Glouglou au Bangladesh

Le projet pédagogique de mon école met en avant l’évaluation formative continue et l’autoévaluation de la troisième année à la sixième année. Les seuls examens certificatifs sont en 6e et chaque année, nous privilégions un passage continu d’année en année.

L’important donc, c’est d’avancer par petits pas avec les élèves, de laisser la place à leurs erreurs, de les accepter comme faisant partie d’un chemin à parcourir. Je leur dis souvent : «N’ayez pas peur de vous casser la figure, ce n’est pas grave parce qu’on apprend.» Et puis, c’est se laisser bousculer en tant que professeur, être à l’écoute des remarques, des blocages, des questionnements… et changer son fusil d’épaule, parfois. Je ne mets évidemment pas de côté le fait de tester, de contrôler, mais cela reste au service des apprentissages et de l’émancipation de chacun.
Ça, c’est pour les intentions.

En contexte

Je viens de terminer cette période avant les vacances d’hiver avec mes élèves de troisième général. Quatorze élèves en tout. Très petite école, très petite taille de classe par rapport aux établissements mastodontes du paysage scolaire de la FWB. Ce sont des conditions idéales.

Il y a trois élèves en intégration avec l’accompagnement en classe d’une logopède. Certains élèves ont été déscolarisés pour raisons médicales pendant plusieurs mois ou ont subi plusieurs changements d’écoles, d’autres se sont inscrits dans notre école parce qu’ils ressentaient une pression scolaire ou un décalage entre les élèves normaux et eux.

C’est un groupe hétérogène avec des niveaux et des expériences scolaires très différents.

« J’implique les élèves dans la construction des questions. »

J’ai travaillé avec eux en géographie le thème « Les inondations au Bangladesh ». Deux tâches (construction d’une carte de synthèse et d’un schéma de synthèse des causes et conséquences) ; des notions telles qu’aléa, risque et vulnérabilité ; des modèles comme les types d’inondations et le système des moussons ; une démarche scientifique en géographie et du lexique à gogo.

Du bien lourd pour eux si j’interprète bien les râles lâchés lors de mon introduction du chapitre, mais, finalement, j’ai le sentiment, tout de même, que mon cadre pédagogique est structurant et motivant pour eux.

Chacun s’est débattu avec les apprentissages et s’est plutôt bien démerdé : Jean a cherché un titre bien léché pour sa carte parce que bon « Bangladesh et glouglou », c’est juste en soi, mais trop dans le comique ; Rachelle a trouvé une solution avec un hachurage pour juxtaposer la plaine alluviale et les zones inondables ; Mathieu nous a donné un truc pour différencier causes et conséquences avec des couleurs et des synonymes, Tom a proposé l’image des gouttes d’eau sur les fenêtres de la salle de bain pour expliquer ce qu’est le système des précipitations afin de se relancer sur le système des moussons, etc.

Fin du chapitre. J’annonce deux tests.

Coévaluation, c’est un temps de regards croisés entre les professeurs et l’élève sur tous les lieux de l’école à chaque grande période de l’année. Sorte de Conseil de classe avec la participation active de chaque élève, c’est un moment où l’élève synthétise ses progressions, ses difficultés sur base de son panorama, afin de trouver des solutions pour (faire) évoluer, poser de grandes priorités pour la suite de l’année.
Panorama, c’est un outil qui permet d’avoir une vue globale sur le parcours de l’élève dans l’ensemble des temps de l’école. L’élève y note les intitulés des ateliers, du projet, des contrats, des groupes de besoin… vécus au fur et à mesure de l’année. Les membres de l’équipe donnent à chaque période une appréciation pour leur discipline sous forme de lettre (A, B, C).
Groupe de besoin, ce temps en petit groupe permet à l’élève de trouver la réponse à des difficultés, de stabiliser des prérequis indispensables ou de développer des points forts. Les disciplines sont choisies à chaque période lors de nos coévaluations par l’élève et l’équipe éducative.    

 

Ces «tests» qui foirent

Dans un premier temps, je prépare avec eux un test en utilisant le programme Wooclap. J’aimerais tester leurs connaissances apprises dans ce chapitre et j’implique les élèves dans la construction des questions. L’outil a plusieurs fonctionnalités utiles pour tester des connaissances pures : question à choix multiples, image à légender, mettre en relation différents éléments entre eux (un mot avec sa définition, par exemple), questions ouvertes, etc.

D’abord, je leur rappelle les différentes parties du chapitre liées à la démarche scientifique en géographie (décrire, se poser une question pertinente, expliquer, agir), on se remémore les outils utilisés et les grandes notions. Ensuite, je les dispose par petits groupes : Lexique, Notions, Savoirs liés à la description des inondations au Bangladesh, Savoirs liés aux causes et conséquences de ces inondations. 

Ça bosse plutôt bien et, à la fin de l’heure, chaque groupe présente ses propositions de questions. Ils ont trouvé très facilement un lien entre l’une des fonctionnalités du Wooclap et les connaissances qu’ils veulent tester (légender la carte des inondations au Bangladesh en y ôtant simplement les valeurs des signes, par exemple).

Lors de cette présentation, ils sont attentifs, mais le genre d’attention qu’on a quelques minutes avant la pause récré et je sais que ce sera envoyé dans les oubliettes jusqu’au cours suivant. À la maison, je remanie légèrement leur question pour que ce soit utile au test individuel que je leur concocte.

Pour le test Wooclap, quelques jours plus tard, je les remets en groupe de trois. Il y a un secrétaire qui note les réponses et tous ont la possibilité de regarder dans le cours.

Le résultat est assez médiocre. Je tente d’analyser les erreurs avec eux dans un brouhaha que peut susciter ce genre de test ludique. Fin de l’heure, je dis que nous le referons un peu plus tard.

Test individuel, ensuite, sur « Les inondations en France, à Draguignan » : deux tâches (construction d’une carte de synthèse et identifier les causes naturelles et humaines dans un schéma préconstruit) ; quelques notions du chapitre à remobiliser.

Je prends le temps de décortiquer les consignes avec eux et je passe en revue les documents. Je ne donne jamais les réponses, mais j’identifie avec eux ce qu’ils remobilisent dans le test (notions d’aléa, de risque et de vulnérabilité, par exemple) et ce qui est différent (le lieu et l’échelle de la recherche, évidemment).

Résultats pour 14 élèves (3 élèves sont absents) :
6 en EVA (en voie d’acquisition), 0 en NA (non acquis) et 5 en A (acquis) pour la carte et 4 en EVA, 8 en NA et 0 en A pour le schéma préconstruit des causes. Ce n’est pas fameux, non plus ! Merde. Qu’est-ce qui foire ?

Évaluer pour mieux sauter

Bon, j’ai une heure pour corriger oralement avec eux. J’ai un correctif, mais je ne veux pas encore le distribuer pour permettre à certains élèves de refaire leur test.

Nous passons en revue tous les documents en sélectionnant les informations pertinentes et en refaisant des liens avec ce qui a été vu au cours. Je mets en évidence quelques erreurs récurrentes : la justesse de certaines données chiffrées, la pertinence de certains signes dans la légende, le lien entre deux documents peu exploités.

Des élèves proposent des moyens pour s’approprier plus facilement des mécanismes qui expliquent les inondations à Draguignan : une éponge pour le ruissèlement lié à la saturation en eau des cavités dans le sol, des gouttières vers un même lieu pour le ruissèlement lié aux vallons, les vitres dans la salle de bain pleines de gouttes d’eau pour les précipitations proches des Alpes…

En deuxième heure, je refais le Wooclap, individuellement cette fois. Je constate une nette amélioration dans l’ensemble. Ensuite, je demande qui est prêt à refaire son test : huit élèves lèvent leur doigt.

Tous se sont améliorés sauf Jean qui est en intégration. Il note ce qui est logique pour lui sans reprendre des éléments du texte, il note inondations dans les causes naturelles pour identifier les causes des inondations. 

Durant son deuxième essai, je l’ai accompagné pour décortiquer un document. Il se battait avec le mot ruissèlement. « C’est lié aux ruisseaux », dit-il. Je dois lui ouvrir un peu plus le sens du mot et je lui rappelle les trois images proposées durant la correction : éponge, gouttières, fenêtres de la salle de bain. « Cela correspond aux trois causes naturelles des inondations, Jean », lui dis-je. « J’aimerais que tu sélectionnes, dans le texte, les informations qui correspondent à l’un des trois mécanismes ». Il en a trouvé une, péniblement, mais j’ai le sentiment que ça percole.

Tout dernier cours, en fin de période, avant nos coévaluations et la remise de nos panoramas. Je leur propose un temps d’écriture pour prendre du recul sur leur parcours et surtout choisir une stratégie : Rachelle aimerait aller en groupe de besoin parce qu’elle veut améliorer la communication de sa carte, Jean aussi parce que « je vois que je n’arrive pas à trouver les informations dans les documents », Tom et Chloé veulent améliorer leur participation en posant des questions à chaque fois qu’ils ne comprennent pas en classe, etc.

Quant à moi, je me demande si finalement j’ai testé leurs acquis. Ils n’étaient ni totalement seuls ni dans un en dehors ou un après. Peut-être parce que je suis moi-même en questionnement sur les enjeux vécus par mes élèves lorsqu’ils se retrouvent face à une tâche qu’ils n’ont jamais rencontrée, mais qui leur demande de mobiliser des acquis et des procédures qui ont été travaillés en classe. C’est un apprentissage en soi.

Enfin, je tâtonne souvent avec les troisièmes, en début d’année. Ce sont les premières rencontres avec de nouveaux élèves. J’apprends à les connaitre, à comprendre leur logique et voir ce qui bloque. Jean me donne du fil à retordre, par exemple, et les situations vécues durant cette démarche vont me permettre de réajuster ou changer ma pratique.

Évaluer, c’est donc être au-dedans, avec nos élèves et ça prend du temps.