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Le Réseau IDée [1] a publié, en mars 2004, un Mémorandum des acteurs de l’Education relative à l’Environnement (ErE). Ce document de près de vingt pages parle d’éducation permanente mais surtout de l’école.

Le mémorandum propose, en particulier pour le secondaire, des pratiques interdisciplinaires, la pédagogie par projets et l’attribution d’heures de NTPP [2] à de tels projets, focalisés sur l’ErE.
Cette clarification du discours des ONG de l’environnement sur l’enseignement invite notre mouvement sociopédagogique à compléter des propositions déjà faites [3] [4] [5] aux ONG de développement, avec lesquelles nous avons eu, pendant quelques années, une coopération plus instituée [6]. Voici trois voies dans lesquelles nous souhaitons voir se développer l’action éducative des ONG - et des administrations qui, souvent, les mandatent - quel que soit leur domaine d’action : environnement, développement, droits de l’homme, santé...

Pour des partenariats négociés entre ONG et enseignants

Les problèmes de société pour lesquels différentes organisations proposent aux enseignants des outils pédagogiques - ou même l’intervention de leur propre personnel dans les classes - présentent un avantage pour l’enseignement : ils offrent de vrais problèmes comme objets de projets interdisciplinaires. Ils présentent aussi un risque : celui de réduire le temps disponible pour l’apprentissage de compétences de base. Traces a rassemblé de nombreux exemples concrets de cette dérive [7].
Que cherchent les ONG dans l’école ? Un accès au public jeune le plus large qui soit pour faire passer leur message. Or, souvent, elles disposent de peu de temps pour leur intervention et les enseignants les accueillent de façon relativement passive. Cette intervention tend alors à se limiter à une sensibilisation des élèves. Avec des effets pervers. Seuls les élèves qui ont capté dans leur environnement familial une attitude de recul critique face aux défauts de la société et aux révoltes qu’ils suscitent sortiront du débat qui leur est proposé avec une compréhension du monde plus structurée. D’où amplification des inégalités. De plus, en se faisant le support d’un discours partisan, l’école perd de sa légitimité, comme lieu où l’on apprend des savoirs socialement établis).
Alors que faire ? Établir des partenariats négociés entre enseignants et intervenants des ONG. Une négociation d’égal à égal, où chacun identifie clairement et poursuit ses propres buts : pour les enseignants, organiser l’apprentissage, par tous les élèves, de savoirs de base et, pour les intervenants, intéresser les jeunes à la problématique qui mobilise leur ONG. Une négociation où les enseignants ont aussi à défendre une neutralité active [8] de l’école publique, en exigeant des intervenants qu’ils annoncent la couleur : la dimension partiale, conflictuelle et politique de leur discours et de leur action.

Pour une éducation associative, hors école

Où trouver le temps d’organiser, pour les mêmes élèves, de tels partenariats sur les différents problèmes de société qui se poussent aux portillons de l’école ? Comment chaque secteur (ONG et administrations) obtiendrait-il les budgets pour financer ces interventions dans toutes les écoles ?
Par ailleurs, en apparaissant aux jeunes comme un volet du discours officiel, porté par l’école, le plaidoyer des ONG pourrait perdre sa fibre contestatrice et ne plus éveiller le désir de militer.
Ce qu’on peut souhaiter, pour l’éducation à la démocratie, c’est que chacun se soit senti concerné par l’un au moins de ces problèmes, qu’il se soit frotté à une militance parmi d’autres. Après avoir fait, à l’école primaire, l’expérience de la démocratie directe dans sa classe (par la pédagogie institutionnelle [9]), l’adolescent ne devrait-il pas faire aussi l’expérience d’un autre aspect de la démocratie : la multiplicité des « partis », des intérêts, des militances ? Pour cela, rencontrer à l’école, parmi ses condisciples, des jeunes animés de sensibilités différentes de la sienne. Et confronter ses arguments aux leurs dans le cadre de tranches horaires dévolues aux questions générales et au débat politique. Voilà une autre hétérogénéité [10] à promouvoir !
Cette variété des intérêts militants dans une même classe suppose que la sensibilisation aux problèmes de société, qui se fait de manière spontanée dans le milieu familial et dans l’environnement social proche, se complète d’une réflexion organisée par chaque secteur de militance pour des jeunes volontaires, comme le font déjà les Magasins du Monde ou Amnesty. Les ONG y gagneraient probablement une pépinière de militants solides, plus prometteuse à long terme que la sensibilisation diffuse mais superficielle qu’elles peuvent attendre du projet d’envahir l’école. Cela implique de développer l’éducation permanente, en faisant commencer celle-ci à l’âge scolaire, soit au sein de nouveaux mouvements de jeunesse, plus thématiques que les anciens [11], soit en mélangeant les classes d’âge.

Pour une participation des ONG au choix des contenus d’enseignement

Les problèmes de l’environnement, comme ceux du développement, objecterez-vous, relèvent de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers. À ce titre ils auraient bien leur place dans l’école publique. Pour en convaincre l’opinion, les ONG devraient fédérer plus solidement leurs discours. C’est possible quant au fond : pour faciliter le développement du Sud, comme pour réduire l’empreinte écologique du Nord, celui-ci devrait adopter des modes de consommation et de production moins dépendants des ressources naturelles et du travail du Sud.
Pour concrétiser ce développement durable, chacun, comme travailleur créatif, plus encore que comme consommateur responsable et citoyen actif, devrait agir non seulement dans ce sens mais aussi avec une efficacité accrue. Et le jeune devrait pour cela avoir acquis à l’école des compétences de base qui sont les mêmes pour la mise en œuvre de nombreuses finalités. Les ONG attachées à différentes problématiques - et les administrations de différentes politiques sectorielles - pourraient, ensemble, apporter une contribution utile à la définition - qui n’est pas encore satisfaisante - de ces compétences communes [12].
Il est trop tôt pour préciser comment s’articuleraient finalement les rôles des différentes institutions éducatives. Mais il est temps de faire quelques pas dans ces trois voies complémentaires.

notes:

[1Idée = Information et diffusion en éducation à l’environnement, édite le trimestriel Symbioses, Réseau Idée

[2NTPP = nombre total de périodes professeur

[3L’éducation au développement en milieu scolaire : quelles pratiques aujourd’hui ?, fiche 2003/1, Les ateliers de l’éducation au développement du RED Nord-Sud (disponible sur demande chez CGé)

[4Pierre WAAUB, Le « quatre-quart » humanitaire, Antipodes n°164, mars 2004

[5Jacques CORNET, Quels projets en éducation au développement à l’école ? Vous reprendrez bien un peu de Sud ? Actes d’un forum de « Annoncer la couleur »

[6Un Réseau d’éducation au développement (RED) a réuni pendant quelques années des ONG et des organisations d’éducation permanente, dont CGé.

[7Dossier « Externalisation », Traces, n ° 165 (mars 2004)

[8Neutralité active : Il semblerait que l’école officielle se ferme encore souvent aux ONG, au nom d’une neutralité passive, tandis que l’école catholique, ignorant volontiers la neutralité qu’implique son financement public, tend à s’ouvrir sans distance critique aux interventions des ONG.

[9Dossier « Pédagogie institutionnelle », Échec à l’échec, n°152 et 153, déc 2001 et janv. 2002

[10Dossier « Hétérogénéité », Traces, n ° 168

[11E. MOMMEN, A l’école avec les autres, en association avec les mêmes, Échec à l’échec, n° 131, décembre 1998

[12E. MOMMEN, Les contenus d’enseignement posent problème. Militer pour quoi ? Négocier comment ? in CGE, Apprendre la démocratie et la vivre à l’école, Ed. Labor, 1995