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La même semaine, ces 18 et 19 février, les citoyens ont pu découvrir dans la presse deux faits majeurs concernant la petite enfance : la décision de la Chambre de rendre la scolarité obligatoire dès 5 ans et la publication par la Fondation Roi Baudouin des résultats et recommandations issus d’une solide recherche menée de 2012 à 2018.

1989-2019
En 1989, j’écrivais dans La Libre : « Dès l’école maternelle peut s’enclencher un processus de décrochage scolaire : si les enfants et les familles (surtout celles des milieux populaires) ne se sentent pas reconnus ; si tous les enfants ne perçoivent par chez les maîtres une immense confiance en leurs possibilités à tous ; si l’école ne s’ouvre pas et ne collabore pas avec tous les partenaires du quartier ; si les mamans (et les papas) n’ont pas droit de cité en classe ; si … c’est le décrochage des familles et des mômes ! ». C’était au terme de 2 journées de travail organisées par CGé avec des instits, des inspectrices, des profs d’écoles normales, des puéricultrices, des travailleurs sociaux, des parents. Sur le thème « Maternelles et milieux populaires ». Toutes et tous constataient que le chantier était complexe et appelait des changements significatifs.

2019 : quel plaisir de découvrir, 30 ans plus tard, la publication de la FRB « Voir l’école maternelle en GRAND ! ». Sous-titre très important : « Des compétences clé pour mieux prendre en compte la précarité et la diversité ». Une synthèse de 6 années de travail, de réflexions, de formations et d’expérimentations avec les formateurs de 9 Hautes écoles et leurs partenaires. L’objectif est clairement annoncé : « Les difficultés scolaires, en grande partie liées à l’origine sociale et culturelle des élèves, se manifestent très tôt. Un enjeu essentiel consiste donc à éviter que, dès l’entrée en maternelle, les inégalités sociales se transforment en inégalités scolaires ».

Encore 2019 : le vote unanime ( !) à la Chambre de la loi abaissant l’âge de l’obligation scolaire à 5 ans pour favoriser la socialisation et la maîtrise de la langue d’apprentissage. On peut s’en réjouir, mais le résultat ne sera pas automatique. Comme le souligne la FRB, c’est « à condition d’investir davantage dans la qualité de l’accueil et de l’accompagnement des enfants, en particulier ceux qui proviennent de familles précarisées ou culturellement éloignées de l’école. Cette question est cruciale ». Oui, cruciale ! Et souvent oubliée par le politique.

Avec optimisme, je considère qu’il s’agit de fameux pas en avant. Mais il aura fallu plus de 30 ans de colloques, séminaires, déclarations d’intentions, promesses électorales pour en arriver là. Sans oublier que le formidable travail de la FRB ne fait pas force de loi !

Une « bible »
Les 200 pages de « Voir l’école maternelle en grand ! » sont le produit d’un travail collaboratif entre de vrais acteurs de la formation initiale, d’instits-maîtres de stages, de chercheurs universitaires et d’acteurs de la lutte contre la précarité. Les auteurs ont dégagé 7 compétences pour « garantir à tous les enfants des chances égales de développement et d’apprentissage » (1). La place manque pour les citer toutes et la langue est assez technique. Ce qui est normal quand on se veut efficace et opérationnel. Je retiens la première compétence et ses déclinaisons : « Assumer la responsabilité sociale de l’école » qui passe par « « (re)connaître la pauvreté et la diversité sociale et culturelle », « comprendre les mécanismes de reproduction des inégalités », « aborder positivement la diversité ».

D’autres compétences sont plus attendues, comme « développer les compétences langagières des enfants », « observer les stratégies et les démarches cognitives des enfants », « expliciter les apprentissages », etc. Au total une bonne trentaine d’items qui touchent à l’ensemble des activités de l’école maternelle et des cours donnés dans les Hautes écoles.

C’est un des intérêts majeurs du document que d’illustrer les compétences par de nombreux exemples d’activités menées avec les futurs enseignants ou en équipes de formateurs. Un formateur explique comment il a transformé son cours de français. Une équipe s’est rendue à Pistoia pour voir comment se concrétisait là-bas l’idée « d’enfant compétent » et les partenariats avec la ville. D’autres ont organisé des rencontres avec Christine Mahy et des représentants d’ATD-Quart Monde, des acteurs de la lutte contre la pauvreté chez nous. Beaucoup d’innovations, de prises de conscience et de pratiques prometteuses. En témoignent quelques réactions-réflexions : « Qu’est ce qui change dans votre représentation ? L’énorme importance de l’aspect relationnel (avec les enfants et les parents) », « L’équipe est désormais plus consciente de considérer une autre norme que celle de l’élève ‘standard’ façonné par notre propre expérience souvent positive », « Etre en face de personnes qui ont du vécu, ça nous ouvre vraiment les yeux, ça nous permet de faire de vrais liens entre théorie et pratique, ça nous rassure sur notre travail ».

Quels suivis politiques ?
Les recommandations finales n’oublient pas les politiques : « …elles s’adressent à toutes celles et tous ceux qui seront prochainement chargé.e.s de la mise en œuvre de la réforme de la formation initiale … et aux responsables politiques actifs sur les questions d’éducation, de petite enfance et de lutte contre la pauvreté ». Il est bienvenu d’affirmer avec force « Enseigner en maternelle est un métier complexe qui exige des compétences poussées et qui mérite davantage de valorisation et de reconnaissance de la part de la société ». Mais c’est loin d’être suffisant.

Il faudra que le politique rende possible la mise en œuvre dans toutes les écoles et toutes les classes maternelles du formidable programme proposé par la FRB. Cela passera par un réaménagement des conditions et donc du temps de travail des personnels concernés. En effet, vu la complexité et l’exigence (re)découvertes du métier (en particulier en milieu défavorisé), il n’est pas question d’imaginer que la formation initiale suffise. Même pour celles et ceux qui auront profité (si tout va bien) des nouveaux cursus inspirés du travail de la FRB, il sera indispensable de prévoir des modules d’approfondissement en formation continuée. Ou des périodes sabbatiques durant lesquelles on travaille avec d’autres, en écoles ou hors écoles. Dans le temps de travail, il faudra prévoir pas mal de temps (bien plus qu’ailleurs) consacrés à des rencontres avec les parents et à leur accrochage scolaire. Bien sûr des groupas comptant maximum 15 enfants. Sans oublier de rencontrer aussi les partenaires du quartier. En 1989 j’écrivais « il faudra modifier la définition de la charge des personnels qui travaillent en milieux populaires ». Oui, « modifier » et j’ajouterais « profondément » ! Et sur ce plan, tout reste à faire.
A vos marques, Mesdames et Messieurs les politiques ! Que les enfants, les familles, la société ne soient plus pendant 30 ans spectatrices ou victimes de mesurettes et d’un manque de courage politique. Il ne s’agit pas seulement d’annoncer 1.000 emplois supplémentaires ou l’abaissement de l’âge de la scolarité. Il s’agit de la qualité du travail. Les projets-pilotes menés par la FRB sont porteurs d’espoirs. A condition que des moyens supplémentaires conséquents soient investis dans le secteur de l’enseignement maternel (en milieu précaire d’abord) et dans la lutte contre la pauvreté à tous niveaux.
Le moment est venu de concrétiser et pérenniser les avancées. Cela passe par des programmes électoraux audacieux, par des contrats de législature à la hauteur des enjeux et par des décrets à prendre sans tarder par les nouveaux élus.