« Nous faisons des films pour tenter de subvertir, créer du désordre et soulever des doutes. “Agiter, éduquer, organiser.” Il faut donc agiter, et c’est ce que nous essayons de faire : enrayer la mécanique, bousculer le statuquo, défier le récit des puissants. » Cette citation du cinéaste anglais Ken Loach s’applique assez bien à la raison d’être de chaque numéro de la revue TRACeS. Cette édition n’échappe en rien à la règle. Parfois aussi, comme enseignant, on aurait envie de l’appliquer à notre métier, nos pratiques, nos raisons de continuer à faire classe. Or, il suffit d’avoir passé quelques heures dans une salle des professeurs ou d’avoir assisté à un conseil de classe pour se rendre compte qu’on y parle rarement de changement. On y entendra même certains affirmer, avec certitude, qu’ils donnent simplement cours : « Ce n’est pas politique ça ! » Alors, le prof qui questionne, qui remet en cause, qui ose, qui prend position, qui s’affirme comme engagé sera suspect. Son professionnalisme sera mis en cause et l’on ira jusqu’à lui dire, lorsqu’il rappelle en conseil de classe que l’École confirme les inégalités sociales,
qu’on est « pas là pour faire de la politique. » Or, c’est bien l’erreur : enseigner, c’est politique.
Dans ce dossier, on retrouve d’un côté le récit de profs à Sao Paulo qui amènent leurs élèves à participer à la lutte contre le système, de l’autre un prof qui est tellement prof qu’il a l’impression de n’enseigner que la « sainte matière ». Dans les deux cas, l’engagement politique est flagrant. Or, on ne retiendra en général que le premier comme étant « politique ». Est-ce parce qu’il porte justement sur une certaine forme de militance axée à gauche ? Est-ce que faire comme « tout le monde » ou confirmer (souvent sans le savoir ou sans l’avouer) une certaine vision (conservatrice, sécuritaire, capitaliste ou autre) du monde d’aujourd’hui ne serait pas tout autant politique ? Croire que la politique est le propre des partis ou de certains hommes et femmes élus est une erreur. Tout acte est politique et, surtout, a une portée politique. D’autant plus lorsqu’il s’agit de l’enseignement. Certains le savent et en profitent. Ainsi, ils gardent la main (en refusant plus de mixité sociale dans leur école ou en renvoyant les élèves faibles vers d’autres écoles) ou prennent la main (en instaurant des modes de fonctionnement venus tout droit du privé comme le coaching ou en tentant de faire de l’école le lieu qui prépare les jeunes au monde de l’entreprise). Pendant ce temps, les inégalités scolaires
se creusent.
L’enseignant peut choisir le statuquo actuel ou tenter, car c’est toujours de cela qu’il s’agit, dans l’école et les classes où il travaille, de faire autrement. Autrement ne signifie pas qu’il faut emmener ses élèves à la prochaine manifestation, mais bien qu’il faut leur permettre de recevoir les outils et les savoirs nécessaires à les rendre libres et indépendants. Faire école autrement, c’est un sport de combat…