Le collège Anne Franck

« Ouvert en septembre 2001, le collège veut permettre à tous les élèves, quel que soit leur profil, de profiter de leur scolarité durant les années collège tout en apprenant à vivre avec d’autres, différents. »

Interview de M.-D. Pierrelée, fondatrice du Collège Anne Frank.[1]Propos de Marie Danielle Pierrelée recueillis par L. Miguel Lloreda, C. Piette, retranscrits par E. Rayet et résumés par J. Cornet. Pour en savoir plus sur le parcours professionnel de M.-P. … Continue reading

L’école accueille beaucoup « d’enfants qui ont eu des histoires familiales assez difficiles et des histoires scolaires extrêmement difficiles », « des gosses qui se sont bloqués à un moment dans leurs apprentissages, mais qui sur d’autres terrains fonctionnent très bien ». On y trouve aussi quelques enfants dits précoces, quelques enfants très perturbés « les plus cassés », quelques enfants avec quelques graves troubles de l’apprentissage. Pour l’inscription, l’élève est invité à venir passer une journée dans l’école où il est confié à un autre élève avec qui « on pense que ça va marcher ». C’est lui qui lui explique comment fonctionne le collège, qui lui donne le planning de la journée. En général ça se passe bien. À la suite de ça, si les parents et le gamin ont toujours envie de poursuivre, ils doivent écrire une lettre de candidature. Mais il est primordial que « l’enfant adhère, qu’il ait l’impression de venir chercher quelque chose pour lui ».

L’organisation des cours

Il y a 10 profs pour 100 élèves, répartis quel que soit le niveau ou l’âge dans des groupes de tutorat. Le tutorat c’est l’entité de base. C’est par la « classe » de tutorat que commence la journée et qu’elle se termine. « Pour la composition de ces groupes, c’est parfois un peu la foire, un peu sommaire. Mais il y a peu de réajustement et surtout, le tuteur est chargé de faire attention à chacun de son groupe, de s’intéresser à lui.

Viennent ensuite les séquences et les cours au choix. Les séquences, modules de 15 h qui regroupent entre 15 et 25 élèves, correspondent à un point du programme. Le choix est permis et accompagné de près par le tuteur. Les cours au choix sont des heures plus légères et plus courtes, soit des remédiations sur des points précis du programme («on met le paquet pour se débarrasser de cette affaire»), soit des ouvertures portées par un prof, un élève, un parent, une association : un travail sur Guernica porté par le prof d’espagnol, la taille des bonzaïs proposée par un parent, un cours sur le moteur à explosion proposé par un élève. Ce qui est intéressant hormis le fait que le choix de l’élève intervient, c’est le statut du prof : il n’est plus l’unique responsable du contenu enseigné, il n’est plus que le spécialiste de sa discipline. Non seulement il a la possibilité de laisser la place ou de coanimer, mais il peut aussi devenir sujet d’apprentissage, apprenant. M.-D. Pierrelée aimerait bien avoir plus d’adultes qui viennent comme apprenants : «Si savoir est vraiment une richesse, il faut que cela apparaisse comme tel. Il faut que l’on voie qu’il y a des adultes qui sont prêts à payer de leur personne, de leur temps, pour l’obtenir, pour l’avoir».

Les cours ont également besoin pour vivre d’être portés par le collectif, il faut l’assentiment et l’intérêt de tous ; le tuteur devient passeur «tu devrais aller voir, je pense que ça te ferait du bien même si moi, j’en ai jamais fait» (création d’un cours au choix de yoga). À côté des séquences et des cours au choix, les élèves sont tenus également de réaliser des projets, projets collectifs pilotés par des enseignants ; et projet individuel accompagné du tuteur.

Les profs et les parents

Les parents, «il faut s’en faire des alliés, mais il faut aussi qu’ils soient à leur place. Quand ils arrivent, on les soulage, on essaye de les décrisper. On leur dit que de toute façon, dans ce collège, il n’y a pas de devoir à la maison et que c’est pas leur job. On veut pas qu’ils fassent les profs bis, mais on a besoin qu’ils portent un regard positif sur l’école et sur leurs mômes, ça facilite la réussite du gamin. De fréquentes réunions pour les parents sont organisées et on leur a donné, dans l’école, une salle, un lieu avec une cafetière, où ils peuvent venir quand ils le veulent. Ils ont les clés. On y fait la causette, on y est invité à prendre le café, c’est convivial. On a multiplié les rencontres comme ça, informelles.»

M.-D. Pierrelée a recruté elle-même ses professeurs sur base de complémentarité dans les matières et dans les logiques d’apprentissage. En opposition au statut et aux acquis syndicaux, certains enseignants enseignent plusieurs matières, c’est important que les profs y travaillent plein temps, qu’ils ne soient pas écartelés entre plusieurs emplois. Ils travaillent plus aussi : 24 heures de présence au collège, réparties sur 4 jours, car tout le monde s’est mis d’accord pour avoir une journée tranquille. «On ne va pas les surcharger plus qu’il ne faut, s’ils l’ont été on va essayer de compenser, mais les 4 jours où ils sont là, ils sont au service du collège». Tous les profs se réunissent le mardi soir. La réunion est régulée par un psy qui ne s’occupe pas a priori des élèves (un bon nombre d’entre eux sont en suivi psychologique à l’extérieur de l’école).

Des institutions importantes

Pensé dès la création du collège dans une réflexion globale sur l’évaluation, un logiciel d’un arbre de connaissances a été mis en place, en réseau. «C’est un instrument de transparence, pas de flocage.» Le programme permet de trouver des renseignements sur les contenus que proposent les profs, chaque élève y va également pour y avoir son cursus : séquences et cours au choix, projets personnels et travaux réalisés. C’est comme une sorte de porte-folio de tout son parcours. Et puis il va aussi y chercher son emploi du temps individualisé, toutes les 5 semaines. Le principe de l’arbre de connaissance c’est qu’à chaque fois que l’élève maîtrise quelque chose, la maîtrise est validée soit par le prof, soit par l’élève soit encore par un autre élève, détenteur du savoir en question. «On peut être expert sur des petits domaines, mais être expert quand même.»

Face à ceux «qui avaient très très mal et qui nous mettaient en échec tout le temps, on a trouvé la solution du sas». Le sas c’est le lieu où l’élève peut aller quand il ne tient pas le coup, quand il ne veut pas, quand il pète les plombs. Il peut y aller de son plein gré ou envoyé par le prof. Il y est accueilli par un prof et un aide-éducateur. Ça a donné un coup de ‘ouf’ à tout le monde. Et puis on s’est aperçu rapidement des effets pervers, des élèves qui se donnaient rendez-vous au sas. On en a parlé au conseil du collège (lieu de discussion hebdomadaire avec les élèves représentants des groupes de tutorat, où les profs sont admis, mais n’ont pas le droit de vote) et les élèves ont dit «c’est normal que ça ne marche pas parce que c’est intéressant d’aller au sas, on peut s’amuser, les profs discutent avec nous, c’est sympa». «On a maintenu le système du sas et, sans s’énerver, on a dit que ces heures-là ils viendraient les faire à un autre moment. On a donc ouvert le samedi matin. Ça a très bien marché. Beaucoup se sont contenus, d’autres aimaient travailler le samedi et trouvaient normal de récupérer les heures. Il y est resté un petit paquet résiduel de gamins qui pètent les plombs à un moment… et puis voilà. Ça a beaucoup changé l’ambiance.»

Une autre institution a été créée, pour aider à la résolution des conflits : le conseil de râlage. Elle s’est modifiée et s’appelle aujourd’hui l’atelier de réparation, dans l’idée de réparation du lien cassé entre élèves et entre élèves et adultes. L’atelier de réparation regroupe chaque semaine la moitié des élèves du collège (il n’y a pas de local assez grand pour les réunir tous) encadrés par 5 adultes. Un premier tri est effectué parmi les plaintes, certaines reçoivent des réponses immédiates de la part de l’adulte (non seulement il n’était matériellement pas possible de traiter toutes les demandes, mais il est en plus très nécessaire que les adultes assument leur position d’adulte), d’autres arrivent jusqu’à la conseillère d’éducation. C’est elle qui décide de ce qui passera à l’atelier de réparation dont elle assume par ailleurs la médiation. Lors de ce conseil de râlage, il est demandé à chacune des deux parties de formuler ce qu’il avait vécu, mais aussi de reformuler, sans jugement, ce que l’autre avait dit. Les autres présents n’ont pas le droit à la discussion, ils en rediscutent après en sous-groupes et éventuellement avec l’adulte concerné. Au besoin, ils peuvent amener des propositions pour la gestion de situations conflictuelles au conseil du collège, mais ce n’est pas une instance de décision. Les adultes, c’est sûr que ça les a fait progresser aussi et le fait d’avoir des structures comme celles-là, ça permet à chacun de ne pas se retrouver seul dans la position d’autorité.

Le plus fondamental c’est de créer une relation d’alliance entre les jeunes et les adultes, qui sont là sur un objectif qui leur est commun et qui soit de l’ordre de l’émancipation des jeunes. Qu’on soit d’accord sur cet essentiel-là, que ce ne soit pas implicite, mais clairement dit. Alors seulement on peut survivre aux conflits.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Propos de Marie Danielle Pierrelée recueillis par L. Miguel Lloreda, C. Piette, retranscrits par E. Rayet et résumés par J. Cornet. Pour en savoir plus sur le parcours professionnel de M.-P. Pierrelée, lire L’insurgée, Seuil, 2000.