Dans la DPC 2014-2019, la « généralisation d’une épreuve externe certificative en fin de secondaire » est évidemment spectaculaire. Cette mesure annoncée ne devrait cependant pas cacher de nombreuses autres mesures annoncées moins spectaculaires et tout aussi importantes et même plus en termes d’impact. Encore que pour toutes ces mesures, y compris pour ce pseudo bac, leur impact dépendra principalement des moyens budgétaires dégagés pour les organiser et de la force et de la qualité de leur implémentation.
Pour ou contre ce « bac » ? Pour répondre à cette question, « médiatique » mais simplificatrice, il est nécessaire de replacer cette mesure dans son contexte. Contrairement à ce que pensent la majorité des enseignants et des parents, la politique éducative en FWB est d’une remarquable cohérence depuis 20 ans, depuis le décret « Missions » plus exactement. Cette politique cohérente tente vainement de lutter contre la faiblesse majeure de notre système scolaire, à savoir sa profonde inéquité, sa propension à reproduire les inégalités sociales à travers les inégalités scolaires. Ces profondes inégalités (relevées régulièrement par les enquêtes internationales) sont mises en relation avec des inégalités encore plus fortes entre établissements. Notre système scolaire est de ceux au monde qui distribue sa population de la manière la plus homogène socialement, avec des écoles ghettos et des écoles sanctuaires.
À tort ou à raison, le pouvoir politique, suivant en cela la recherche en éducation, a fait de la lutte contre les inégalités entre établissements son objectif premier. C’est cet objectif que la FWB poursuit depuis 20 ans. Mais ne pouvant s’attaquer aux causes premières de cette distribution de la population scolaire (à savoir la double liberté constitutionnelle, celle des parents et celle des Pouvoirs Organisateurs), elle tente d’agir « règlementairement » avec trois axes majeurs, les inscriptions (décrets Inscriptions), l’inspection en lien avec les référentiels de compétences et les programmes (décret Inspection) et les évaluations externes. Ce bac serait l’aboutissement logique de cette politique, sanctionnant ainsi les compétences terminales, et cela, en attendant logiquement un mini-bac en fin de 2e secondaire pour sanctionner les compétences-socles (avec le tronc commun annoncé dans la DPC ?).
Par ailleurs, d’autres mesures dans la DPC vont dans le même sens diminuer la concurrence entre établissements pour diminuer les inégalités entre établissements), comme par exemple, le lissage du financement des établissements. Beaucoup moins spectaculaire, cette mesure pourrait, si elle est bien menée, avoir bien plus d’impact que ce spectaculaire Bac.
Pour ou contre ce « bac » ? La question est donc de savoir si ce bac va contribuer à diminuer les inégalités entre établissements (effet recherché) et si cette mesure ne va pas entrainer d’autres effets non recherchés (effets pervers).
On sait que l’évaluation externe, particulièrement dans un contexte de quasi-marché, est un puissant levier d’orientation des pratiques pédagogiques. La majorité des établissements et des enseignants vont tenter d’obtenir les meilleurs résultats à cette épreuve. Ils vont donc adapter leur enseignement, en tout cas le contenu de cet enseignement, pour obtenir les meilleurs résultats possibles, laissant tomber les contenus matière non évalués et insistant sur ceux les plus évalués. Dans ce sens, c’est évidemment ce que recherche le pouvoir politique, obligeant tous les établissements à se concentrer sur ce que les concepteurs de cette épreuve externe jugeront importants. Et la question qui compte reste : « qu’est-ce qui est important ? »
Le pouvoir des concepteurs de cette évaluation est donc énorme et l’enjeu principal est là : sur quoi va-t-on mettre l’accent et quel rapport au savoir cela va-t-il renforcer ? Par exemple, va-t-on favoriser l’esprit critique, le questionnement, la recherche ou va-t-on favoriser la connaissance, le respect des protocoles, les solutions ? Bien sûr, le décret Missions est là ainsi que les compétences socles et terminales pour baliser cette conception, mais l’examen des épreuves externes passées montre bien qu’on peut prendre des orientations très divergentes.
A cet égard, l’orientation implicite (et même explicite à divers endroits) de la DPC fait la part très belle à la seule deuxième Mission du décret. On voit bien que la préoccupation majeure est l’emploi et que les écoles devraient d’abord répondre aux besoins des employeurs, c’est-à-dire à leurs intérêts, ce qui ne correspond pas nécessairement aux besoins de l’économie ... Cette soumission de l’école à l’économique et même à l’économique vu sous l’angle patronal est inquiétante. Pas un mot sur la Culture dans la DPC, pas un mot sur les sciences humaines (histoire, géographie, sciences sociales). La seule éducation à la citoyenneté envisagée est la transmission (!?) de valeurs qui justement ne peuvent se « transmettre », ni d’ailleurs s’évaluer. Les mathématiques par exemple : des maths citoyennes (il y a de quoi faire) ou des maths pour les techniques. Et la physique et la bio, pour interroger et comprendre le monde ou pour préparer les applications industrielles ? Les seuls « savoirs de base » que veut promouvoir la DPC, à l’exclusion d’ailleurs des sciences humaines, sont envisagés sous l’angle du seul développement(!?) économique. Si ce bac renforce cette tendance déjà trop présente à l’école, alors ce bac sera néfaste, de mon point de vue.
Un autre effet pervers probable devrait être pris en compte. L’adaptation à l’évaluation prend souvent la forme du bachotage, c’est-à-dire de l’adaptation formelle à la nouvelle évaluation. On n’enseigne plus qu’en fonction de l’évaluation, favorisant la standardisation, la soumission, avec d’importantes pertes de sens. Or on sait qu’apprendre pour réussir une épreuve est beaucoup moins efficace et durable qu’apprendre pour l’intérêt intrinsèque de l’objet d’apprentissage lui-même. Cette perte de sens risque encore d’être renforcée par l’incohérence probable entre les différents textes de référence. Il est en effet beaucoup plus difficile d’évaluer les compétences que les savoirs, difficile aussi bien dans la conception des épreuves que dans la standardisation de la correction. Un bac qui évaluerait réellement les compétences terminales demandera beaucoup d’intelligence et beaucoup de moyens financiers. La FWB en aura-t-elle les moyens ? Sans quoi, les enseignants seront soumis à des incohérences et à une injonction paradoxale supplémentaires : enseigner par compétences et être évalués sur les savoirs, et même des savoirs d’autant plus simples et « morts » qu’ils doivent être évalués de manière standardisée ... !
Enfin, si l’objectif est de lutter contre les inégalités entre établissements, le risque est grand de produire le contraire. En effet, cette épreuve externe sera un très puissant moyen de comparaison et de concurrence entre établissements. La DPC ne le dit pas, mais on espère que, comme pour les autres épreuves externes, les résultats seront confidentiels. Le risque de dérapage est cependant énorme, bien plus grand que pour les autres épreuves externes. Il sera difficile, et c’est essentiel, d’empêcher l’utilisation de ces informations à des fins de concurrence au sein du quasi-marché ...
Jacques CORNET, formateur d’enseignants à l’HELMo, militant à CGÉ, mouvement pédagogique