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« Et brillaient les étoiles [1] »

Commencer par ces mots notre hommage à Virginio Baio, c’est faire allusion à ses langues, d’origine, de musique, d’images. C’est regarder vers les étoiles qu’il a partagées avec nous.

« Cet enfant déploie ses étoiles : papa, sicilien, football, bateaux, etc. », disait-il, pour mettre en avant une chaine de signifiants propres au sujet.

« Qu’est-ce qui fait étoile de shérif chez cette jeune fille ? », demandait-il pour évoquer quelque chose du côté de ce qui pouvait faire moteur, faire désir.

Il a aussi donné à nos cieux ses étoiles à lui : sa grande écoute de nos dires et de ceux de nos élèves, ses connaissances, sa rigueur théorique et éthique, ses inventions pour nous traduire les concepts élaborés par Jacques Lacan.

Et qu’avons-nous appris ?

L’amour du réel, savoir ne pas savoir, faire place au sujet, écouter au-delà de ce qui est dit, regarder une situation depuis une pelouse comme celle de Pise au pied de la tour, du baptistère et du duomo, et non en étant collé à la façade comme à Florence.

Dire et retenir ces mots-là, c’est condenser des heures de lectures de textes porteurs et de situations difficiles. Autre chose que des slogans ou du clé sur porte. Des chemins. « Le plus court étant le détour », disait aussi Virginio.

Sans entrer dans les fils des sentiers qui ont tissé les rencontres avec lui, je pointe deux moments.

Le premier se passe à l’Antenne 110 [2]. Virginio m’avait invitée à une porte ouverte, pour les dix ans. Chaque éducateur apportait le récit d’une situation et son invention. Une kiné a parlé d’un enfant qui faisait pipi sur place chaque fois qu’il venait travailler avec elle. Jusqu’au jour où elle a pris une craie, a entouré le pipi et dit au petit : « On va travailler avec ton pipi. » Cette invention d’entourer un déchet, faisait clignoter des étoiles dans ma tête : que faisait-on avec les pipis de tous genres dans nos classes ?

Persuadée qu’il y avait là de quoi nous inspirer, j’ai demandé à Virginio de venir dans ma petite école professionnelle de Molenbeek. « Apprendre à lire les situations chaudes » était le titre qui pourrait donner l’occasion de regarder tant de plaintes quotidiennes des enseignantes.

L’une d’elles a raconté avec colère qu’une élève avait craché sur son sac (Delvaux). Silence. Puis je vois et entends Virginio s’approcher de la personne et lui dire doucement : « Madame, vous avez de la chance. » Face aux regards interloqués, il a ajouté : « Vous avez reçu un message. » Nous avons continué à déplier en vue d’une peut-être réponse.

Et je me suis dit qu’on devait absolument travailler avec Virginio à CGé. Après un premier article qui avait fait feu, pendant plusieurs années, nous avions décidé de l’interroger pour chacun des dossiers de notre revue. J’ai reçu beaucoup en recueillant sa parole et en la travaillant avec lui pour la rendre le plus lisible possible. Je naviguais entre sa pensée complexe, mouvante, ses expressions à décoder, ses formules dont je ne savais si elles étaient sa façon de dire, avec italianité traduite…, ou si c’était celle de Lacan ! Un recueil garde cette parole [3]. L’extrait retenu ici est typique de ces apports de Virginio.

Pour moi, il est un psychanalyste poète.
E luccicano le stelle !
Au présent.

notes:

[1 Extrait d’un air connu de la Tosca de Puccini.

[2 L’Antenne 110 est une institution pour enfants autistes ou en grande difficulté où Virginio Baio était présent dès le début et où il a été directeur thérapeutique pendant une quinzaine d’années.

[3Virginio Baio et Noëlle De Smet, Lectures d’écoles, CGé, 2013.