L’éveil aux langues à l’école maternelle, une vieille idée qui refait surface. Deux bonnes raisons de s’en emparer.
Le Pacte pour un enseignement d’excellence a pour ambition de renforcer la qualité de l’enseignement pour tous les élèves. En ce qui concerne l’enseignement et l’apprentissage des langues, voici les intentions affichées :
Démarrer les langues étrangères dès la maternelle avec des « bains acoustiques » devant familiariser l’enfant à des sons inexistants en français. On pratiquerait ceci en maternelle et en 1re et 2e primaires (avant l’âge où le système auditif perd considérablement sa perméabilité) à raison de trois périodes de vingt minutes par semaine.
L’apprentissage de la première langue moderne (néerlandais à Bruxelles ; anglais, néerlandais ou allemand en Wallonie) débuterait en 3e primaire, comme c’est déjà le cas à Bruxelles aujourd’hui.
Nous ne reviendrons pas ici sur l’orientation du pacte qui repose sur le postulat qu’il est préférable d’apprendre une deuxième langue le plus tôt possible à l’école, et la forte pression sociale qui s’exerce par rapport à cette demande. Il faut rester très prudent et ne pas faire peser sur l’école ce qu’elle ne peut pas produire en matière d’acquisition d’une L2 : non, on ne devient pas bilingue à l’école ! Par contre, le fait de pratiquer l’éveil aux langues, des « bains acoustiques », dès les classes maternelles nous semble aller dans la bonne direction pour plusieurs raisons que nous allons développer après avoir situé cette approche.
Essais non transformés
L’éveil aux langues a été développé dans les années 80 par Hawkins (linguiste et éducateur d’origine britannique). Cette approche a pour finalité de développer des attitudes positives envers les langues dès le plus jeune âge et de développer des capacités métalinguistiques. Les jeunes élèves sont invités au travers de différentes activités souvent ludiques, à observer les langues, les comparer entre elles et à développer leur curiosité quant à leur fonctionnement [1]. Fin des années 90, plusieurs projets ont bénéficié du soutien de la Commission européenne (projet EVLANG), la Communauté française de l’époque a suivi, au début des années 2000. Une étude de faisabilité avait conclu que l’éveil aux langues semble constituer une excellente opportunité de préparer, d’approfondir et de prolonger l’apprentissage au niveau de la motivation, des compétences métalinguistiques (…) et de l’intérêt pour les différentes langues [2] (…) Il faut bien reconnaitre que l’éveil aux langues n’a pas alors connu un essor important : des expériences pilotes dans quelques écoles fondamentales, la mise en ligne et la diffusion de différentes ressources pédagogiques de qualité [3], sans plus. La « mode » de l’immersion linguistique est venue en partie occulter cette approche, pourtant à notre sens complémentaire.
Cette fois, c’est la bonne ?
La remise au gout du jour de cette approche est pertinente pour au moins deux raisons. La première est issue des dernières recherches de nature plus linguistique et didactique : « Dans des situations plus classiques d’enseignement des langues en école primaire, il semble en fait raisonnable, pour de jeunes enfants, de se donner plutôt comme objectif prioritaire l’exercice de l’oreille à l’audition de sons étrangers, le développement de la curiosité et du plaisir des sonorités [4]. » Dans cette perspective, il nous paraît essentiel de soutenir l’oralité d’un cours de deuxième langue par une initiation à des activités d’éveil aux langues dès l’enseignement maternel.
La deuxième raison est davantage « interculturelle ». S’ouvrir aux langues dès le plus jeune âge est fondamental dans la découverte d’autres sonorités, d’autres intonations, mais derrière la langue, il y a surtout des personnes qui parlent cette langue. « Les langues sont à la source de préjugés puissants à l’égard des communautés qui les véhiculent ; elles participent de préconceptions qui se forment dès le plus jeune âge. Dans ce contexte, introduire une conception positive d’une langue constitue un outil prépondérant pour lutter contre les stéréotypes ethniques et culturels qui se construisent dès la petite enfance [5]. » Nous ne vivons pas dans un environnement linguistique homogène comme on pourrait le penser trop rapidement. Une étude récente indique qu’à Bruxelles, un enfant en âge préscolaire sur deux grandit dans une famille où l’on parle une autre langue que la langue d’enseignement [6]. Près des trois quarts des êtres humains sont polyglottes et vivent quotidiennement en employant plusieurs langues ou dialectes ! S’appuyer dès le plus jeune âge sur la diversité linguistique déjà présente dans les classes participe au processus de décentration pour découvrir l’altérité.
À ce stade, au sein des groupes de « recherche » (consortiums) que le Pacte a mis en place, un kit de ressources a été dressé pour des activités de la 1re maternelle à la 4e primaire et un référentiel d’éveil aux langues est également en voie d’élaboration. Pour les raisons évoquées ci-dessus, nous espérons que le retour de l’éveil aux langues, via l’impulsion donnée par le Pacte, sera un retour gagnant.
[1] Voir par exemple le site françaiswww.dulala.fr qui regorge d’activités d’éveil aux langues, y compris une formation à distance pour enseignants.
[2] Vingt activités d’activités d’éveil aux langues pour l’enseignement fondamental, ministère de la Communauté française, extrait de l’introduction, 2008.
[3] Toujours en ligne, voir http://www.enseignement.be/index.php?page=24987&navi=412
[4] S. Roussel et D. Gaonac’h, L’apprentissage des langues, Retz, 2017.
[5] S. Hennay, « Ça veut rien dire », TRACeS de ChanGements, n° 240, 2019.
[6] Enquête menée par l’Ecole de santé publique de l’ULB à la demande de l’Observatoire de l’enfant (septembre 2019).