs de cours philosophiques ne donnent cours qu’à un seul élève !
Jeudi dernier, mes collègues et moi avions décidé de nous retrouver pendant les deux périodes de cours philosophique pour mettre au point une progression en géométrie entre la 1re et la 2e primaire. En arrivant le matin, sur le tableau des professeurs absents était inscrit le nom du professeur de religion catholique des 1ère années. Ma collègue et moi devions donc nous occuper de ces enfants. Envolée la concertation sur la géométrie et improvisées les activités proposées aux élèves !
Quand un de ces nombreux enseignants est absent (et comme ils sont si nombreux dans l’école, nous sommes souvent confrontées à l’absence d’un ou l’autre de ces enseignants), nous nous retrouvons dans la salle des profs pour concerter, mais en présence d’une dizaine d’élèves… Nous décidons alors, soit de concerter en proposant à nos élèves des tâches « occupationnelles », soit de ne pas concerter et de profiter de ce temps pour nous occuper plus particulièrement de ces élèves. Comme l’absence d’un de ces enseignants ne peut se prévoir, que l’on décide de concerter ou de travailler avec les élèves, c’est toujours du bricolage !
Mercredi, 10 h 30 : Patrick, qui suit le cours de religion orthodoxe, et qui est le seul à le suivre, sort de la classe. Aucun professeur n’a pu être trouvé pour dispenser ce cours pendant les mêmes périodes que les autres cours philosophiques. Il m’est interdit (par décret, s’il vous plait !) d’aborder de nouvelles notions pendant ces cent minutes. J’organise donc des « travaux dirigés » (citation du décret) dont Patrick ne profitera pas.
L’organisation actuelle des cours philosophiques, bien qu’elle semble accueillir les différences religieuses, n’en permet pas toutefois un accueil critique. Alors que le décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active permet de « rassembler les élèves inscrits à des cours philosophiques différents sous la tutelle des enseignants chargés de ces cours œuvrant en partenariat », aucun professeur de cours philosophiques n’utilise cette possibilité dans l’école où je travaille. Au contraire, les enfants sont séparés dans des locaux différents pendant les deux périodes qui sont consacrées aux cours philosophiques. Ils ne connaissent rien sur les religions différentes de la leur, refusent parfois, lors de sorties scolaires, de visiter un lieu de culte d’une autre confession, s’étonnent de voir des enfants de nationalités différentes fréquenter les mêmes cours philosophiques ! Quand un professeur de cours philosophique est absent, les autres professeurs qui enseignent d’autres confessions refusent parfois de prendre en charge ces enfants sous prétexte qu’ils craignent des critiques des parents, critiques parfois bien réelles !
Non seulement l’organisation actuelle des cours philosophiques ne confronte pas les élèves à la diversité, mais elle ne les rend certainement pas conscients qu’ils sont libres de changer de convictions ou de valeurs, s’il le juge pertinent. Ce dernier aspect est particulièrement mis en défaut dans l’organisation des cours philosophiques. Les parents choisissent le cours philosophique que leurs enfants vont suivre en début de 1re année primaire. Chaque année, jusqu’au 15 septembre, les parents peuvent modifier leur choix. Il n’est cependant pas obligatoire de leur rappeler cette possibilité. Les professeurs de cours philosophiques eux-mêmes n’exposent pas clairement cette possibilité, ni aux parents, ni aux enfants. Et nous, les titulaires de classe sommes parfois accusés de manque de neutralité si nous nous permettons de discuter avec les parents de leur liberté de choix !
Mais pourquoi maintenir des cours philosophiques dans les écoles ? Le Pacte scolaire ? La modification de la Constitution ? De plus en plus de voix s’élèvent pour que les cours de religion soient rejetés dans la sphère privée ou organisés à l’école, mais rendus optionnels. Proposer les cours philosophiques, à l’extérieur de l’école, mais dans un cadre régulé par l’État permettrait de concilier à la fois la demande et la volonté de certains d’une formation philosophique et religieuse garantie par l’État et, au contraire, la possibilité, pour d’autres, de refuser la participation de l’État dans la formation philosophique de leurs enfants.
Et moi, institutrice, je rêve de récupérer ces deux heures hebdomadaires pour éveiller un peu plus l’esprit critique des élèves, esprit critique qu’ils exerceraient, notamment, lors de sorties dans les églises, les mosquées, les théâtres, les marchés, les parcs…