Recherche

Commandes & Abonnements

Mercredi matin, 8h30. Je démarre en classe une activité autour de l’éveil historique, afin d’amorcer la perception du temps historique et des principaux tournants de l’aventure humaine. Dans la classe, il y a seulement les 20 enfants de 11-12 ans habituellement présents, mais aussi 25 étudiants, futurs instituteurs et institutrices, en première année de leur formation.

Je suis en effet leur maitre de formation pratique, leur « MFP ». Certains ateliers de formation professionnelle (AFP) sont consacrés à une observation de séances en classe. Un professeur de psychopédagogie et un professeur de discipline (d’histoire aujourd’hui) sont aussi présents. Une « analyse réflexive » aura lieu en fin de matinée. Les étudiants devront essentiellement tenter de retrouver les grandes étapes de la leçon, les consignes, le matériel… Bref, ils devront refaire la préparation de la leçon, préparation que je possède, largement inspirée d’une situation-problème décrite dans le livre de Michel Huber [1].

GRAND ÉCART

Tout le monde s’est installé et est prêt à travailler. Les élèves, comme les étudiants attendent mes consignes, les enfants pour se mettre au travail et les étudiants pour les écrire dans cette fameuse « prépa ». Je forme donc les groupes d’enfants et leur indique qu’ils vont travailler sur une période de l’histoire. Chaque groupe doit remplir une « mission » à l’aide de documents comme support. Dans une heure, ils viendront présenter l’état d’avancement de leur travail et placeront les documents reçus sur une ligne du temps. Les enfants prennent le matériel et se mettent au travail. Les étudiants regardent, se déplacent un peu pour voir ce que font les enfants, se rasseyent et… se mettent à discuter entre eux de tout et de rien !
Pour ma part, je passe de groupe en groupe pour réleur demander de reformuler leur mission, pour leur rappeler qu’ils auront à placer leurs documents sur une ligne du temps… et surtout, pour prendre les indices qui me permettront de gérer la mise en commun. Le brouhaha s’amplifie, c’est inhabituel dans ma classe, lors des travaux de groupes… mais aujourd’hui, ce sont les étudiants qui en sont responsables !
Cela fait 10 ans que je suis MFP dans la section « Normale primaire » et que je vois les étudiants de 1e année de formation environ pendant 50 heures, chaque année. Ils viennent y apprendre leur métier et dans leur tête, être instituteur ou institutrice, c’est enseigner. Se préoccuper de ce que les élèves apprennent quand l’enseignant enseigne, est très éloigné de la représentation qu’ils se font de leur futur métier ! J’ai lentement pris conscience de cet écart qui existe entre mon travail quotidien dans la classe et celui que se représentent les futurs enseignants.

L’ACTE D’APPRENDRE

Je m’en sens responsable, et de plus en plus. Quand la liberté m’en est laissée ( je ne suis présente à la Haute école que pendant deux après-midis, je peux difficilement influencer des décisions collectives), j’organise différemment les journées d’observation en classe. La préparation de la leçon est distribuée aux étudiants avant qu’ils ne viennent l’observer en classe et, lors d’une séance de travail en Haute école, je l’analyse avec eux.
Les procédures attendues des élèves sont expliquées et les étudiants recherchent les autres procédures possibles. Quand ils viennent en classe, ils s’asseyent à côté d’un élève qu’ils observent suivant un certain nombre de critères mis en place précédemment. L’après-midi, l’analyse réflexive ne concerne plus la préparation de l’activité (tout au plus, je leur communique les références du livre dans lequel j’ai pris la « prépa » !), mais bien les erreurs des élèves, leurs représentations, leurs motivations… bref, tout ce qui concerne l’acte d’apprendre chez l’élève et plus celui d’enseigner chez l’instituteur ou l’institutrice !
C’est lors d’une de ces analyses réflexives que je me suis rendu compte à quel point les étudiants ignoraient l’existence de facteurs socio-économiques dans la réussite ou l’échec des élèves. Quand j’avais demandé aux élèves de dessiner ce que nous avions « fait » la veille (découper des rectangles pour tenter de comparer leurs superficies), Abdessamad avait dessiné deux enfants en train de découper du papier, assis à leur place alors que les autres enfants, interprétant le mot « faire », avaient dessiné deux rectangles découpés et des flèches pour mettre en évidence les mouvements des morceaux ainsi découpés. L’étudiant qui observait Abdessamad avait rien présentant le dessin de ce dernier. Mais, quand ils ont dû faire des hypothèses sur les raisons possibles de cette « erreur », tous ont accusé les parents : ils ne s’occupent pas assez de leurs enfants, ils ne font rien avec eux, c’est aux parents de voir si les enfants n’ont pas compris… Lorsque j’ai suggéré que l’École était peut être responsable, c’est avec force que certains étudiants ont persisté à rendre les parents coupables, tous ces parents qui ne savent pas aider leurs enfants !

ANALYSER LES DIFFICULTÉS DES ÉLÈVES

Nous étions à la fin de l’année scolaire. Les étudiants de 1e année avaient déjà suivi le cours Approche théorique et pratique de la diversité culturelle et de la dimension de genre. Cet aspect des difficultés scolaires n’y est pas abordé. En 3e année, les étudiants doivent suivre un cours Sociologie et politique de l’éducation de 30 h. Les problèmes d’inégalités sociales et scolaires y sont abordés pendant quelques heures puisque le cours traite aussi des textes légaux, de la réforme et des acteurs de l’enseignement. Il n’y a pas de séance d’AFP prévue pour que, en collaboration avec le titulaire de ce cours, je puisse travailler cette problématique sur le terrain.
La problématique des inégalités sociales et scolaires est complexe. Je ne la découvre que petit à petit, quand je tente d’articuler ce que j’ai observé sur le terrain et ce que je lis. Si ces inégalités constituent le problème majeur de l’enseignement, il est urgent de se demander comment organiser la formation initiale pour que les jeunes enseignants puissent analyser les difficultés de leurs élèves, dès le début de leur carrière. Ne faudrait-il pas aussi organiser une formation continuée, peut-être obligatoire, pour tous les enseignants confrontés à cette problématique, après qu’ils aient enseigné quelques années ?
Mercredi 13h30. Le professeur de psychopédagogie, le professeur d’histoire et moi-même menons l’analyse réflexive de l’observation de ce matin. Les étudiants tentent de retrouver le contenu d’une préparation que je pourrais leur donner. Quand je leur demande pourquoi la plupart d’entre eux sont restés assis, ils me disent qu’ils n’avaient rien à noter, que je ne donnais pas de consignes…
Pourtant, quand je passais dans les groupes pour voir ce qu’y faisaient les enfants, Abdessamad a voulu me montrer le pot en terre qu’il venait de réaliser alors que Victoria, dans le même groupe, essayait d’attirer son attention sur le fait qu’il fallait aussi trouver où placer cette période sur la ligne du temps !

notes:

[1M. Huber, Situations-problèmes pour enseigner l’espace et le temps au cycle 2, Hachette, 2007.