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Accueil / Publications / TRACeS de ChanGements / Rubriques hors dossiers / Impolitiques / Le contrat pour l’école : qui s’engage ?

Habituellement, les membres de l’équipe politique prennent en charge la rubrique Impolitique. Nous avons cette fois fait appel à Abraham Franssen [1] pour jeter un regard critique sur le récent Contrat pour l’école.

La démarche qui a conduit à la présentation du contrat pour l’éducation s’est voulue exemplaire d’une nouvelle gouvernance.

Le contrat pour l’école : l’affirmation d’une nouvelle gouvernance

En affirmant la prise en compte des consultations des enseignants, en impulsant une large concertation sur une première version du Contrat stratégique, en suscitant le débat au cours de « rencontres » avec les enseignants qui le souhaitaient, la Ministre de l’enseignement obligatoire a voulu établir les conditions d’un contrat de confiance entre les différents acteurs de l’enseignement, à commencer par les enseignants échaudés et refroidis par ... deux décennies de réformes et de rationalisations
Plus sans doute que l’enjeu substantiel des mesures concrètes et de leurs impacts espérés, l’enjeu du processus qui a conduit au contrat pour l’école était bien un enjeu procédural de légitimation : y croire, se prendre au jeu [2], réduire la fracture entre les mondes vécus des enseignants et leur rapport au système scolaire,... Sans cet engagement subjectif, l’école, qui est avant tout affaire de transmission ou si l’on préfère de construction culturelle et symbolique, n’est qu’une coquille vide, une arène où se déploient les stratégies instrumentales plutôt que la construction d’un espace commun. Sans le souffle démocratique qui les légitime, les réformes pédagogiques ne sont qu’injonctions administratives qui paralysent et que contournent les différents acteurs. Le contrat pour l’école visait (et vise encore) sur base de constats partagés, à une refondation de l’engagement des différentes parties autour d’un cadre et d’objectifs clarifiés, permettant ainsi le passage de la co-errance à la cohérence.

Entre défiance mesurée et confiance a minima

Une demi-année scolaire plus tard, il est sans doute un peu tôt pour déposer le bilan du contrat pour l’école. Tout au plus peut-on faire état de quelques constats en demi-teintes sur base d’un débat public redevenu atone.
Alors que l’on se souvient de l’exigence syndicale d’un moratoire sur les réformes et des diatribes contre les gourous pédagogiques, c’est désormais le silence radio. Alors que les pouvoirs organisateurs du réseau libre criaient au casse-cou en s’opposant aux ingérences programmées du politique sur le « pédagogique » et l’« organisationnel » (avec la proposition d’établir des « bassins scolaires » afin de tenter de réguler le marché scolaire), c’est désormais, en off, que s’expriment les réserves.
La situation de blocage a été évitée, mais au prix du maintien des positions acquises. Le processus mené et les mesures annoncées,- ainsi que les propositions retirées - ont calmé les griefs sans pour autant susciter l’adhésion. Le soufflé est retombé, tandis que le contrat pour l’école s’enlise en chicaneries et lourdeurs organisationnelles dans la mise en œuvre des mesures en principe les plus consensuelles (vingt élèves par classe). Le thème de la fracture scolaire a laissé la place à celui de la facture de chauffage. De la drôle de guerre scolaire, on est passé à la drôle de paix scolaire entre les ténors du système scolaire, ceux qui le représentent et ont le plus de tribunes pour en signifier les enjeux dans l’espace public.
Pour les enseignants eux-mêmes, la fonction cathartique des soirées-débats a sans doute permis le rétablissement d’une confiance minimale à défaut d’une croyance partagée. Pour le reste, au quotidien, l’ambiance des salles de classe et des salles de profs est déterminée par les micro-climats locaux. Si chacun s’est remis à la tâche, c’est peut-être avec le sentiment que les choses ne seront pas pires, mais sans doute pas avec celui des lendemains qui chantent.

Un système hybride

Ces sentiments mitigés tiennent au caractère hybride du processus de concertation et de débat à propos du contrat stratégique : tandis que dans les salles bondées et houleuses avaient lieu les soirées-débats entre la Ministre et les enseignants, dans les cuisines se tenaient les négociations entre les principaux acteurs institués du système scolaire : réseaux, syndicats, gouvernement, partis politiques. C’est là que se rédigeaient à huis clos les termes définitifs du contrat, dans l’arène institutionnalisée et routinière des luttes d’influence entre acteurs soumis aux contraintes du système dont ils sont à la fois les garants et les prisonniers.
Cette hybridation entre des modalités plus participatives de démocratie et les formes plus ritualisées de la démocratie représentative pourraient se révéler féconde, à la condition que chacun soit conscient des règles, formelles et surtout informelles, du jeu. Sinon, la participation proclamée est un leurre - pour ne pas dire un piège à cons - et cet hybride est alors un mulet : stérile. Si la sémantique du « contrat » s’est largement diffusée dans la terminologie de la nouvelle gouvernance, elle court le risque d’être galvaudée [3]. Car en fin de compte, en l’occurrence : qui a conclu le contrat pour l’éducation ? Qui engage-t-il ? Qui en assume la responsabilité ?
Ce flou maintenu quant aux responsabilités et aux engagements des uns et des autres tient à l’ambivalence des positions des différents acteurs institutionnels et à l’ambiguïté de leurs relations. Gouvernement, réseaux, syndicats ont chacun, simultanément ou successivement, plusieurs casquettes ou à tout le moins des intérêts croisés : à la fois instance ultime de décision et pouvoir organisateur pour l’un, pouvoir organisateur, groupe de pression et acteur sur un marché concurrentiel pour les autres, co-gestionnaires de fait et groupes de pression pour les troisièmes. De plus, au gré des affinités électives et des cooptations, des passages et des transferts d’une instance à l’autre (de l’organisation syndicale au cabinet ministériel, d’un parti politique à un pouvoir organisateur, ....), ce jeu relationnel se construit de manière fortement endogame. Ce n’est évidemment pas la sincérité, la qualité, ni les bonnes intentions des personnes qui sont ici en question, mais plutôt les effets pervers du système institutionnel scolaire en Communauté française, fait de poids et de contrepoids, enchevêtrant en cascade des niveaux de responsabilité et des zones d’autonomie et aboutissant à coup sûr à une neutralisation de toute velléité réformatrice.
Enfin et surtout, une des limites à la performativité du contrat pour l’école tient au fait que le dit contrat n’engage pas (ou si peu) les acteurs qui font effectivement la classe, l’école et le système scolaire : les enseignants, les directions et les P.O., les familles et les élèves... Ce sont pourtant leurs stratégies croisées et cumulées, rationnelles en fonction du système de contrainte de chacun (faire classe, « tenir la réputation de l’école », assurer l’avenir de ses enfants, trouver du sens à ce que l’on fait à l’école...) qui induisent les constats d’inégalité, de ségrégation, de « malaise » au fondement du contrat pour l’école. À défaut d’agir sur ces règles formelles et surtout informelles du jeu, celui-ci ne peut que se perpétuer. On en connaît l’issue : jeu libre pour les uns, jeu empêché ou hors-jeu pour d’autres.

Abraham Franssen

notes:

[1Sociologue, Centre d’études sociologiques des Facultés universitaires Saint-Louis.

[2On se souvient des admonestations du Ministre Hazette qui avait enjoint aux chercheurs de retirer cette expression « ludique » du rapport de la consultation des enseignants du secondaire.

[3Peut-être même faut-il voir dans la « barbarie douce » de cette nouvelle gouvernance une forme de violence institutionnelle ressentie sourdement et qui suscite en retour des formes de violence verbale dont la Ministre n’a pas été épargnée au cours des soirées-débats.