Fil ténu toujours tendu

Objectif annoncé : écrire sur le thème de
la rupture dans le but de publier dans la
revue TRACeS.

Première écriture : parler d’une rupture vécue.

Je me lance en exprimant ce qu’évoque
ce terme pour moi. Me revient à l’esprit
cette rupture familiale qui fut alors d’une
violence extrême pour chaque membre.
Premier rebond en trio : faudrait concrétiser davantage.
Retour à l’écriture : je concrétise et j’évoque alors
cette rupture vécue quand je prends conscience en faisant
mon mémoire de fin d’études que vouloir aider

« Qu’est-ce
qu’obéir ?
Qu’est-ce que
s’émanciper ? »

l’autre à grandir, c’est parfois, souvent, se donner bonne
conscience, croire qu’on veut le bien de l’autre sans justement
savoir ce que veut l’autre.

Deuxième rebond en trio (d’autres personnes que le
premier trio) : c’est illisible, c’est ta démarche à toi, mais
un lecteur extérieur ne peut rien n’y comprendre.
Retour à l’écriture : je bloque, je sèche, je croyais
avoir été plus concrète. Je n’écris plus.
Mais qu’est-ce que je fais ici si
le but du weekend c’est d’écrire
pour publier et qu’on me renvoie
que c’est impubliable !

La voilà ma rupture à vivre,
concrète : quand je n’arrive pas
à répondre à la demande, je me
culpabilise, je m’autoflagelle, je
suis sous tension, je n’ai plus qu’une envie : aller au lit.
Pourquoi je…

Je me sens pigeonnée, enfermée ici, à la campagne,
avec cette obligation d’écrire et ces contraintes qui ne
me libèrent pas.

L’ÉTAT DU PIGEONNIER

Comment être soi-même à ce point dans l’obéissance
et promouvoir intellectuellement l’émancipation ?
Dure lutte que cette injonction paradoxale présente en
moi, mais aussi socialement diffusée.

Qu’il est difficile de percevoir clairement, de distinguer
le rôle que jouent ces deux paramètres dans le
processus de subjectivation ! Certains y voient un paradoxe,
d’autres une succession, un rapport de causalité,
d’autres encore y voient le balancier qu’il faut tenir en
équilibre.

Mais finalement qu’est-ce qu’obéir et qu’est-ce que
s’émanciper ?
Obéir : se soumettre à quelqu’un, à quelque chose.
Mais aussi d’oboedire : « prêter l’oreille à », de ob — (devant)
et audire (écouter) : prêter de l’attention à ce qui
est devant.

S’émanciper : s’affranchir, devenir indépendant, se
dissiper, se libérer des contraintes.

Le premier se délecte dans l’impératif autant que
le deuxième l’abhorre. « Je t’ordonne et j’attends que tu
m’obéisses : émancipe-toi ! »

L’obéissance à qui, à quoi, pour qui, pour quoi ?
L’obéissance au maitre ou l’obéissance au savoir ? Quelle
obéissance permettra à l’apprenant d’entrer dans les
outils conceptuels de la compréhension du monde ?

Obéissance et émancipation alliées d’un même processus.

La conformité permet d’accéder aux outils qui
permettent l’émancipation. L’un puis l’autre ?

D’abord intégrer la norme pour accéder à la réussite
puis agir sur la norme, s’émanciper.

L’éducation, combien d’entre nous ne s’y engagent
pas dans la volonté d’aider l’autre ? Aider l’autre pour
lui, dans son intérêt ou aider l’autre pour soi, pour se
faire du bien, pour croire qu’on fait le bien, pour se rassurer,
se donner bonne conscience.

LES CONVOYEURS ATTENDENT

L’obéissance collective peut nourrir la volonté individuelle.

Il me faudra alors naviguer entre ces deux
pôles pour s’en sortir, vivre. Naviguer entre écoute bienveillante
et limites posées parce que « l’enfant construit
son rapport à l’autre par les limites qui s’imposent à son
désir de toute-puissance et de satisfaction immédiate. »

Quand la rupture est interne et qu’elle est alimentée
par les autres. Quand cette sourde envie prend justement
vie dans la parole partagée, celle qui offre d’autres
manières de voir. Cette rupture, c’est celle qui ouvre
le champ des possibles, celle qui permet de retrouver
le plaisir d’enseigner. Cette rupture, c’est la difficile
transition pour l’enseignant de passer du contrôle à la
confiance. Difficile parce que tout le vécu scolaire et
tout le discours ambiant, ce qui trace l’identité professionnelle
engage vers, promeut ce contrôle : « Tais-toi,
apprends, sois attentif, concentré, intéressé, courageux et
surtout fais-moi confiance, je sais ce qui est bon pour toi. »

Il est facile de croire que nous avons les pleins pouvoirs
pour former, sculpter ce petit être malléable. C’est par
l’attention portée au vécu, aux paroles de l’Autre que
nous percevons pour nous-mêmes la rupture à vivre,
l’inadéquation de nos représentations du monde face à
la réalité vécue. Cette rupture c’est un peu comme quand
on arrache ses vêtements pour se jeter à corps perdu
dans le plaisir. Pour le plaisir de ne pas faire comme les
autres ? Et ces autres, ne seraient-ils pas mieux de les
emmener dans cette mutation ? L’obéissance c’est aussi
trouver des points d’appui nécessaires pour s’ouvrir à
d’autres mondes.