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Accueil / CDoc / Recensions / L’école co-organise la discrimination en stage

Fabrice Dhume, sociologue à l’ISCRA, publie aujourd’hui un livre, fruit
d’une importante recherche, où il montre que « si la discrimination est le fait
des entreprises, l’école coproduit cette discrimination ou, même, l’anticipe.
Ce qui est en totale contradiction avec les missions de l’école. » Le discours
officiel sur le partenariat entre l’école et l’entreprise cache des arrangements
discriminatoires, au détriment des élèves : « Il s’agit d’une situation
de coproduction : l’employeur veut un stagiaire, le professeur, lui, doit gérer le
potentiel du stage. Si un employeur explique ne pas vouloir certains types de
jeunes, l’enseignant va vouloir à la fois protéger le jeune et garder le stage ».
Et pour cela, il tolère les critères discriminatoires, se faisant « complice »
d’un délit. Du coup, la qualité du stage n’est pas discutée. « Les enseignants
se sentent dominés. (...) Si l’école s’engage à ce que le stagiaire honore son
engagement vis-à-vis de l’entreprise, cette dernière n’est de fait redevable que
d’un engagement moral dans la formation. »
Ainsi, les enseignants ont l’impression que les difficultés qu’ils rencontrent
à trouver des stages ou placer des élèves relèvent principalement
des incompétences des jeunes à s’adapter au monde de l’entreprise.
Fabrice Dhume souligne que les enseignants se sentent même redevables
vis-à-vis des employeurs qui ont accepté un jeune « difficile », par exemple.
Mais ce qu’il nomme une « dette » pour l’enseignant est transféré sur l’élève,
qui aurait alors la charge de donner une bonne image de l’école. « L’élève est
ainsi engagé, non pas seulement pour son image personnelle “d’éducabilité”
et “d’employabilité”, ou autrement dit pour son image d’élève, mais comme
agent scolaire en mission, cheville ouvrière de l’équilibre tout entier du placement
 ». Il revient donc aux élèves de supprimer la distance qui existe entre
l’école et l’entreprise, comme s’il existait une « continuité normative »
entre les deux mondes.
L’institution scolaire, incapable de gérer les problèmes de discrimination
au sein même des lieux de stage, ne permet souvent pas à l’élève d’en
parler ou lui reproche de se « victimiser ». Pour certains enseignants, la
discrimination peut même « constituer un “support éducatif ” dans une perspective
de dressage des récalcitrants ». Il existe donc « un usage tempéré ou
dosé de la discrimination visant à ramener les élèves à leur place et à obtenir
d’eux une acceptation de leur condition, une soumission à l’ordre. » Une situation
qui concerne d’autant plus un jeune s’il est de sexe masculin, de milieu
populaire et issu de l’immigration. Dans ce système, « les enseignants sont
conduits à se soucier du résultat (une place pour tous les élèves) sans trop de regards sur le processus (le vécu de la recherche de stage) ni sur la qualité du produit (ce que l’on apprend en stage) ».

- F. Dhume-Sonzogni, « Entre l’école et l’entreprise, la discrimination en
stage. Une sociologie publique de l’ethnicisation des frontières scolaires », éd. Presses universitaires de Provence/IREMAM, 2014.
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