L’opportunité m’a été donnée d’effectuer un intérim à temps partiel dans l’enseignement secondaire spécialisé. Il s’agit d’une école située en région bruxelloise pour des élèves de type 4, forme 4, plus clairement des élèves atteint d’un handicap moteur cérébral.
Ces élèves sont officiellement en ‘intégration’ dans une autre école située à plusieurs kilomètres, mais concrètement vu les difficultés de déplacement de ces élèves, ce sont les profs de l’école principale qui viennent donner leurs cours[1]Cette ‘intégration’ est dès lors tout à fait fictive.. Les élèves dont j’avais la charge et à qui je donnais un cours de néerlandais sont respectivement en 5ème et 6ème technique de qualification, section tourisme.
Pour plusieurs raisons que je vais exposer ci-dessous, j’avais envie de coucher sur papier ce qui me questionne au travers de cette expérience et qui renvoie à des questions plus générales touchant aux conditions de l’exercice du métier d’enseignant.
D’un point de vue pédagogique, la question du sens m’a tiraillée durant les 5 mois de cet intérim. Je reste avec un tas de questions : Comment apprennent ces élèves différents? Quelles méthodes d’apprentissage leur conviennent le mieux ? Comment lever leurs ‘blocages’, si c’est possible ? Pourquoi leur faire apprendre des langues à raison de 10 heures semaines en option tourisme (néerlandais et anglais 4h + espagnol 2h) ? Où se trouve la limite entre un souci réel d’apprentissage (il s’agit quand même d’une école) et une tendance à céder à des activités de nature ‘occupationnelle’ sous couvert de cours ? Quid de l’orientation et du suivi post-scolaire ?
Les constats en fin d’année sont affligeants : la conjugaison du verbe ‘avoir’ et ‘être’, pourtant revue maintes fois, reste toujours non maîtrisée, sans parler de la conjugaison de base ou encore de la construction de la phrase. Néanmoins, certaines choses sont étonnantes, telle cette élève qui seule à l’aide d’un dictionnaire, arrive à donner les idées essentielles d’un texte non vu …
Pourtant tous les élèves ‘réussissent’, à défaut d’apprendre. Il y a comme une convention tacite qui veut que les élèves n’échouent pas, il faut savoir qu’un élève dans l’enseignement spécialisé est porteur d’une forte valeur ajoutée en termes d’heures organisables et il ne faudrait pas mettre en péril l’édifice y compris l’emploi et j’ai constaté que chaque prof mettait en place sa stratégie pour faire réussir les élèves. À noter que l’encadrement pédagogique est surnuméraire. Oserai-je dire que nous étions deux professeurs (AESS en philologie germanique) pour chacun une élève en 5ème et respectivement un et deux élèves en 6ème ? Cette interrogation sur le cognitif et son encadrement m’a amené à m’intéresser à l’institution dans laquelle je me trouvais.
L’école en question comprend une école primaire et un internat, ainsi que toute une logistique médicosociale assez impressionnante pour prendre en charge des élèves qui en ont grandement besoin. L’horaire des élèves comprend donc des séances de kinés, des rencontres avec des assistants sociaux, … . Il est frappant de constater que tout ce petit monde se côtoie sans jamais se concerter, c’est du moins le constat que je pose car durant ma présence sur place, je n’ai jamais été mis au courant de manière formelle ou informelle de concertations pluridisciplinaires. J’ai même cru percevoir une rivalité entre l’équipe pédagogique et l’équipe médicosociale. Il faut en effet se rendre compte que certains élèves, lourdement appareillés, ne peuvent écrire seuls et nécessitent un accompagnement constant à l’intérieur des cours, ce qui signifie qu’un enseignant donne cours en présence d’autres adultes.
D’une manière générale, les fonctions et les rôles à l’intérieur de l’institution ne sont pas clairement définis. Je n’ai par exemple jamais été présenté au directeur de l’école et ‘la coordinatrice pédagogique’ semblait devoir faire face à un nœud institutionnel.
Que retenir de tout ceci ? En aucun cas, l’intention n’est ici de stigmatiser ce type d’école ou ce type d’enseignement à partir d’une expérience partielle. L’analyse succincte que je livre ci-dessous est transférable à l’ensemble des types d’enseignement même si ici plus qu’ailleurs j’ai eu très clairement le sentiment ‘d’occasions ratées’.
Depuis pas mal d’années, les enseignants sont confrontés à de nombreuses évolutions touchant leur profession et le système scolaire. Sans être exhaustif, pointons la dévalorisation du statut social, un public scolaire plus hétérogène, de nouvelles missions pour l’école, une demande d’efficience, la promotion d’un nouveau modèle d’enseignant (praticien réflexif), … Ces transformations ont modifié, complexifié les conditions de l’exercice du métier d’enseignant, et ce peu importe le type ou le niveau d’enseignement.
On pourrait croire que ces transformations aient eu un effet ‘rassembleur’, que des enseignants se soient soudés au sein d’équipes pédagogiques plus fortes, bref que la dimension collective soit intégrée dans la construction de l’identité de l’enseignant.
On pourrait croire que dans des petites équipes comme dans l’enseignement spécialisé, face à des questions pédagogiques complexes, un éclairage multidisciplinaire contribue à mieux accompagner les élèves, d’autant plus que ces professionnels sont rassemblés en un même lieu. Il n’en est rien.
Nous pointons – et une fois de plus ceci n’est pas propre à l’enseignement spécialisé – combien il est important de soigner les ‘institutions’. Pour aller vers l’autre, il faut être soi-même mais aussi avoir une place, clairement délimitée par des responsables, des garants du projet éducatif. L’absence de cadre comme je l’ai vécue, est porteur d’insécurité, de peur, de repli sur soi. Prendre appui sur un cadre permet de ne pas faire tout reposer sur les personnes, leur bon plaisir et bon vouloir. La tentation est forte dans les écoles – ici comme ailleurs – de céder au tout au relationnel et de négliger l’institutionnel.
Cette courte expérience dans un milieu bien spécifique renvoie en filigrane à des expériences déjà vécues antérieurement, comme si les écoles souffraient d’un même mal. Comme si de manière paradoxale des questions fondamentales touchant aux apprentissages, à la vie en équipe pédagogique n’arrivaient pas à prendre leur place à l’école.
R. Wattiez
27/06/07
Notes de bas de page
↑1 | Cette ‘intégration’ est dès lors tout à fait fictive. |
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