Édito

Rhââ, je suis puissant, wifisé, airporté, bluetoothé, cloudé, googlisé, dropboxé ! L’information est à portée de clic et le monde est visible de ma petite fenêtre. Mes mémoires, mes connaissances, mes productions, mes documents et toute l’œuvre de ma vie sont dis- qués et planétisés.
Je suis une star connectée, emailée, facebookée, twit- tée, linkedinée. Je regarde ce que fait la Terre entière
et elle m’observe. Je suis au courant de tout, tout de suite. Je sais quand ma voisine est chagrine et quand Marine est taquine, quand le Real de Madrid a gagné et quand un corps de baleine ou d’enfant échoue sur la plage. Mes actualités, mes humeurs, mes pensées, ma vie, tout est publié, partagé, échangé.
Quel monde fabuleux, formidable, féérique, fantas- tique, fantasmagorique, merci père Noël, merci Saint- Nicolas et merci à toutes ces bonnes multinationales si soucieuses de notre bienêtre et de notre épanouisse- ment personnel. C’est giga méga super.
Mais le père Noël est une ordure. Il ne donne rien sans reprendre, il me tient par les parties numériques. Du petit matin jusqu’au grand soir et parfois tard dans la nuit, je suis rivé à mon portable, baladeur, smartphone, tablette, écran d’ordinateur... Je joue, j’écoute, je lis, je ris, j’écris, j’achète, je vends, je paye, je poste, je like... Quand mon esprit me laisse du temps, je prête une oreille au ringard qui utilise encore sa bouche et des vieilles craies pour raconter des histoires cramoisies. Et quand le prof me donne du temps pour piocher sur un problème, je réfléchis. Mais mon esprit me laisse peu de temps.
Moi, l’enfant, le jeune et le moins jeune, j’ai changé, ça c’est sûr. En vingt ans, c’est un bond de géant et ces cinq dernières années ont été fulgurantes.
Le numérique offre tant d’avantages aux uns et tant de bénéfices aux autres... Faut-il malgré tout résister et défendre des règles et la protection des enfants ? Soutenir un accompagnement pour armer les jeunes et les faire profiter des cadeaux sans payer la facture ? Combattre la fracture sociale qui ne s’exprime pas tant en termes d’accès à l’outil qu’en termes de compé- tences liées à son usage ? Des questions parmi celles que pose ce numéro de TRACeS...