Savoir ce que je sais et savoir ce que je sais faire grâce à ce que je sais. Savoir que ce que je sais faire m’a permis d’apprendre des savoirs que je pourrai utiliser à d’autres moments dans d’autres situations. Ça me rend fort d’une compétence nouvelle (qui n’est pas au programme tiens !)
Deux fois par an, j’organise une session de trois matinées d’évaluation sur les matières vues en classe. Ce n’est pas très original. Ce qui rend ma démarche inhabituelle ce sont les objectifs de celle-ci. _ Mes intentions sont de mettre mes élèves en situation de devoir organiser, étudier et exercer plusieurs matières d’un coup. Je veux qu’ils se rendent compte des difficultés que cela engendre : stress, difficulté de gérer son travail, difficulté d’apprendre par cœur, de reconnaitre les compétences à exercer et les savoirs à apprendre. Cela nous donne le prétexte d’aborder aussi ces difficultés-là en classe.
Comme entrée, les élèves choisissent les matières sur lesquelles ils désirent être évalués. Assis à leur banc, face au tableau, je demande à chacun de les lister dans leur “Aujourd’hui, forte de ces tâtonnements, je propose à mes élèves de faire le tableau eux-mêmes.”cahier. Certains se lancent tout de suite : conjugaison, multiplier par 10, écrire une lettre… D’autres hésitent, puis ouvrent leur cahier mémoire et se lancent : classer des nombres à virgule, les grandeurs proportionnelles… Un élève me demande : « On peut regarder dans ses cahiers ? » « Bien sûr ! » En plus des « cahiers mémoires » qui s’ouvrent, les syllabus, les fardes et même d’anciennes évaluations sont consultés.
Après une dizaine de minutes, je leur propose d’être leur secrétaire au tableau. Je classe au fur et à mesure leurs choix en colonnes, par branche.
C’est parfois difficile parce que je ne sais pas toujours bien dans quelle colonne écrire la proposition. « Faire » ? Dans conjugaison ou dans orthographe ? « Écrire la question d’un problème » ? Dans savoir écrire, dans grammaire ou dans traitement de données ? Je leur renvoie les questions. Les réponses permettent de clarifier les notions qui seront évaluées : « savoir orthographier correctement le verbe “faire” à tous les temps connus. »
D’autres fois, un sujet (par exemple : les solides et construire des boites) revient plusieurs fois dans la colonne. Je remarque qu’en dehors de deux ou trois élèves qui demandent, par exemple, du calcul écrit, sans détailler, les autres font des demandes plus précises, mais de deux manières différentes. Soit ils se réfèrent aux documents de synthèse que nous élaborons régulièrement ensemble, en cours ou à la fin d’activités sur un sujet (le cube, l’abaque des nombres, la phrase interrogative, etc.) Soit ils proposent les matières sous la forme de compétences (écrire une histoire, soustraire des nombres à virgule, comparer notre masse sur différentes planètes du système solaire), ils se souviennent des activités que nous avons faites en classe… Cela dépend de leur attrait pour la matière, de leur aisance avec elle, de leur chemin pour l’appréhender. Chaque enfant peut donc, d’une proposition à l’autre, se retrouver dans un groupe ou dans l’autre.
Turbulences, lorsqu’un des élèves lance : « Faire un gâteau ! »
— Oh, oui ! Après on ferait un buffet !
— Comment veux-tu que chacun prépare un gâteau ? On n’a pas le matériel ni même un four pour chacun !
— Et moi je n’ai jamais fait un gâteau tout seul… On pourrait le faire à plusieurs ?
— Et comment voulez-vous qu’on nous mette des points ?
— On ferait comme à la télé, chacun donnerait sa cote et on ferait la moyenne.
J’interviens : « En faisant des gâteaux en classe, comme quand nous semons des graines dans notre potager, nous apprenons des choses qui peuvent après nous servir dans d’autres situations. C’est cela que je voudrais que vous mettiez dans votre plan d’étude… »
— Comme quand on a appris les « patates » pour adapter les quantités de notre recette ?
— Dans notre cahier, on avait mis comme titre : « grandeurs proportionnelles ». On pourrait écrire ça à la place de « faire un gâteau » !
On passe au vote, à la majorité : « Qui accepte d’ajouter ce sujet à évaluer ? » Je conclus en proposant de préparer un buffet gouté où chacun pourrait prouver ses capacités en matière culinaire, pour fêter la fin du trimestre.
En plat de résistance, je distribue à mes élèves la liste des sujets choisis collectivement, que j’ai recopiée dans un tableau. Leur première tâche est d’évaluer leurs acquis pour chacune des propositions en coloriant la première colonne en vert, orange ou rouge. La première fois qu’ils le font, des élèves expriment des difficultés à faire l’exercice. En cherchant à savoir pourquoi, je découvre que ces élèves sont restés dans leur mode de pensée du moment des propositions.
Pour moi, le lien et les différences entre matières, savoir et compétences paraissent évidents. J’ai donc mis quelques années à comprendre les difficultés des élèves. J’ai tâtonné beaucoup. Je suis passée par le sentiment de perte de temps et le désir d’abandonner cette participation aux prises de décisions que je proposais aux élèves. À l’extrême contraire, consciente de la richesse pédagogique de cette planification avec eux, je leur ai mâché la besogne : dans le tableau, j’ai différencié par la forme (en gras) les éléments qu’ils pouvaient trouver dans leur syllabus et inscrit une nouvelle colonne dans laquelle un « S » ou un « C » différenciait les savoirs à connaitre par cœur et les compétences à maitriser. À chaque période de bilans, les mêmes difficultés réapparaissaient.
Aujourd’hui, forte de ces tâtonnements, je propose à mes élèves de dresser le même tableau, mais en le faisant eux-mêmes. Je leur donne rendez-vous dans le « coin forum » où nous pouvons nous installer en cercle. Nous nous lançons dans une confrontation des difficultés.
« Qu’est-ce que ça veut dire : calculer une durée ? » « C’est quand on te donne deux heures et que tu dois calculer combien de temps est passé entre ces deux heures. » « Moi, je ne sais plus ce que c’est les grandeurs proportionnelles ! »
Je redécouvre alors deux types de difficultés : ceux qui se souviennent de l’activité et ne peuvent l’associer aux savoirs proposés et ceux qui se rappellent des savoirs étudiés, mais ne peuvent les raccrocher aux propositions compétences formulées. Sans oublier les quelques-uns qui sont tout à fait perdus et les plus anciens qui jonglent sans problème de l’un à l’autre. Je relève cet antagonisme et leur propose de faire des équipes. Avec leur « Cahier de Savoirs » et leurs « Cahiers Mémoire », ils ont comme tâche de compléter leur tableau de « Préparation aux bilans » :
en mettant en fluo les savoirs dont ils trouvent les intitulés en titre dans leur syllabus (ce que je mettais moi-même en gras)
en inscrivant dans la première colonne la distinction entre savoir (S) et compétence ©
en inscrivant dans la quatrième colonne les pages du syllabus où trouver le référentiel-savoir.
Comme j’ai une classe verticale, je peux laisser mes élèves travailler en équipes autonomes et me mettre à la disposition de ceux qui sont tout à fait perdus, pour faire la même chose, mais en les soutenant dans la procédure :
Lecture du sujet proposé, dans le tableau.
« Qui se souvient de quoi par rapport à ce sujet ? » Éventuellement retour au « cahier mémoire » pour raconter les activités que nous avions faites et ce que nous en avions découvert. Ce moment permet d’éviter des heures de révisions comme je les pratiquais quand j’étais plus jeune. Je peux mieux cibler quels sont les acquis, les lacunes, les démarches et les erreurs.
« À quelles pages du “Cahier des savoirs” peut-on se référer ? »
« Qu’est-ce qu’il faudra savoir faire ? »
Avec ce groupe je vais plus loin, je les invite à écrire dans la dernière colonne du tableau, s’ils ont besoin d’exercices (pour s’entrainer) ou plutôt d’une leçon (pour recevoir de nouvelles explications).
En dessert, chaque difficulté soulevée par au moins un des élèves est abordée en classe. Les activités commencent par un temps d’expression libre : les uns pour exprimer leurs problèmes, les autres pour exprimer leurs démarche, avec comme aboutissement, des solidarités naturelles entre les enfants « en difficulté dans une matière » et l’enfant « fort dans cette matière ». Parfois, j’organise différents ateliers dans lesquels ils peuvent voyager librement avec leur « parrain ». À d’autres moments, j’organise plutôt des moments de travail écrits dans lesquels plusieurs assistants-profs se proposent et sont choisis par ceux qui en ont besoin et qui le désirent. À d’autres moments encore, ce seront plutôt des activités en collectif qui seront planifiées, dans le but d’échanger ses méthodes et de réaliser des fiches modèles :
Comment m’entrainer efficacement à écrire sans faute les mots du VOB ?
Comment étudier par cœur ce texte d’histoire ?
Comment retenir les formules de calcul d’aire ?
Comment reconnaitre les différentes natures de mots ?
Dans un premier temps, les parents sont surpris par cette démarche qu’ils trouvent mangeuse de temps, mais ils me font confiance ou se donnent le temps « de voir ». Dès la seconde séance de préparation aux bilans, les mêmes parents reviennent pour m’exprimer leur émerveillement face à l’autonomie avec laquelle les élèves manipulent leurs référentiels, sont conscients de leurs difficultés et gèrent leurs « révisions à domicile ».