Les indicateurs de l’enseignement en Communauté française indiquent une croissance désespérante des redoublements. Injonction est faite aux écoles de tout mettre en œuvre pour aider les élèves en difficulté scolaire : remédiation, année complémentaire, différenciation…
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L’objet de cet Impolitique est d’apporter un éclairage sur la « remédiation scolaire », particulièrement au niveau de l’école primaire. Souvent les équipes éducatives sont désemparées. Soit elles ne savent pas trop comment s’y prendre, soit elles mettent en place des stratégies qui s’avèrent contreproductives, soit elles sont persuadées que les raisons de ces difficultés sont extérieures à l’école et que le problème vient uniquement de l’élève.L’aide aux élèves en difficulté scolaire ne peut plus se contenter de quelques rattrapages. Il faut révolutionner le rapport aux apprentissages, à savoir la manière d’apprendre dans la classe.
Certes, depuis quelques années, il existe une prise de conscience de l’importance de soutenir l’élève en difficulté à l’école. Nous ne sommes plus au temps où le cancre dormait près du radiateur ou était tyrannisé par un maitre cruel. Actuellement, avec souvent beaucoup de bonne volonté, des enseignants mettent de l’énergie pour venir en aide aux élèves en difficulté d’apprentissage. Mais, trop souvent, leur contribution ne conduit pas aux résultats escomptés : on ne sait pas suffisamment ce qui est et ce qui n’est pas efficace en matière d’aides complémentaires. [2]
Dans les classes, avant tout
Posons maintenant deux préalables. D’une part, l’aide apportée sous n’importe quelle forme doit s’adresser aux élèves qui en ont vraiment besoin, à savoir ceux qui, pour des raisons diverses, rencontrent des difficultés dans leurs apprentissages. Nous nous inscrivons clairement dans la perspective de lutte contre les inégalités scolaires en vue d’une égalité d’acquis de base. D’autre part, nous insistons pour que l’aide complémentaire soit apportée au sein des écoles. En termes de remédiation scolaire, se développent de plus en plus de réponses externes à l’école, à la fois institutionnelles, avec la reconnaissance du rôle de soutien scolaire des écoles de devoirs, et privées, avec l’explosion des coachings payants ou des cours particuliers. Ceci pose la question du rôle de l’école dans ce processus de remédiation scolaire et plus largement dans la réussite scolaire pour tous. Rappelons une fois encore la mission d’émancipation que l’école doit jouer en amenant chacun à la réussite, mission clairement décrite dans les décrets École de la réussite et Missions (1995 et 1997).
Nous voudrions encore avancer deux idées fortes [3] liées à cette problématique. D’une part, selon une vision macro, nous ne pouvons que répéter qu’apporter un certain nombre de corrections dans le système scolaire particulièrement inégalitaire de la Communauté française de Belgique est en soi une forme puissante de remédiation. D’autre part, il est essentiel d’aider les enseignants à faire leur métier en les formant à repérer les difficultés des élèves, aussi bien les difficultés sociocognitives issues de l’apprentissage du métier d’élève que les difficultés propres à l’apprentissage des matières. Il est aussi essentiel que les enseignants sachent comment les élèves, et en particulier ceux qui éprouvent des difficultés, apprennent et qu’ils soient aptes à mettre en place des dispositifs pédagogiques et didactiques qui permettent un réel soutien et une différenciation efficace. Sans oublier un indispensable apprentissage de la gestion de l’hétérogénéité des groupes-classes dont ils ont la charge : c’est sans doute la condition sine qua non pour que la mixité sociale ait une petite chance de porter ses fruits.
Collectivement, à tous les niveaux
Ceci étant posé, nous voudrions relever quelques « pratiques » qui apparaissent plus intéressantes comparées à d’autres qui semblent moins performantes. En effet, nous sommes convaincus que la remédiation est intimement liée à l’acte d’enseigner. De nombreuses recherches4 ont démontré que sortir un élève de sa classe afin de lui apporter quelques nouvelles explications, isolées du contexte de la classe, n’était pas efficace. Non seulement l’élève reçoit peu de stimulation du groupe mais risque, si la chose se reproduit régulièrement, de rapidement décrocher du cours de la classe, voire d’être stigmatisé comme « élève en difficulté » et ainsi de porter une étiquette négative aux yeux des autres et aux siens.
Or, souvent, les enseignants pensent qu’aider l’enfant personnellement fera que cela ira mieux. Mais le risque est grand que l’enseignant titulaire se décharge partiellement de la gestion des difficultés de ces élèves (« Je ne m’en fais pas maintenant, il ira à la remédiation et tout ira mieux ») et amène une déresponsabilisation progressive de l’élève (« Je ne m’en fais pas maintenant, j’irai à la remédiation et tout ira mieux »). Certes, il peut être utile de donner de temps en temps un petit coup de pouce individualisé à l’un ou l’autre élève qui rencontre une difficulté ponctuelle. Cette pratique est pourtant trop largement répandue et trop souvent confiée aux enseignants néophytes qui ne maitrisent pas toujours les contenus dans leur progression et dans leur globalité.
À contrario, il semble plus intéressant de favoriser des dispositifs dans lesquels deux enseignants interviennent simultanément dans la classe : l’un gère l’activité avec l’ensemble du groupe alors que l’autre est plus proche des élèves en difficulté. À ce propos, relevons une expérience d’inclusion qui associe étroitement des enseignants de l’enseignement ordinaire avec d’autres du spécialisé. Dans ce cadre, des élèves de type 8 [4], dans l’enseignement primaire, sont inclus dans une classe de l’enseignement ordinaire avec leur enseignant. Ils participent à toutes les activités de la classe, qui est cogérée par deux adultes. Par ailleurs, nous ne remettons pas en cause l’utilité de faire appel à des spécialistes (logopèdes, psychomotriciens…) pour remédier aux troubles distincts. Néanmoins, nous prônons une intervention de ces personnes au sein des classes. Combien d’enfants quittent régulièrement leur classe pour leur séance de « logo » ! Bien entendu, cette approche nécessite d’accepter de travailler en partenariat étroit. La frilosité de beaucoup reste un obstacle.
Nous voudrions également souligner l’intérêt du tutorat entre pairs au sein de la classe ou entre classes de différents niveaux. Le principe du tutorat entre pairs consiste à faire enseigner un apprentissage défini à un élève moins avancé (le tutoré) par un élève plus avancé dans la maitrise de cet apprentissage (le tuteur) [5]. Ce dispositif accroit l’efficacité de l’enseignement et permet, sous la conduite d’un enseignant, de noter des progrès favorables dans les apprentissages, tant chez le tutoré que chez le tuteur, particulièrement au niveau de la lecture.
Enfin, nous voudrions aussi relever l’intérêt de mettre en place dans les classes « des groupes de besoin qui, tout en conservant l’accrochage des élèves à une classe d’âge, hétérogène quant aux niveaux de compétence, offrent à ceux qui sont en difficulté l’opportunité de rejoindre un groupe homogène pour certains apprentissages » [6] et cela sous certaines conditions.
La remédiation scolaire est à l’évidence une réponse qui permet à certains élèves de surmonter leurs difficultés d’apprentissage, à condition qu’elle repose avant tout sur des choix pédagogiques définis par les établissements scolaires et que ces choix s’orientent prioritairement vers des activités collectives en classe plutôt que vers des formes d’individualisation des apprentissages. Cette orientation, dont la plupart des recherches démontrent l’efficacité, demande une formation accrue des maitres axée sur le travail en équipe, sur la gestion de l’hétérogénéité et sur la détection précoce des difficultés des élèves.
[1] Titre inspiré de J. BERNARDIN, allocution lors d’un Colloque intitulé Quelle aide pour quelle école ?, Bordeaux , novembre 2008.
[2] Sous la direction de G. CHAPELLE et M CRAHAY, Réussir à apprendre, Puf, 2009, p. 71.
[3] Ces deux idées sont défendues par ChanGements pour l’égalité. La seconde a été développée par R. WATTIEZ et A. CHEVALIER dans une carte blanche Pas de formules magiques pour l’École.
[4] Le type 8 de l’enseignement spécialisé est destiné aux élèves pour lesquels l’examen pluridisciplinaire conclut qu’ils présentent des troubles qui se traduisent par des difficultés d’apprentissage
[5] Voir à ce propos l’article de Benoît GALAND, Hétérogénéité des élèves et apprentissages : quelle place pour les pratiques d’enseignement ? dans Les cahiers de Recherche en Éducation et Formation n° 71, Girsef, UCL, 2009
[6] Sous la direction de G. CHAPELLE et M. CRAHAY, Réussir à apprendre, Puf, 2009, p. 16.