« Pour être ministre de l’Enseignement, il faut être volontaire et ne pas avoir peur des échéances électorales. »Ces mots ponctuent les propos de Maria ARENA, qui fait un retour sur son mandat au gouvernement et pose un regard prospectif sur l’enseignement aujourd’hui.
Lorsque j’ai commencé mon mandat de ministre, on sortait des Assises de l’éducation et d’une évaluation de l’enseignement qui avait démontré les inégalités de notre système d’enseignement. Nous avons commencé par établir un « catalogue » de mesures à adopter pour rendre notre enseignement plus efficace et plus juste. Pendant six mois, nous avons fait le tour de la Communauté française et demandé aux enseignants, aux syndicats, aux parents quelles étaient leurs priorités. De ce catalogue, nous avons alors extrait cinquante mesures prioritaires à mettre en place durant notre législature. Ces mesures ont donc été discutées, négociées avec les acteurs de terrain et à l’intérieur du gouvernement, c’est pourquoi, elles étaient bien pour nous un « Contrat pour l’école ».
Plus de 90 % des mesures qui avaient été annoncées sont entrées en vigueur. Nous avions à cœur que ce qui était annoncé se réalise, et nous avons mis tous les moyens en œuvre pour le garantir. C’est en ce sens que nous ne pouvions pas risquer une rupture au sein du gouvernement, qui aurait bloqué le processus.
Nous avons cependant rencontré une difficulté de taille. Avant de travailler sur l’accès à tous dans toutes les écoles, il fallait investir dans les écoles les plus en difficulté. Mais, la deuxième année de la législature, nous n’avions pas encore obtenu les espaces budgétaires suffisants pour mettre en place le décret Financement différencié des écoles. Celui-ci n’a pu voir le jour qu’en fin de législature, alors qu’il aurait dû précéder les autres avancées.
En inversant l’ordre des décrets, nous aurions pu affirmer clairement que, à nos yeux, la qualité de l’enseignement pour tous ne dépendait pas uniquement d’une autre répartition de la population, mais passait aussi par l’investissement de moyens supplémentaires substantiels.
La première mesure que nous avons prise est tout de même de mettre mille profs supplémentaires dans le primaire, accompagnés de changements de type qualitatif autour des méthodes, des manuels… Ces mille profs étaient une garantie politique de notre volonté de mettre les moyens dans l’enseignement. Parce les enseignants avaient toujours dans le ventre les réformes des années ‘90. Leur malaise était palpable, à juste titre. Mais l’espace budgétaire n’a pas permis de faire les choses autrement. Dès lors, non seulement des parents, mais aussi beaucoup d’enseignants se sont soulevés contre le décret Inscription : « Donnez-nous d’abord de l’argent ». Pour ma part, le principe de non-discrimination dans un enseignement public, financé par les impôts, est plus que légitime. Chez nous, on assiste à des systèmes d’apartheid de l’enseignement, à Bruxelles en particulier. Et c’est pire que l’apartheid parce que cette discrimination est informelle, on ne peut pas lutter officiellement contre elle. Je pense que tout aurait été différent si nous avions eu les enseignants à nos côtés dans cette bataille.
Cependant, même si nous avions pu établir le scénario idéal, le décret Inscription, sous n’importe quelle forme, aurait été un clash. Ceux qui ont réagi le plus fort sont, pour la plupart, des gens qui ne connaissaient rien des difficultés des écoles dites « en D+ », ni du travail avec les populations les plus fragilisées. Ils avaient pour seul but de garantir leurs privilèges et leur blocage était inévitable.
Au départ, nous avons consacré tous les moyens au fondamental. À quoi bon aller toucher le secondaire si les failles existent dès le début ? Il faut donc commencer par l’école maternelle. À mes yeux, on ne peut pas continuer à donner les mêmes moyens à une école avec une population privilégiée et à une école avec une population socialement défavorisée dont les parents ne parlent pas la langue de l’école.
Il va falloir investir dans les écoles primaires des communes les plus défavorisées, pour pouvoir prendre en compte les différences de population qu’elles rencontrent. Ici, je revois mon approche première : ce n’est pas nécessairement en favorisant la mixité qu’on arrivera à lutter contre l’échec scolaire massif des populations fragilisées. La priorité est de travailler cette question de la différence, d’investir dans l’apprentissage de la langue et dans la différenciation pédagogique. L’enjeu se trouve là. Après, dans le secondaire, on peut aller vers la mixité, parce que tout le monde sortira d’une école de qualité.
On m’a demandé de quitter le poste parce qu’il y avait une telle crispation qu’il était clair que ça n’irait plus… Pour moi, ce qui comptait, c’est que le projet avance. Si ma personne leur posait problème, ce n’était pas grave. Christian DUPONT a vraiment pris le relai et toutes les équipes du cabinet sont restées en place. Christian DUPONT a un profil enseignant et est une personne qui calme : ces atouts ont permis de poursuivre la mise en place des mesures et c’était précieux.
Il faut rappeler que, dans l’enseignement, on ne peut mesurer les résultats des modifications qu’à des échéances assez longues. Toute la difficulté réside dans la différence fondamentale entre le temps politique et celui de l’école. Il faut donc être très rigoureux sur la mesure des effets à l’aide d’indicateurs fiables.
Le constat aujourd’hui est que l’écart entre les résultats des populations « élites », qui ont toujours été performantes dans notre système, et les populations « en difficulté » diminuent, sans que les résultats des plus forts ne reculent. Ce dernier aspect a une importance stratégique, pour que personne ne se sente sacrifié : il est toujours plus efficace de fédérer que de diviser quand on veut faire avancer les choses. Personnellement, j’estime que, si un élève qui a toujours fait 9 fait un jour 8,5, ce n’est pas grave… Mais dire cela m’a fait passer pour la « communiste », la casseuse d’élites…
L’augmentation de nos moyennes, notamment dans les rapports PISA, est donc dû à l’augmentation des résultats des populations les plus défavorisées de notre enseignement. Mais cette avancée est fragile. On ne peut pas se reposer sur la mise en place des cinquante mesures. Il faut aller plus loin. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on est dans une situation budgétairement difficile à tous les niveaux : fédéral, communautaire, régional, communal. J’ai peur que ce soit dans les structures de l’enseignement qu’on fasse des coupes, puisqu’elles forment 90 % du budget de la Communauté. Pour éviter un recul de l’encadrement, les fins de carrière sont notamment à négocier finement, avec créativité et sans négliger les réalités vécues par les enseignants. Il faut savoir que les fins de carrière à 55 ans, c’est un cout d’environ 200 millions d’euros par an. S’il faut faire des restrictions, cela doit impérativement se faire sans que le nombre d’élèves par professeur ne soit touché.
Le travail est donc loin d’être terminé. Les tendances sont très vite renversées dans l’enseignement. Aujourd’hui, je ne suis pas satisfaite de la qualité de notre enseignement. Je pense qu’il faut encore et encore et encore faire plus.
Il est aussi possible d’être créatif en matière de bâtiments scolaires. Il y a urgence pour les nouvelles écoles à créer à Bruxelles, mais aussi dans la lutte contre l’insalubrité de beaucoup d’écoles. L’état des écoles est parfois hallucinant. En 2004, quand je suis entrée en poste, certaines écoles se chauffaient encore au charbon ! 25 % du parc immobilier de la Communauté était alors en condition d’insalubrité.
Bien sûr, l’égalité n’est pas dans l’air du temps. Mais le rôle du politique est aussi de convaincre une population de ne pas aller dans le sens naturel qu’elle prendrait. Nous avons aussi à orienter le courant. Pour cela, nous devons prendre en compte les peurs des gens, leurs fragilités. Nous devons aller vers les gens avec des argumentaires constructifs, pour que chacun puisse comprendre que le progrès social est bon pour une société.
Beaucoup d’enseignants sont non seulement dépolitisés, mais aussi antipolitiques profonds. Ils défient le politique et ont souvent l’impression que le politique va leur faire du mal. Face à cette méfiance, il y a vraiment une confiance à rétablir. La position des enseignants est difficile et nous voulons les soutenir. Quand je suis allée dans les écoles, le contact s’est très bien établi. Mais on ne peut pas rencontrer tous les enseignants et expliquer à chacun ce qu’on veut faire et comment on veut le faire. Les médias ont donc un poids particulièrement important. Quelques mots dans un JT sont parfois capables de détricoter des semaines de patiente construction et font dire aux politiques le contraire de ce qu’ils ont voulu dire. Il suffit de voir comment le Contrat pour l’école a été traité dans les journaux, à la radio et à la télévision.
Pour être ministre de l’Enseignement, il faut de un être volontaire, de deux ne pas avoir peur des échéances électorales. Je ne connais pas un homme ou une femme politique qui ait fait bouger quelque chose dans l’enseignement et en soit sorti indemne, en Belgique ou ailleurs.