La DPC ? La déclaration de politique communautaire. C’est le contrat de mariage qui lie PS et CdH pour les 5 années à venir. C’est la déclinaison détaillée de leurs projets concernant les matières de la Fédération Wallonie-Bruxelles (culture, enseignement, médias, sports, santé, éducation permanente, petite enfance, jeunesse…). Les spécialistes de ces matières ont mis près de deux mois à peaufiner les textes et à se mettre d’accord. C’est dire si ces textes ont été lus, relus, amendés… Il s’agit donc bien de textes de référence qu’on ne peut prendre à la légère. À terme, ils devraient servir de base à une évaluation du travail accompli par le couple humaniste-socialiste. Aujourd’hui je me limiterai à une première approche, partielle et partiale, des projets en matière d’enseignement obligatoire.
On pourrait se réjouir. Par exemple, de l’annonce à répétition d’un « Pacte pour un enseignement d’excellence ». Il devrait associer, dès l’entame de la législature, « tous les acteurs » concernés à une réflexion sur l’avenir de l’enseignement obligatoire. C’est la réponse à une revendication de la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire.
Quelques questions quand même. Comment concilier la créativité et l’imagination indispensables pour penser le futur et donc les incontournables ruptures avec un système mortifère… avec une DPC qui, pour l’essentiel, tente une fois de plus de colmater les brèches d’un Titanic ? En multipliant les pistes (qui feront rêver plus d’un) sans jamais préciser les moyens nécessaires à leur mise en œuvre ?
On pourrait rire jaune. Par exemple en souvenir de la promesse de campagne du PS : des repas gratuits à midi. Cela devient : « Le gouvernement veut améliorer la gratuité en initiant des expériences pilotes proposant des repas de qualité à base de produits locaux, à prix modeste, en commençant par les écoles maternelles ». Quelle lamentable réponse à l’appel fort « ne plus reporter la question de la gratuité » du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté et du délégué général aux droits de l’enfant.
Autre merveille : la décision d’allonger un « tronc commun » qui n’existe que sur papier. Pure fiction : pour les familles et les jeunes, il y a rupture, souvent douloureuse, entre l’école primaire et le premier degré du secondaire (qui bafouille depuis au moins 30 ans). Faute du courage nécessaire pour mettre en place un vrai tronc commun.
On devrait surtout s’inquiéter. Loin d’être exhaustif, je pointe trois motifs d’inquiétude :
1. L’austérité annoncée d’emblée. Elle contraste avec l’abondance de mesurettes préconisées. Que faire avant une éventuelle éclaircie budgétaire en 2017 ? Avec quels moyens ? On ne voit rien qui soit chiffré, même pas les économies espérées sur le redoublement. On dénonce les concurrences couteuses et inacceptables entre réseaux ou à l’intérieur même de ceux-ci. Pas de mesures précises et chiffrées. Pas question de procéder à l’intérieur de l’enveloppe à des transferts entre des situations « confortables » et d’autres « intenables ».
2. Rien sur l’accrochage au début de la scolarité : les maternelles et premières années du primaire en zones prioritaires, on n’en souffle mot ! On va évaluer les dispositifs mis en place. Les coalisés préconisent de rendre la scolarité obligatoire dès 5 ans. Un : il faudra convaincre les Flamands et revoir la Constitution (aïe). Deux : ça ne changera pas grand-chose si les écoles en zones prioritaires ne voient pas les conditions de travail des personnels profondément modifiées. « Inégalité à l’école : le record belge » titrait la presse en juillet sur base du rapport annuel de l’Unicef. On s’attendait à ce que la lutte contre ce scandale constitue la colonne vertébrale de la DPC. On est loin du compte.
3. L’École à l’école de l’entreprise ? La voilà la colonne vertébrale. Ce n’est évidemment pas dit clairement. Mais ça suinte par tous les pores de l’animal. C’est Mac Kinsey qui est le vrai inspirateur de ce document. C’est évident quand on examine les pistes pour l’enseignement qualifiant. Idem pour ce qui est préconisé en termes de « management » des établissements et du système dans « une logique de régulation et de pilotage » (expression favorite des rédacteurs). Ce n’est pas tout : on promet de multiplier les évaluations en tous genres… tout en proclamant l’autonomie des directions et des établissements. En réalité, c’est une logique managériale pure et dure qu’on veut installer. En partie camouflée par un paquet de bonnes intentions.
Au total, et c’est le pire, cette déclaration manque cruellement de souffle et de perspectives. Il s’agit quand même du projet de formation et d’éducation d’enfants et d’adolescents qui construiront la cité de demain. Qui seront acteurs ou spectateurs des bouleversements des décennies à venir ? Ils auront à relever des défis de taille : planète en péril, intégrismes, inégalités profondes, replis nationalistes, nouvelle organisation/répartition d’un travail toujours plus rare, déshumanisation des rythmes de vie, mainmise d’entreprises privées sur les données personnelles, manipulation de nos « besoins »… Pas un mot de tout cela !
Ce n’est pas en se fixant sur les « besoins » à court terme du « monde du travail » (lequel ?) qu’on va développer l’imagination, l’audace et la créativité bien nécessaires. Le mot « coopération », lui, n’apparait pas. Alors, un Pacte avec les interlocuteurs classiques, ceux qui nous ont enlisés dans les crises ? Avec les spécialistes des compromis boiteux ? Qu’on y associe au moins des philosophes, des artistes, des entrepreneurs coopératifs et de l’économie sociale, des visionnaires, celles et ceux qui innovent au quotidien sans chercher le profit et en quête du bien commun.
On ne peut se contenter de rendre l’École plus efficace. Il faut aussi interroger les finalités d’une École en phase de décrochage par rapport aux évolutions sociétales. Et ne pas faire comme si ça allait de soi de mettre l’École au service de la compétition économique (tout en invoquant ça et là citoyenneté et égalité).
Que le politique ose enfin sortir des sentiers battus, des demi-mesures et des consensus mous. Qu’il ose affronter les corporatismes. Le sauvetage du service public d’éducation est à ce prix.