Itinéraire du projet Swarado

Seminot, Benjamin, Nicolas, Cédric, Steve, Remi, Arnaud, Tanguy, David, Jonathan, Audrick, Christopher, Benjamin, Stéphane et Wilfried sont devenus rédac’chefs du Swarado[1]Au départ, cet itinéraire a été écrit pour être rapporté oralement (collaboration avec Media Animation).. Des idées de reportages à la rédaction des textes, ils ont construit de bout en bout le supplément du Soir du 19 février 2008 avec l’aide de Sandra Robinet, leur professeur de sciences humaines et moi-même, leur professeur de français[2]Extraits du site Internet de leur école.

04-demarche186.jpgAlors qu’ils avaient pensé concourir seulement pour l’insertion d’un seul article, ces élèves de 6e professionnelle menuiserie ont été pressentis par des professionnels de la presse quotidienne pour assumer la rédaction d’un numéro complet de Swarado !
Un de leurs professeurs nous raconte leur parcours.

Du projet à l’accomplissement

L’origine

Le thème principal du concours de rédacteur en chef du Swarado devait appartenir au domaine des sciences humaines. C’est ce qui a interpelé Sandra Robinet. Il s’agissait de rédiger un dossier, un article « DBA » (pour « débat »), agrémenté de témoignages et de petites critiques culturelles. Elle m’a alors demandé si nous ne pouvions envisager un parcours commun pour y participer : elle s’occuperait des volets recherche et dossier sciences humaines, tandis que je serais chargée de la partie débat et critiques ainsi que de la supervision de la rédaction.

J’avoue avoir été un peu étonnée de sa démarche… que je considérais comme (très) optimiste… Elle, elle y croyait. Elle en avait déjà un peu parlé aux élèves qui avaient, eux aussi, été séduits par l’idée et avaient même déjà un thème de dossier en tête : marre qu’on dénigre les élèves de l’enseignement professionnel ! Par ailleurs, je pensais justement commencer un parcours sur l’argumentation : la rédaction d’un article-débat était donc une opportunité à saisir.

Le déroulement

Décision prise, il ne nous restait que trois semaines avant l’échéance : il était grand temps de s’y mettre. Le facteur temps a beaucoup influencé notre manière de travailler. Sandra, qui avait déjà mené quelques projets, a rapidement constitué un cahier des charges, avec une charte et une répartition précise des tâches. Voie sur laquelle je l’ai suivie.

Pour ce qui concerne le cours de français, j’ai pris le temps de poser certaines bases en partant de la rédaction de jugements de gout en peinture, ce qui a permis de distinguer les notions d’objectivité et de subjectivité, l’importance de justifier son opinion sur base de critères précis. Ensuite, nous avons réfléchi ensemble à un thème d’article-débat : la mode du poker a rapidement mené à parler des liens entre les jeux d’argent et les adolescents. Nous avons alors réfléchi ensemble à ce que devait contenir un article dont l’objectif était de créer le débat. Au tableau, nous sommes arrivés à un plan de travail global qui se résumait ainsi :

1. Le contexte : ce qui nous mène à aborder ce thème aujourd’hui plutôt qu’un autre.

2. Les attraits des jeux d’argent.

3. Les risques : en insistant sur le fait qu’on ne devait pas perdre de vue la relation de ce thème avec l’adolescence. La classe s’est donc simplement divisée en trois, et chaque groupe a rédigé ses idées. Comme nous avions pris du retard, nous avons aussi réparti du travail à domicile : trois élèves se sont engagés à rédiger des critiques[3]Swarado contient des recensions critiques de toutes sortes de produits culturels d’actualité : concerts, BD, jeux vidéos, CD, etc., tandis que d’autres étaient chargés de récolter des témoignages sur les jeux d’argent et d’autres encore seraient chargés plus tard de taper les différentes productions, de trouver des titres…

La dernière semaine, Sandra a finalisé avec eux sa partie et moi, en raison des délais, j’ai pris la décision de rédiger l’article sur les jeux d’argent de manière collective au tableau, en partant du plan prédéfini et du travail des différents groupes. Nous avons discuté chaque formulation, introduit aux connecteurs logiques, ceux qui étaient adaptés ou pas… ça a pris deux bonnes heures, mais on est arrivés à une mouture satisfaisante. Nous avons retravaillé la rédaction des petites critiques avec les élèves qui en étaient chargés et attendu que les élèves rédacteurs nous envoient le tout par mail.

Les doutes

Il faut bien admettre que ce moment du travail a été très difficile à gérer pour les deux professeurs : les élèves se sont évidemment rendu compte que participer à un concours de ce type n’était pas vraiment amusant et nécessitait beaucoup de travail. Par ailleurs, ils se demandaient si on avait vraiment des chances de gagner : motivation proche de zéro… rattrapée par l’engagement donné… Grosses colères, chambard, excuses et on verra…
Les textes sont arrivés par mail à la limite de l’échéance. Sandra et moi avons relu pour passer en revue la mise en pages et un maximum de fautes d’orthographe, plus quelques gros incidents de formulation. Projet envoyé à temps. Honneur sauf.

Avez-vous des nouvelles ?

À la rentrée de janvier, avions presque oublié qu’on avait participé à un concours… mais les élèves (les mêmes qui nous avaient un instant désespérées), non. Avez-vous des nouvelles ? On n’en avait pas. Et franchement, on ne pensait pas en avoir (ça, on ne l’a pas dit…). Mais le petit miracle a eu lieu : la Direction a reçu un coup de fil d’un journaliste du Soir, disant qu’on était sélectionnés et qu’une équipe passerait en parler avec nous. Rendez-vous pris. Incroyable. Euphorie. Bonheur et fierté des élèves.

Sélection n’est pas victoire

Le jour de la rencontre avec les journalistes, on prépare un local pour une réunion conviviale et on attend. L’euphorie a fait place à une sorte d’incrédulité. Lors de la réunion, les élèves ne parlent presque pas : ils sont intimidés. C’est à peine s’ils répondent aux questions posées. Les journalistes cherchent surtout à savoir comment les élèves ont travaillé, si les idées viennent bien d’eux. Sandra et moi, après une brève introduction, faisons le choix de nous taire totalement. Après avoir passé en revue l’ensemble de ce que nous avons envoyé en faisant des remarques sur ce qui était bien et ce qui ne l’était pas, les journalistes posent la question : vous sentiriez-vous d’attaque pour rédiger un Swarado ? On a bien aimé votre dossier, on trouve intéressant qu’une classe de professionnelle se lance là-dedans. Elles font passer différents exemplaires du Swarado, expliquent le contenu des autres pages à remplir. Comment ? Il ne s’agissait pas juste de retravailler les articles déjà produits ? Non : il faut tout prendre en charge (à quelques exceptions…), retravailler ce qui a été fait et recommencer les critiques, parce que maintenant, celles qui avaient été faites sont dépassées. Sandra et moi nous regardons anxieusement… ! Les élèves, comprenant que leur accord va marquer leur victoire, acceptent d’une seule voix : on va relever le défi. Heu-reux. Pour nous, c’est entre une joie indicible et un coup de massue face au travail qui nous attend. Il nous reste trois semaines, vacances de carnaval comprises.

Marathon vers un Swarado

À nous deux, Sandra et moi prenons en charge la classe six heures sur huit[4]Les cours se donnent toute la journée le mercredi. Sandra a deux heures et moi quatre. Pendant nos fourches, nous regroupons en étant présente chez l’autre et à certains moments, Sandra qui … Continue reading, chaque mercredi. On comprend vite qu’il va falloir répartir le travail efficacement parce que le calendrier est serré. Nous aurons seulement un mercredi pour travailler en autonomie complète, sans les journalistes. Le mercredi suivant, vacances mais les adresses Internet de tous ont été répertoriées, pour pouvoir communiquer, le cas échéant. Le mercredi suivant, une journée complète de travail avec les journalistes à l’école, précédant le vendredi avant la parution, où nous sommes invités toute la journée à la Rédaction, à Bruxelles, pour finaliser entièrement le projet.

Travail autonome

Dans un premier temps, nous avons travaillé sur les corrections et la recherche pour les critiques (voir note 2), sur base des remarques formulées par les journalistes. Nous avons ensuite travaillé sur les pages culture, laissant les pages d’actualité pour la dernière semaine, obligation… d’actualité, justement. Entre nous, sans les journalistes, nous avons corrigé le contenu existant, rédigé les critiques et proposé les articles que nous pouvions prendre en charge à l’avance (reprise de la Champions League, lancement d’une exposition à Namur…), sur le même mode que précédemment[5]Complémentarité entre les deux disciplines, avec les deux enseignantes, répartition des tâches, écriture par fragments : composition collective d’un plan d’article et répartitions des … Continue reading, puisqu’il avait été efficace. Sandra concentrant ses périodes sur la recherche informatique et la critique des sources. La victoire, par magie, insuffle une énergie décuplée à la majorité des élèves. Nous en découvrons certains pour la toute première fois : ils s’ouvrent, s’investissent, s’interrogent : un bonheur absolu pour nous, les profs. Un travail épuisant aussi, qu’on ne se fasse aucune illusion. Mais dans un climat tel qu’on ressent chaque heure la chance de faire ce métier lorsqu’il en ressort tant de richesse.

Journalistes à l’école

Le gros du travail se fait la dernière semaine. Le dernier mercredi[6]Pour la petite histoire, il faut signaler que Sandra devait être dans une autre classe pendant certaines heures. Les élèves de 6P ont écrit à la direction pour qu’elle puisse être avec eux et … Continue reading, la venue des journalistes donne une impulsion très bénéfique. Elles structurent notre travail, en dessinant, notamment, une maquette du journal mettant en évidence ce qui est fait et reste à faire. Les élèves sont hyper attentifs. Nous avons demandé à d’autres profs de nous céder leurs périodes, selon nos moments libres. La collaboration est générale. Vendredi, tout devra être terminé.

Nous tenons tous ensemble une espèce de réunion de la rédaction où sont discutés les thèmes possibles pour les articles d’actualité. À midi, ce qui était fait est entièrement corrigé et nous savons exactement de quoi le reste sera fait. L’après-midi est consacré aux recherches, à la planification et la rédaction par groupe des articles. Chacun travaille selon ses facilités et ses affinités. On n’a pas le temps de faire autrement. Bien sûr, certains sont plus efficaces et appliqués que d’autres… Il ne faut tout de même pas rêver. Mais dans l’ensemble, chacun aura bel et bien fait sa part, même si nous nous retrouvons à la fin avec des profils de journalistes plutôt sportifs, critiques, people, rédacteurs, « titreurs »… Ce jour-là, une photographe est aussi présente pour faire un photoreportage à propos de l’école professionnelle : le summum pour les élèves, qui réfléchissent à des mises en scène et des légendes adaptées.

Une journée au journal Le Soir

C’est normalement le dernier jour de travail. Élèves emballés, rien qu’à l’idée de passer la journée à Bruxelles. Visite rapide des locaux et mise au travail. On n’a pas le temps de chômer. Un local est mis à notre disposition, on a pris nos ordinateurs portables. On a de quoi boire et manger. Au travail. Toujours la même chose. Répartition des articles, des sources, mise en évidence des informations importantes et planification. Correction dirigée et rédaction accompagnée par les professeurs et les journalistes. Les élèves travaillent beaucoup, mais difficilement de manière autonome. Ils ont besoin d’être rassurés, guidés. On doit leur faire comprendre leurs erreurs sans les dévaloriser tout en gardant leur propre originalité. Difficile équilibre. Chacun a investi un espace. Des tournantes sont organisées avec la mise en page… les maquettes descendent, au fur et à mesure que les pages se complètent. Le travail se termine enfin, dans une poussée d’adrénaline motrice. On a tous bossé comme des fous, mais le résultat est là. Le défi a été relevé. Ils se sont comportés de manière exemplaire dans un endroit où le silence et le calme sont de rigueur (ça ne les a quand même pas empêchés de constater très honnêtement que les sandwichs prévus pour le midi ne constituaient qu’une simple entrée… (C’était vrai…). Nous sommes vraiment fières d’eux et eux aussi. Ce qui est émouvant, c’est qu’on peut ressentir qu’ils n’en ont pas eu si souvent l’occasion… Ils n’oublieront jamais cette expérience, nous en sommes sures. Nous non plus. On s’applaudit dans le train en rentrant.

(Après) coup de projecteur

S’investir dans un tel projet est une expérience vraiment enrichissante, c’est ce que nous retiendrons tous. Au-delà de l’expérience humaine, les apprentissages plus scolaires sont indéniables et multiples. Si la rédaction demeure toujours un exercice difficile, les élèves ont pris conscience de l’importance du choix des mots, de l’adéquation d’un message à un destinataire précis et à un objectif précis. Ils se sont confrontés à la recherche, la critique des sources et l’honnêteté intellectuelle avec la difficulté de rédiger un texte original sur base de sources diverses, mais parfois réduites, en synthétisant et en reformulant, mais sans plagier. Ils ont appris à se réunir pour discuter ensemble des propositions, les défendre ou les rejeter, planifier leur travail, prendre conscience des délais… Le travail d’équipe a été expérimenté. Ils ont vu qu’une collaboration efficace ne nait que d’une répartition lucide du travail selon les compétences, les gouts, mais aussi la motivation de chacun. Sur qui compter ? Pour quoi ? Que puis-je déléguer ? Qu’est-il préférable que je prenne moi-même en charge ? Certains timides ont osé prendre la parole pour défendre leur point de vue et exprimer leurs angoisses afin de pouvoir les surmonter et aboutir à l’objectif. Quelques-uns, manquant de confiance, se sont découvert des talents cachés. Certains trublions ont été portés par le poids des responsabilités. Tous en marche vers un objectif commun, envers et contre tout. Chacun à sa mesure, indispensable à la réalisation du tout. L’expérience a aussi été l’occasion pour eux de se décentrer. S’ils regrettaient le fait que les « manuels » soient souvent dénigrés, ils ne diront plus que les « bureaucrates » ne sont pas de vrais travailleurs.

Nous en sommes tous sortis plus grands, mais aussi éreintés. Mener ce type de projet nécessite la collaboration de nombreuses bonnes volontés. On ne peut y faire face seul. C’est l’occasion de retrouver plus de communication entre nous et de construire des projets pluridisciplinaires, ce qui permet aussi de montrer aux élèves que les professeurs aussi, au-delà des apparences, marchent ensemble pour et avec eux. Si c’était à refaire, il faudrait aussi réfléchir à une évaluation efficace et nuancée de ce travail. Nous considérons évidemment qu’il a valeur autant formative que certificative. Dans l’urgence, nous avons bien noté tout le monde : nous avons considéré que c’était mérité. Bien sûr, nous avons distingué certains critères, tels le respect des délais, l’accomplissement des tâches assignées, la motivation, l’esprit d’équipe… Mais peut-être serait-il intéressant de travailler sur une grille plus détaillée en termes, notamment d’apprentissages. Ce n’est cependant pas ce que nous retiendrons… Ce projet nous ayant donné des ailes qui valent la peine d’être essayées.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Au départ, cet itinéraire a été écrit pour être rapporté oralement (collaboration avec Media Animation).
2 Extraits du site Internet de leur école.
3 Swarado contient des recensions critiques de toutes sortes de produits culturels d’actualité : concerts, BD, jeux vidéos, CD, etc.
4 Les cours se donnent toute la journée le mercredi. Sandra a deux heures et moi quatre. Pendant nos fourches, nous regroupons en étant présente chez l’autre et à certains moments, Sandra qui donnait cours ailleurs a pu être remplacée pour être avec le projet des 6P.
5 Complémentarité entre les deux disciplines, avec les deux enseignantes, répartition des tâches, écriture par fragments : composition collective d’un plan d’article et répartitions des parties entre certains élèves qui écrivent chacun une partie puis mise en commun des parties avec introduction des connecteurs logiques pour la composition finale de l’article.
6 Pour la petite histoire, il faut signaler que Sandra devait être dans une autre classe pendant certaines heures. Les élèves de 6P ont écrit à la direction pour qu’elle puisse être avec eux et les journalistes !