Lectrice francophone de la première génération

Enfant de la première génération, très vite propulsée par ses proches au rang de destin d’exception selon l’expression de Bourdieu, voici le récit sans détour d’une amoureuse des livres… Réalité ou fiction ?

Les prémices d’une addiction

Née de parents immigrés dans un pays industrialisé, je me suis vite trouvée dans la nécessité de m’intégrer à une culture littéraire autre que celle de leurs ancêtres. Les histoires et autres contes du monde arabe ne me parvinrent que par l’acheminement naturel de toute tradition orale. Baignée très tôt dans un habitus littéraire peu commun au milieu duquel je suis issue, j’ai pu -grâce à des parents qui m’ont sans cesse encouragée à me dépasser- m’acculturer à la littérature francophone. Conscients de l’utilité de leur langue d’adoption, ils n’ont cessé de prôner à la maison l’inconditionnel besoin de ce capital culturel francophone pour tout individu qui voudrait percer, en temps voulu, dans la société. J’y percevais bien entendu le message personnel escompté. Partant avec un avantage sur beaucoup, à savoir le discours unificateur entre l’école et la maison, j’ai -depuis que je sais lire- dévoré tout livre qui se trouvait sur mon passage.
À la maison, le discours que tiennent les proches est fondamental dans l’amour ou le désamour du livre. Comme écrit plus haut, pour ma part, je fus bénie. Je bénéficiais des livres lus par les plus grands et ramenés à la maison par mes parents. En parallèle à ce cocon familial propice aux livres, à l’école, l’entrée dans l’apprentissage de la lecture s’est fait grâce aux livres. Mon institutrice utilisait les livres de la collection Dinomir Le Géant ce qui n’a pas fait de tort à l’amour de l’objet livre présent depuis. De plus, j’ai eu la chance d’avoir très tôt pour amie une bibliothécaire. Cela facilite en effet l’épanouissement littéraire et permet d’être tenu au courant des livres à ne pas laisser passer.

En milieu scolaire

En secondaire, combien de jeunes n’ont-ils pas décroché des cours de français à cause du professeur trop peu intéressant ou de son cours soporifique ? Combien de jeunes n’ont-ils pas préféré sécher les cours que d’assister à une énumération sans fin de titres de livres, d’auteurs et de dates de parution ? Fort heureusement, j’ai eu quelques rares enseignants qui partageaient un amour réel pour la littérature. J’ai pu me dépasser et approfondir ce penchant tant pour les écrits des grands auteurs, que des moins grands. Je me souviens de mes camarades de classe qui n’étaient pas très enchantés quand le professeur nous invitait gaiement à lire une nouvelle œuvre. Pendant que ces derniers pestaient à l’idée d’avoir bientôt une interrogation écrite sur vingt, moi, je me réjouissais de découvrir un nouveau style, de nouveaux mots assemblés qui formeront un nouvel univers dans lequel je me plongeais à corps perdu. Quel décalage me direz-vous… Mais ce décalage reflète bien l’intérêt qui est porté aux livres à notre époque par les jeunes, je ne dis pas tous les jeunes -loin de moi l’idée de vouloir faire une généralisation ! Mais les jeunes qui ne trouvent aucun intérêt au plaisir de lire ne pourront jamais être forcés à y trouver un quelconque contentement. Pour ma part, ce contentement, je l’ai trouvé très tôt et j’y ai aussi trouvé une continuité dans d’autres domaines tels le théâtre, le cinéma, la musique et l’art. La littérature ouvre d’autres perspectives aussi infinies que constructrices.
À ce jour, je me sens tel un poisson dans l’eau quand il s’agit de littérature… francophone. Il n’en est hélas pas le cas pour les écrits en langue arabe. Je dois tristement l’avouer, mais de la littérature arabe, je ne connais que les écrits traduits en français. C’est un comble n’est-ce pas que de devoir recourir à ma langue d’adoption pour comprendre les oeuvres de mes ancêtres…

Littérature : apprendre ou à laisser ?

Apprendre, voilà une chose que m’a toujours interpelée. C’est entre autres, l’une des raisons pour lesquelles je suis aujourd’hui institutrice en primaire. L’enseignement est un métier qui, de fait, soulève de multiples questions. Comment peut-on diminuer l’écart existant entre les familles et l’école ? La mise en contact précoce avec l’objet livre serait ou non un facteur facilitant l’acculturation ? Tant de questions qui ne trouveront pas de réponses immédiatement, mais qui permettent une ouverture d’esprit quant aux livres proposés aux enfants, quant aux activités à mener avec eux, quant à l’exemple à leur donner… L’amour que je porte à la littérature n’a pas de genre, cet amour englobe les Camus, Lévy et autres Gide, mais s’étend aussi aux livres pour enfants. En effet, la profusion actuelle des albums pour enfants permet de faire passer des messages à ces derniers aussi jeunes soient ils.

L’amour des livres n’a pas d’âge !

Enfin, comme le dit très justement Jules Renard, « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux » qu’ils soient écrits en français ou en arabe, qu’ils soient renommés ou inconnus, qu’ils soient primés ou inaperçus, tant de livres qui ont une histoire, qui ont un parcours, tel le parcours qui m’a permis de coucher humblement ces quelques mots sur le papier et de partager des bribes de souvenirs littéraires et culturels.