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Accueil / Publications / TRACeS de ChanGements / Rubriques hors dossiers / Impolitiques / Le « Contrat pour l’École » et la lutte contre les inégalités : qu’est-ce qui bouge ?

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CGé souhaite prendre du recul par rapport à diverses mesures adoptées en Communauté française depuis l’arrivée du gouvernement Arena (juillet 2004). Plusieurs « Impolitiques » de TRACeS y seront consacrés. Tant les mesures que le processus feront l’objet de nos critiques.
Le moment nous semble opportun de dresser un bilan à partir de notre point de vue, à savoir celui d’une association d’éducation permanente, d’un acteur non institutionnel.

Nous sommes avant tout porteurs de valeurs d’égalité et d’une revendication forte pour l’École en Communauté française : une École permettant à TOUS les enfants de sortir avec un bagage intellectuel et culturel qui leur permettra de s’épanouir sur le plan personnel, citoyen et professionnel.

Ce texte-ci entend livrer une évaluation globale du « Contrat pour l’École » initié en 2005 [1].

Nous n’allons pas ici revenir en détail sur les causes des inégalités scolaires criantes, ni surtout sur les conséquences dramatiques pour des milliers d’enfants pour qui l’École est synonyme avant tout d’exclusion et de blessure. Nous ne reprendrons pas non plus de manière méthodique les dix priorités du « Contrat » pour les passer au crible fin de nos critiques. Nous voulons davantage cibler la problématique des inégalités scolaires.

Rappelons d’abord ce que nous trouvions positif par rapport à la législature communautaire précédente : un seul poste ministériel en charge de l’enseignement obligatoire ainsi qu’un plan d’envergure à long terme dépassant le gouvernement actuel et souhaitant dans ses déclarations initiales rendre notre système scolaire plus efficace et surtout plus équitable.

Il est communément admis que ces objectifs rencontrent deux freins structurels majeurs : la présence d’un marché scolaire et une sélection précoce des élèves dès le début du secondaire, voire plus tôt. Qu’a fait le gouvernement pour lever ces freins ?

Afin de favoriser la mixité sociale malgré le marché scolaire, il a actionné le levier d’une régulation par les inscriptions et, plus timidement, celui des bassins scolaires.

Dans un système scolaire se devant de respecter la liberté des parents de choisir leur école et face à un mode de subvention qui « invite » les écoles à la « chasse » aux élèves et qui les conduit à se spécialiser au service d’une couche sociale et à devenir autant de ghettos, il importe d’agir sur les modes de répartition des élèves et des subventions afin de « coresponsabiliser » les établissements.

Nous déplorons que le gouvernement n’ait pas retenu cette piste et trouve prématuré que la gestion des désidératas des familles en matière de choix d’établissements soit régentée par des instances décentralisées [2]. L’idée de bassin scolaire est simplement retenue en vue « d’optimaliser » l’offre d’enseignement, sans que davantage de précisions ne soient données.

Les différents scénarios proposés ont trop vite été jetés aux oubliettes et le pouvoir central a manqué de confiance dans la responsabilisation collective des directeurs d’établissements.

Pour les inscriptions scolaires, les débats ont davantage été médiatisés et ont pris une tournure passionnelle. Les classes sociales défendant leurs privilèges sont montées au créneau et de réels enjeux transcendant l’École sont apparus sur une ligne de fracture : à gauche les partisans d’une plus grande égalité, à droite les défenseurs de la liberté de choix, inscrite dans la constitution.

En fin de compte, le décret de février 2007 prescrit une inscription dans l’ordre des demandes, sur registre, à date fixe et l’interdiction de changer d’école en cours de cycle de deux ans. Ses effets sur la mixité sociale resteront marginaux. Par contre, les débats ont exacerbé les tensions sociales autour de l’École, ce qui pourrait freiner une évolution souhaitable de l’opinion des couches aisées vers cette mixité.

Le deuxième frein concerne la sélection précoce. La littérature scientifique sur la présence d’un tronc commun de longue durée confirme que les systèmes scolaires intégrés sont plus égalitaires [3]. La réforme du premier degré a pour ambition d’amener tous les élèves à la maitrise de socles de compétences à quatorze ans et dès lors de réaliser ce tronc commun.

Au moment d’écrire ces lignes, nous ne connaissons pas encore précisément les modalités de ce futur décret, mais là aussi, le débat peut se poser en termes de valeurs : soit une vision de l’école qui différencie et sélectionne très tôt, soit une vision d’une école intégratrice qui donne le plus longtemps possible les mêmes outils à tous.

Le processus entamé donne à penser que les équipes éducatives du premier degré ne sont pas suffisamment prises en compte. Il ne suffit pas de venir greffer l’idée d’un tronc commun sur un système qui a une tradition de sélection précoce si le sens d’un tel changement n’est pas clair pour tous et si la transformation des pratiques n’est pas accompagnée.

Si nous partageons avec le gouvernement l’objectif ambitieux (et affirmé clairement depuis l’adoption du décret « Missions » en 1997) de faire de l’École un lieu d’émancipation sociale, nous avons de sérieux doutes sur les avancées qui seront engrangées en fin de législature.

Le processus mis en œuvre mérite dès lors question. La réussite du Contrat pour l’école ne repose pas uniquement sur le gouvernement. Le discours développé par certains d’un gouvernement travaillant seul, à grande vitesse, adoptant des mesures uniformes, voire contraignantes ne colle pas à la réalité. Il semble important de distinguer deux classes d’acteurs : les principales fédérations de pouvoirs organisateurs (CPEONS et SEGEC) et les acteurs de terrain (équipes éducatives au sens large).

Un récent décret (juillet 2006) est venu renforcer le processus de copilotage (gouvernement et fédérations de PO) afin de systématiser les mécanismes de concertation.

Ce copilotage prend cependant du sens quand les « décideurs » sont sur la même longueur d’onde ! Certaines prises de position de fédérations de PO concernant la mixité sociale et les moyens pour y arriver sont plus que préoccupantes. La paralysie du système -et donc l’incapacité à faire reculer les inégalités scolaires ne tient-elle pas aussi à ce mode de fonctionnement ?

Nous ne pouvons qu’exhorter gouvernement et fédérations de PO à se mettre d’accord sur un socle commun. En quoi les finalités du « Contrat pour l’École » sont-elles partagées par tous ?

Quant aux acteurs de terrain, nous comprenons qu’ils peuvent se sentir « lâchés », délaissés. Il semble que l’on ne tienne pas suffisamment compte de leurs réalités au quotidien. Il serait intéressant à cet égard de dresser un baromètre de la confiance que les acteurs éducatifs accordent au gouvernement et au Contrat pour l’école. À titre d’exemple, nous jugeons peu efficace la mesure décidée en début de législature prônant dans le début du fondamental un nombre identique d’élèves par enseignant sans tenir compte du contexte socioéconomique des écoles concernées.

Nous faisons la suggestion à l’avenir que pour les grandes décisions concernant l’École, un débat permanent -dont les modalités seraient à définir- soit instauré avec les enseignants. Il nous semble que l’on ait mis fin de manière trop abrupte aux consultations des enseignants que le gouvernement précédent avait initiées et qui avaient été prolongées sous la présente législature.

Enfin de manière plus transversale, nous nous posons également la question de l’évaluation du « Contrat pour l’École » : il ne suffit pas de passer « d’une obligation de moyens à une obligation de résultat » notamment par la généralisation d’épreuves pour occulter ce qui constitue une lacune récurrente des politiques éducatives chez nous. Nous ne savons toujours rien en matière de gestion de ces résultats d’écoles. En quoi vont-ils permettre d’aider les élèves qui n’ont pas acquis les fameux socles de compétences ? Comment éviter une publication de ces résultats qui viendrait encore renforcer la concurrence entre établissements ?

Le gouvernement vient de publier un document intitulé « Bilan et perspectives à mi-législature » (mai 2007). L’étalage des cinquante chantiers et des quarante-quatre décrets est certes impressionnant et la démonstration d’une vision globale et systémique pourrait convaincre [4] : le diagnostic a été bien posé et les objectifs clairement définis dans un programme erronément appelé contrat. Nous ne partageons cependant pas au regard de l’analyse ci-dessus l’optimisme affiché quant aux effets des mesures prises en matière de lutte contre les inégalités.

Rudy Wattiez

Secrétaire général

ChanGements pour l’égalité, mouvement sociopédagogique

notes:

[1Textes complets du « Contrat pour l’École » sur www.enseignement.be.

[2M. ARENA, « Juguler la ghettoïsation », Politique, 48/2007.

[3X. DUMAY et V. DUPRIEZ, « L’égalité des chances à l’école : analyse d’un effet spécifique de la structure scolaire », Revue française de pédagogie n°150.

[4À condition de croire que l’École changera par voie de décrets...