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Accueil / Publications / TRACeS de ChanGements / TRACeS n°239 - L’enseignement spécialisé - février 2019 / La FWB est-elle la mauvaise élève de la classe européenne ?

L’attention portée à l’enfant en situation de handicap est à envisager dans une perspective européenne. Cette évolution n’a jamais été le résultat de l’avancée d’un seul pays, mais plutôt celui d’une réflexion entamée à partir de la fin du XVIIIe siècle et qui se poursuit de nos jours aux quatre coins du globe.

Les premiers établissements s’adressaient prioritairement aux jeunes sourds puis, quelques années plus tard, aux jeunes aveugles. Au début du XXe siècle, avec la mise en place de l’enseignement obligatoire et l’introduction des premiers tests destinés à évaluer l’intelligence, un intérêt naitra pour la prise en charge des jeunes atteints d’un retard mental.
Il faudra attendre les années 70 pour voir poindre une réelle organisation de ce qui deviendra l’enseignement spécialisé. Le modèle médical sera la norme, et le restera… L’enfant à besoins spécifiques nécessiterait une approche spécifique et une prise en charge par des spécialistes.
En 1994, la conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux organisée à Salamanque fera évoluer la conception de l’enseignement spécialisé vers la mise en œuvre d’un enseignement réellement inclusif. Quelques pays européens dont la Belgique jetèrent les bases de l’European Agency for special Needs and inclusive Education dont l’objectif premier vise à fournir des informations factuelles et des orientations sur l’instauration de systèmes éducatifs inclusifs aux pays membres.
En 2009, la convention internationale relative aux Droits des personnes handicapées ratifiée par la Belgique placera cette problématique au centre des préoccupations des États européens : « Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » (art.24, 2 b).

Et en Belgique

ces cinquante dernières années ?
La loi de 1970 a organisé l’enseignement spécialisé sur des bases communes, depuis, les trois Communautés ont diversement évolué.
L’avancée la plus spectaculaire est celle de la Communauté germanophone qui a opté pour une réorganisation de son enseignement spécialisé et pour une intégration importante des jeunes concernés dans l’enseignement ordinaire. Le dispositif est complété par la création de classes spécialisées intégrées au sein des écoles ordinaires et réservées aux élèves porteurs des handicaps les plus sévères. Peut-être doit-on y voir l’influence de l’Allemagne et du Luxembourg qui ont en commun une langue d’apprentissage et avec lesquels la Communauté germanophone entretient des liens étroits. Par ailleurs, sa petite taille lui permet une plus grande réactivité dans les orientations et les prises de décisions.
Du côté néerlandophone, de récentes mesures ont bouleversé la prise en charge de ces élèves. Le renforcement des dispositifs de maintien en enseignement ordinaire et la suppression progressive du type 1 (retard mental léger) et du type 8 (troubles instrumentaux et d’apprentissage) ont fait baisser la population dans l’enseignement spécialisé de quatre-mille élèves. Pour les élèves qui ont un retard mental plus sévère, une disposition appelée offre de base permet une orientation temporaire dans une structure spécialisée, avec la mise en place d’une réévaluation tous les deux ans.
Mais paradoxalement, la Flandre a été amenée à créer un enseignement de type 9, destiné aux élèves porteurs du syndrome d’Asperger, communément appelés autistes de haut niveau.
Prudente dans ses décisions, la fwb observe, s’informe et réfléchit. Les mesures liées au processus d’intégration (décret du 5 février 2009) ont probablement amorcé l’avancée la plus significative de ces dernières années.

Comparaison n’est pas raison…

Après avoir balayé l’évolution globale de l’enseignement spécialisé, il est intéressant de s’interroger sur la manière dont nos voisins accompagnent la scolarisation des élèves à besoins spécifiques, pour nous aider à passer d’une école pour chacun vers une école pour tous.
Même si la majorité des pays a l’intention louable de remplacer progressivement le modèle médical par un modèle plus social qui responsabilise la société et qui lui impose de s’adapter à tous, tant en ce qui concerne l’accessibilité et le système éducatif, cette comparaison entre pays reste cependant compliquée.
La première raison, c’est la variété des définitions de l’élève à besoin spécifique. En fwb, c’est le 7 décembre 2017 qu’un décret donne pour la première fois une définition de ce profil d’élève : besoin résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation permanents ou semi-permanents d’ordre psychologique, mental, physique, psychoaffectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant, au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire fondamental ou secondaire.
En Islande, cette définition est étendue aux élèves qui ne maitrisent pas la langue d’apprentissage. En France, l’académie de Rennes y inclut les jeunes incarcérés. Notons également, et juste à titre d’exemple, que l’évaluation de la malvoyance et de la cécité diffèrent également d’un pays à l’autre.
Dans ces conditions, les chiffres communiqués par les différents pays ne permettent jamais d’établir une comparaison raisonnable. La Suède, le Luxembourg, l’Espagne ou l’Italie déclarent moins de 2 % d’enfants à besoins spécifiques alors que la Slovaquie, la Lituanie et l’Écosse en annoncent 10 à 15 %. La fwb se situe aux alentours de 5 % tandis que l’Islande crève le plafond avec près de 25 % (European Commission, 2012).
Qu’est-ce que les États déclarent faire de ces jeunes en situation de handicap ? Chez nous, ces 5 % représentent trente-six-mille élèves fréquentant l’enseignement spécialisé dont près de cinq-mille sont impliqués dans un processus d’intégration. Les élèves qui relèvent des types 1 et 8 représentent 65 % de la population de l’enseignement spécialisé (Indicateurs 2015-2016).
En Italie, en Islande, en Norvège, en Suède ou au Portugal, plus de 95 % de ces jeunes fréquentent une classe d’enseignement ordinaire. Aux Pays-Bas, en Lituanie ou en Allemagne, plus de 60 % de ces jeunes sont en enseignement spécialisé.
Pour la Grèce, le Danemark et la Suisse, les enfants se répartissent pour moitié en enseignement spécialisé et pour moitié dans des classes spécialisées intégrées au sein de l’enseignement ordinaire. Il faut rester prudent, car au sein d’un même pays, les chiffres peuvent révéler des façons de faire différentes. C’est le cas de la Suisse où chaque canton gère et organise son enseignement.

La formation des maitres

La Belgique investit peu dans la formation nécessaire à l’accompagnement de l’élève en situation de handicap. Travailler dans l’enseignement spécialisé ne nécessite aucune formation complémentaire et il est actuellement tout à fait acceptable de confier la gestion d’une classe d’enfants sourds à un enseignant qui n’a aucune approche de la langue des signes. À l’opposé, la Pologne, l’Italie, le Québec et la France ont mis l’accent sur la formation des maitres sous forme d’années complémentaires en hautes écoles ou à l’université et même grâce à la formation directe d’orthopédagogues. Une deuxième raison qui limite la comparaison.
Au sein de l’Europe, il n’y a que la fwb qui considère que les élèves atteints de troubles des apprentissages doivent être orientés vers l’enseignement de type 8, organisé uniquement à l’école primaire. Or, ils représentent la moitié de la population des jeunes de l’enseignement spécialisé primaire.
Comme l’a démontré Philippe Tremblay [1] (2006), la population de l’enseignement de type 8 est composée à plus de 50 % de jeunes dont un parent au moins est d’origine étrangère, et plus de 70 % ont des parents ouvriers ou sans emploi. Il ajoutait par ailleurs qu’un nombre élevé d’enfants n’étaient pas réellement identifiés comme élèves porteurs de troubles des apprentissages.
Ces éléments ont amené le législateur à insister sur le fait qu’un manque de maitrise de la langue de l’enseignement ou l’appartenance à un milieu social défavorisé ne constitue pas un motif suffisant d’orientation vers l’enseignement spécialisé. (décret 3 mars 2004, art. 12)

Quid du rôle de l’orientation, du poids des évaluations ?

Chez nous, le pouvoir des centres psychomédicosociaux reste important, c’est principalement de leur décision que va dépendre l’orientation. La labellisation de l’élève en fonction de son trouble ou de son handicap sera déterminante, soit pour l’orienter vers l’enseignement spécialisé, soit pour réclamer un accompagnement dans l’enseignement ordinaire, soit pour le reléguer hors du système général.
Le Québec, l’Angleterre et la Flandre tentent de rendre la main au pédagogue. Il s’agit avant tout de se centrer sur la difficulté de l’élève et non sur une définition de trouble ou du handicap : l’idée n’est pas de mettre une chose en place parce que l’élève est aveugle, mais d’identifier la difficulté d’apprentissage produite par le handicap afin d’y apporter une réponse de pédagogue.
En fwb, on reste très attaché aux épreuves certificatives en termes de réussite ou de non-réussite. Il n’existe aucun degré intermédiaire qui permette une quelconque dispense. Tout au plus interrogera-t-on deux fois à l’écrit l’élève sourd qui ne peut satisfaire à l’épreuve à l’audition (circulaire 2623). Certains de nos voisins préfèrent décerner un titre basé sur les compétences acquises par l’élève. Ce dernier, n’ayant pas passé le cap de telle ou telle matière, ne sera pas arrêté en chemin, il sera autorisé à poursuivre son parcours jusqu’au terme de ses études.

En guise de conclusion

Même si la fwb n’est pionnière ni en matière d’intégration et encore moins dans la création d’une école inclusive, il existe une réelle préoccupation d’offrir à tous les jeunes une place au sein de l’enseignement obligatoire ordinaire ou spécialisé, quelle que soit leur situation. Des efforts sont accomplis afin de permettre le maintien des jeunes en situation de handicap au sein des établissements d’enseignement ordinaire. Des projets pilotes ont vu le jour qui permettent la création de classes à visée inclusive même si, dans les faits, elles restent majoritairement des classes intégrées [2].
La fwb est-elle la plus mauvaise élève de l’Europe ? Certainement pas, mais une élève qui reste trop souvent persuadée que l’enseignement spécialisé reste la meilleure voie d’épanouissement pour les enfants et les adolescents à besoins spécifiques et qui peine à porter un regard plus inclusif sur son enseignement.
De contacts informels avec les représentants de pays européens, il nous revient très régulièrement des remarques relatives à une demande clairement exprimée par les parents ou/et par leurs enfants d’une volonté de réintégrer un enseignement spécialisé, voire d’en recréer un.
Les causes évoquées sont souvent un mal-être du jeune, conscient de sa différence et en souffrance dans un milieu peu adapté. Nous ne pouvons pas non plus ignorer ces remarques. 

notes:

[11 Ph. Tremblay, Évaluation de la qualité de deux dispositifs scolaires — l’enseignement spécialisé et l’inclusion dans l’enseignement oirdinaire — destinés à des élèves de l’enseignement ordinaire, ayant des difficultés/troubles d’apprentissage, Thèse de doctorat, ULB, 2010.

[2Le principe de l’intégration, c’est qu’un élève à besoins spécifiques inscrit dans l’enseignement spécialisé fréquente les cours de l’enseignement ordinaire avec un accompagnement pédagogique et ou paramédical. L’école inclusive, elle, met en place une réponse globale à tous les besoins spécifiques de ses élèves.