Enseignants, infirmières, policiers, gardiens de prison... [1]
Les fonctions symboliques de l’Etat (l’ordre public, la santé publique, l’enseignement public) se dégradent sans pour autant coûter moins cher parce que l’Etat se fourvoie en négligeant l’importance considérable de la qualité du facteur travail dans les services publics.
Les services publics sont des métiers de relation dont la qualité, l’efficacité, dépendent des compétences relationnelles et techniques du personnel ainsi que de la qualité de l’environnement dans lequel prend place cette relation. Dans ces quatre professions, on constate les mêmes symptômes de dégradation des services. Non que l’Etat se désintéresse de ces fonctions -tout au contraire, il y multiplie les réformes concernant le cadre organisationnel, les nouvelles missions, surinvestissant le cadre institutionnel- mais parce qu’il néglige systématiquement de remédier à la dévalorisation du statut social de la fonction. Quand il est question du travailleur des services publics, ce qui reste de son statut est plutôt pointé comme cause de l’échec des réformes. L’Etat fait ce qu’il peut, mais l’immobilisme, les crispations du personnel en freinent, voire en annihilent les effets.
On ne valorise pas des professions avec du vinaigre
Cette situation conduit à un cercle vicieux : la dégradation des services produit des réformes qui surinvestissent la symbolique du métier, les attentes sociales le concernant et la nécessité du contrôle des travailleurs rendus responsables de cette dégradation. La dégradation des conditions de travail et du statut social de la profession qui en résulte, provoque une pénurie de personnel et/ou de compétences, une démotivation qui dégrade l’image des services. Comme ces professions sont devenues peu attractives, les conditions de formation initiale et de recrutement baissent, ce qui dégrade l’efficacité et la qualité des services. Et de nouvelles réformes institutionnelles, organisationnelles font leur apparition...
Il semble cependant que l’Etat ait décidé de tenter de sortir de ce cercle vicieux en ce qui concerne les gardiens de prison et les policiers. On ne badine pas avec l’ordre public. Et puis les policiers et les gardiens de prison se sont mobilisés, eux, ils sont entrés en grève, ce qui semble peut probable à ce jour de la part des infirmières et des enseignants.
Or, à quoi tient la revalorisation sociale d’une profession ?
Le salaire, bien sûr, pour son pouvoir attractif et la valorisation sociale concrète qu’il représente, mais aussi les conditions de travail qui sont fonction du statut symbolique de la profession dans la société. Ces deux composantes sont d’ailleurs liées. Par exemple, quand les exigences d’une profession ont tendance à en dégrader les conditions de travail, -cadres surmenés, professions à risque, ...- cette dégradation est compensée par un surcroît de salaire si la profession est socialement bien considérée.
On a vu, pour les professions des services publics, l’importance du cadre de la relation. Cette notion de cadre de la relation fait référence aux éléments matériels (immobilier, mobilier, équipement), immatériels (compétences relationnelles et techniques) et symboliques (confiance dans l’efficacité sociale de la relation, reconnaissance de la compétence du personnel et de l’institution).
Il faut modifier le rapport de force
Enfin, le mode de contrôle, de régulation d’une profession, revêt aussi une importance considérable quant à sa valorisation sociale. Quand on perd de la considération sociale, le contrôle se fait plus rapproché : sur la compétence qui est suspectée d’être insuffisante ou lacunaire (formation continuée obligatoire), sur le temps de travail qui doit être compté et surveillé (le contremaître et la pointeuse), sur les résultats dont le personnel est suspecté de se désintéresser (évaluation externe et précarisation du personnel). Plus une profession gagne en considération sociale, plus elle gagnera de liberté sur ces différents points.
La revalorisation des profession des services publics revêt donc des aspects matériels (un salaire plus attractif, un cadre de travail adapté), immatériels (des compétences réelles et reconnues) et symboliques (de la confiance réciproque).
- Stratégie gouvernementale dans la chasse à l’enseignant
Pour les enseignants, cela signifie que le temps est venu d’une mobilisation significative, capable de modifier le rapport de force, sur les objectifs suivants :
- une revalorisation salariale qui soit en mesure de rendre la profession plus attractive, d’arrêter la dégradation du recrutement et la dévalorisation des compétences qui justifient la dégradation du statut et provoque la dégradation du service ;
- l’amélioration des conditions de travail par une diminution du nombre d’heures de cours à donner afin de laisser place au travail collectif entre enseignants dans l’école, hors contrôle direct ;
- l’adéquation entre les services proposés et les disponibilités en personnel, notamment par la reconnaissance du temps des services prestés dans l’école, leur intégration et leur limitation dans le contrat de travail ;
- la reconnaissance des compétences spécifiques des enseignants et de leur expérience, par exemple en créant le statut d’enseignant chercheur, en instaurant des procédures d’évaluation des réformes impliquant les enseignants, la promotion des échanges d’expérience et de formations entre enseignants.
[1] Je ne cite pas ici les professions des secteurs social et culturel parce que dire qu’elles sont dévalorisées relève déjà du lieu commun depuis de nombreuses années.