SAVARY ? Ce nom ne vous dit rien ? Rappel : au siècle dernier, en 1981, Alain SAVARY, ministre de l’Éducation de François MITTERAND, inaugure ses fonctions en créant les ZEP, les zones d’éducation prioritaires. Objectif : « donner plus à ceux qui ont moins ».
Cette initiative allait servir de base au plaidoyer de celles et ceux qui, en Communauté française, plaidaient pour une prise en compte des inégalités flagrantes face à la course d’obstacles scolaires. Nous parlions de l’hécatombe scolaire des enfants des milieux populaires. Abandons, décrochages, relégations, redoublements… qui touch(ai)ent massivement les mêmes familles et les mêmes jeunes.
Cela disait clairement que des priorités s’imposaient ! Et pas n’importe où. Que cela concernait tous les acteurs de ces zones. Pas seulement les écoles. Qu’il s’agissait de mobiliser toutes les forces vives concernées par l’éducation, mais aussi l’emploi, le logement, la santé, les loisirs, l’éducation permanente des adultes !
Chez nous, c’est fin ‘80 qu’un ministre libéral (!) fait adopter un décret fixant les modalités de création de ZEP en Communauté française. Avec des moyens dérisoires, on s’en doute.
N’empêche, des projets vont voir le jour dans l’enthousiasme. Des enseignants vont élaborer des projets avec des associations de quartier. Parfois en interréseaux, avec des conseils de zones… et des résistances de tous ordres !
On le sait, les grèves de ‘90 n’ont pas débouché sur le refinancement espéré et indispensable en Communauté française (il faudra attendre 2001). Donc pas de miracle pour les ZEP. Qui vont d’ailleurs changer de nom : dites dorénavant « discriminations positives » ou mieux (?) D+. Les collaborations « écoles-quartiers » seront peu encouragées, voire empêchées. Avant d’être purement et simplement enterrées début 2000.
On perdra de plus en plus en lisibilité. D’autant qu’un décret fera même l’amalgame entre D+ et violence à l’école (un thème très en vogue ces années-là) ! Les moyens affectés aux écoles des quartiers pauvres resteront ridicules eu égard à l’ampleur des défis à relever.
Dans le même temps, des critiques se feront entendre : n’est-on pas en train de stigmatiser des écoles et des élèves ? N’y a-t-il pas d’autres pistes à explorer ? C’est l’époque des décrets « école de la réussite » (2005) et « missions de l’école » (2007). Des décrets bourrés de bonnes intentions : la réussite de tous, l’émancipation sociale pour tous… Mais très peu de moyens pour agir là où ça fait le plus mal, là où l’échec du système est patent et massif. Les belles paroles suffisent aux consciences délicates mais, sur le terrain, les intentions n’ont jamais suffit à inverser les vapeurs de l’inégalité.
Adieu donc les D+, bonjour « l’encadrement différencié ». Voilà qui est très parlant pour le grand public ! À l’ère de la « com », on pouvait difficilement faire pire…
Mais il serait injuste de passer sous silence les initiatives de Marie ARENA : attribuer quelques centaines de postes supplémentaires aux écoles fondamentales en quartiers défavorisés. Le problème, c’est que les politiques font toujours dans le quantitatif : des postes en plus. Mais pour faire quoi ? « Mais, c’est évident, Monsieur, assurer la réussite de tous ! » Voilà qui demanderait surtout du qualitatif : des formations spécifiques pour ces tâches difficiles, du travail en équipes, du temps pour collaborer avec des logopèdes, des travailleurs sociaux, du temps encore pour rencontrer les parents, les animateurs d’écoles de devoirs et d’alphabétisation… Un autre métier, quoi. À confier, si possible, à des institutrices/teurs expérimentés et volontaires. Rien de tout cela, hélas !
Par contre, on multiplie les études interuniversitaires pour déterminer les écoles qui auront droit aux maigres moyens supplémentaires. Des calculs de plus en plus sophistiqués aboutissent à la détermination du fameux « indice socioéconomique de chaque secteur statistique »[1]Déterminé par la direction générale Statistique et information économique du SPF Économie, PME, Classes moyennes et Énergie.. Ce qui veut dire que chaque élève est porteur de l’indice de son quartier. Sur base de quoi, on calculera l’indice socioéconomique moyen de chaque établissement.
On l’aura compris, ce sont les critères économiques qui prévalent ; le culturel est réduit à la portion congrue. Dès lors, dans certains coins, une école professionnelle aura le même indice qu’un établissement d’enseignement général « de très bonne réputation ».
Tout cela est de plus en plus illisible pour le citoyen soucieux d’équité. Même les travailleurs des écoles ne s’y retrouvent plus. Tout cela provoque des discussions quantitatives ou des débats plus chauds quand le gouvernement joue au Robin des bois (2010-2011) et se pique d’enlever aux « riches » pour donner aux « pauvres ».
Car, pour assurer l’application du décret « encadrement différencié » (2009), le gouvernement va préconiser des transferts à l’intérieur d’une enveloppe fermée. Michel DAERDEN, ministre du Budget, avait laissé les caisses vides à la veille des élections de 2009. La nouvelle majorité invente donc Robin des bois à l’automne 2010 et provoque un tollé (quasi) général et des arrêts de travail. « Vous savez bien que des écoles riches, ça n’existe pas ! Vous savez bien que les conditions de vie et de travail sont identiques à Lasne et à Saint Josse ! »
Pour un résultat minable, ces messieurs-dames, avec l’appui des syndicats, sont parvenus à brouiller les cartes. À conforter les mieux nantis dans leur citadelle et, parfois, dans l’ignorance des conditions de travail et d’apprentissage dans les écoles pauvres, voire très pauvres.
Grande misère ? Qui sait que la lutte contre les inégalités, par le mécanisme « encadrement différencié », cela fait au total 65 millions… sur un budget « enseignement » de près de 7 milliards. Soit moins de 1 % du budget consacré au principal défi à relever en Communauté française ! Car, faut-il encore le rappeler, tout au long des années 2000, les enquêtes Pisa ont confirmé que notre communauté s’illustrait tristement par l’énorme écart entre les résultats des « bons » élèves et ceux des « fragiles », qui se retrouvent presque tous dans les quartiers pauvres et les écoles (de) pauvres.
« Le fait que certains pays en sortent mieux que d’autres révèle clairement que l’on peut briser ces inégalités ». C’est l’Unicef qui fait ce constat dans un rapport sévère pour « certains pays qui laissent le fossé se creuser »[2]Unicef, Rapport Innocenti 9, octobre 2010..
Le bilan (pas mirifique) de 30 années de ZEP en France indique quand même quelques pistes à suivre. Avant tout : stabilité et engagement d’équipes d’enseignants motivés et préférence à des maitres expérimentés. Formations de ces équipes à travailler autrement (surtout éviter le « faire plus de la même chose »). Accompagnement et supervision de ces équipes. J’ajouterais : redéfinir les conditions de travail et, pourquoi pas, de salaires. Essentiellement du qualitatif.
Pas impossible… si les gouvernements adoptent des projets politiques forts et lisibles, traduits en mesures significatives. Si tous les acteurs de l’éducation font entendre aux médias et à tous les faiseurs d’opinion que la priorité des priorités en éducation, c’est la lutte impitoyable contre les inégalités. Aujourd’hui, dans les médias et dans l’opinion, c’est la confusion, la distraction, la place aux « grandes gueules » : comparez les innombrables tribunes accordées aux familles « victimes » des décrets-inscriptions… au silence assourdissant réservé aux familles pauvres victimes du marché scolaire.
Les inégalités font mal à tout le monde. Elles ne sont pas bonnes pour la santé, elles sont à la source de l’insécurité, elles provoquent le repli, la peur, le stress… Tout le monde en pâtit. Il faut les combattre énergiquement partout. C’est dans l’intérêt de tous. On ne le dit pas assez !