« Réduire les différences entre les résultats des élèves les plus favorisés et des élèves les moins favorisés d’un point de vue socioéconomique » est un des sept objectifs du Pacte d’excellence pour améliorer le système scolaire.
Des intentions politiques explicites qui sont suivies d’actes : des nouvelles circulaires prévoyant parfois des moyens complémentaires arrivent dans les écoles. Pourtant sur le terrain, la réalité est tout autre.
À la rentrée de 2019, une nouvelle circulaire tombe : le « FLA ». Français langue d’apprentissage. Qu’est-ce que cela veut dire ? Outre le « FLE », français langue étrangère, qui reconnait l’existence et les besoins spécifiques d’élèves qui ne parlent pas français, on reconnaît l’existence et les besoins spécifiques de ceux qui le parlent, mais sans avoir un niveau de langue suffisant pour les apprentissages scolaires.
Des moyens vont être débloqués pour ces élèves dès 4 ans, ce qui est une excellente nouvelle pour la réussite de tous les élèves.
Faire passer les tests aux élèves en difficulté langagière ? Dans notre école en indice socio-économique 1, c’est à dire qui accueille les moins favorisés socio économiquement , c’est presque tous les élèves… Sachant que la partie orale individuelle peut durer 20 minutes, et qu’idéalement deux professeurs doivent être présents, cela a demandé énormément d’heures en septembre, au détriment du travail avec ces élèves. N’était-ce pas se tirer une balle dans le pied ? Mais on l’a fait. Les élèves ont droit à 0,4 période par semaine pendant 2 ans, à partir du 1er octobre. Du jour au lendemain, l’école doit avoir 3 profs de FLA et construire un dispositif FLA pour ces 2 ans. Il n’est pas prévu que l’ensemble de l’équipe soit (in)formée en FLA pour pouvoir agir directement en classe.
De quoi ont pu bénéficier les élèves ? D’abord, rien, le temps de trouver du personnel… Et puis, pas grand-chose avec un prof-FLA absent un jour sur deux puis plus là du tout. Un peu plus après en maternelle avec quelqu’un de motivé, même si sans formation FLA spécifique. En février une logopède commence le travail en primaire. On n’a jamais eu les 3 profs. Avec la pénurie et les absences de longues durées, depuis octobre il n’y avait déjà pas de titulaire dans toutes les classes !
L’instabilité tue. Et les rentrées suivantes n’y échapperont pas. Cette année, l’équipe est au complet. Sur papier. Pour le FLA, « gestion du personnel » oblige, nouvelles personnes. On repart à zéro. L’an prochain, ce qui sera mis en place cette année pour ces élèves s’arrêtera : après 2 ans, les élèves n’y ont plus droit. Sauf en maternelle où les nouveaux élèves pourront être testés. Pour l’entrée dans la culture écrite, il faudra repasser.
Si c’était juste un exemple… mais cela s’accumule. Sans cesse d’autres énergies à investir, d’autres compétences à avoir, d’autres injonctions à respecter. Et les écarts se creusent.
La direction doit mobiliser son équipe et porter la mise en place du plan de pilotage. L’école est tenue de réfléchir à ce que elle peut faire pour améliorer les résultats des élèves, peu importe sa réalité du moment.
Comment donner du sens et planifier des actions si on n’a déjà pas le personnel de base pour travailler ? Quelle ironie. Comment un enseignant peut se mobiliser quand ses conditions de travail le rendent impossibles ?
Ces écarts entre intentions politiques, traductions en circulaires et réalités de terrain sont des gouffres. Quelle(s) école(s) ont-ils en tête en rédigeant ces textes ? Les agendas politiques sont-ils compatibles avec des mesures pertinentes ? Qui paie et qui paiera les pots cassés de la pénurie d’enseignants ? Encore les mêmes enfants ? Va-t-on soigner d’abord les écoles où c’est le plus difficile d’apprendre et d’enseigner ? Que fait-on des enseignants qui, pour plein de raisons, ne peuvent pas ou ne veulent pas ?
Assurer les bases : des enseignants présents dans les classes, remplacés rapidement et par des personnes compétentes. Former et informer les futurs enseignants, mais aussi les équipes en place. Nous soutenir avec des personnes adéquates pour implémenter les changements avec et sur le terrain, sans mettre cela sur les épaules des directions.
Si les responsables politiques veulent réduire l’écart entre intention et pratique, et ainsi rendre l’espoir dans des écoles comme la mienne (et il y en a beaucoup à Bruxelles), il va falloir partir de la réalité du terrain, anticiper, discriminer positivement, soutenir autrement. Sans quoi, personne ne sortira du gouffre indemne.
Marie Leduc, membre de ChanGements pour l’égalité
Une enseignante parmi beaucoup d’autres qui jette une bouteille à la mer.
Article Paru dans Lalibre.be le 14 septembre 2020
https://www.lalibre.be/debats/opinions/de-nouvelles-circulaires-veulent-changer-la-vie-des-profs-pourtant-la-realite-est-tout-autre-5f5e37009978e2322fea33ea