Sous-directrice d’une école technique, j’aurais aimé vous parler des projets des classes, des activités qui font que les élèves ont envie de venir à l’école (ou un peu moins de mal), du temps qu’il faut pour (oser) apprendre. Mais parler de la CPU, c’est oublier pédagogie et projets, refermer l’école sur la formation professionnelle, et parler de (dés) organisation, de découpages en unités de formation, de validation fréquente des acquis, d’innombrables papiers à remplir, de casse-tête horaire et d’épuisement de tous, profs et élèves.
I l n’y a pas si longtemps, les sections dites qualifiantes (les techniques de qualification et les professionnelles) avaient été profondément transformées par l’obligation imposée de certifier les compétences dans des épreuves
intégrées (les SIPS [1]), chez nous, 4 épreuve sur le 3e degré [2]. Ces épreuves intégrées évaluent les compétences décrites dans le profil du métier, définies par le SFMQ, les mêmes pour toutes les écoles et tous les réseaux.
Autre changement de taille : il faut désormais avoir décroché son CQ6 (la qualification) pour pouvoir être délibéré pour le CESS, ce que viennent réellement chercher les élèves qui s’inscrivent dans notre école...
CPU : une couche en plus ?
Ce changement assez radical avait déjà demandé un travail d’équipe considérable. À ce mode d’évaluation par épreuves intégrées se greffe désormais l’expérience CPU, pour quelques options seulement — dans mon école, la section esthéticien(ne).
Hors CPU, les équipes avaient pensé les évaluations et la progression dans le degré, en s’appuyant sur leur expérience, en connaissant les passages difficiles et les points qu’il valait mieux ne pas traiter en début de cycle, les compétences sur lesquelles il faudrait repasser à plusieurs reprises, en les rendant plus complexes à chaque fois. C’est l’équipe qui avait choisi sa manière d’aborder les compétences. Le cadre était très précis, mais les moyens pour y arriver pouvaient être multiples. Des outils proposés par la Commission des outils d’évaluation pouvaient servir d’appui.
« En quoi cela va-t-il aider nos élèves
à mieux apprendre ? »
Avec la CPU, nous avons reçu un référentiel « métier et compétences à maitriser », comme dans les autres sections. Mais le référentiel est découpé en unités d’acquis d’apprentissage, dont l’ordre est imposé (une interversion est cependant possible) avec timing précisé, grilles d’évaluation et répartition des points imposés aussi [3]. Plus le temps de prendre beaucoup de chemins de traverse pour arriver à la formation d’un(e) esthéticien(ne) : il faut emprunter le chemin unique et fermé, tel que prévu par les grilles.
Sur le papier, cela fait : pensé, balisé, imparable. Les SFMQ (mais pas en esthétique), ECVET, UAA convoquent l’expertise et légitiment le document. Les enseignants n’auraient plus qu’à exécuter...
Oublier la réalité d’une classe d’ados ?
J’ai dû rencontrer des étudiants amenés par leurs enseignants. Sarah, bonne élève dans son option « agent en mode et création », veut tout laisser tomber après son stage, parce que ce métier-là, ce n’est pas pour elle, il faut trop d’argent pour s’installer. Ou Kevin, option « agent en comptabilité », qui malgré ses 18 ans, n’a toujours pas compris le système d’évaluation distinguant le formatif du certificatif, et refuse de réaliser un travail puisqu’il ne compte pas... Telle classe de garçons, connait des problèmes de discipline et n’a pas la maturité suffisante pour sortir du système général et réussir dans un autre qui exige beaucoup plus d’autonomie et d’autodiscipline où seules les épreuves intégrées (ou les UAA, en CPU) « comptent ».
Les enseignants se sentent bien démunis pour mobiliser les énergies à longue « distance » dans des groupes qui sont arrivés là justement parce qu’ils maitrisaient mal l’organisation de leur travail. La constante référence à un métier — qu’ils n’ont pas nécessairement encore choisi — n’a pas l’effet magique escompté pour mobiliser énergie et envies.
Aux inscriptions, les explications sur les chantiers du qualifiant effraient : « Quelle autre section (comprenons “non qualifiant” ») avez-vous, avec moins d’heures de math (éventuellement, avec moins d’heures de langue) ? » Une façon pour les familles de reculer devant cette perspective de se diriger vers un métier (« Et si on n’aime pas ») et de devoir satisfaire aux épreuves de la profession avant de prétendre au diplôme d’humanités.
Les options sont ainsi choisies pour la formation qu’elles proposent, pas pour le métier auquel elles prépareraient... ou alors, c’est celui des parents.
(Dés)organisation d’école
Au niveau organisationnel, la CPU coute cher en NTPP (Nombre Total de Périodes Professeur) : alors qu’on est dans les normes de l’enseignement technique, pour 12 élèves, on a dû créer 2 groupes de pratique, pour mieux suivre les élèves, surtout les nouvelles (en vue d’assurer la fameuse prévention/remédiation indispensable au nouveau système), et maintenir une classe pour les cours généraux à 12 élèves non-CPU (là où des regroupements plus nombreux sont la norme pour ces cours), pour ne pas infliger à cette classe, des rythmes scolaires si particuliers.
Difficile aussi, dans des grilles horaires très cloisonnées, de mener encore d’autres projets, même liés au métier. Ainsi, si les 5e et 6e sont parties à Paris, au salon de l’esthétique, et ont prolongé leur voyage, comme d’autres classes, en voyage scolaire culturel, cela a été au prix du stress des enseignantes de pratique pour toutes les heures « perdues » qui ne permettent pas de respecter le temps CPU, très segmenté.
Stress aussi des professeurs de formation générale, quand il faudra suspendre les cours pour l’épreuve « à blanc », puis pour l’épreuve de certification au mois de mars. À cette même période, pour toutes les autres options, le climat n’est pas du tout aux examens. On est plutôt dans celui des projets longs, qui se clôtureront à Pâques.
À tout cela s’ajoutent les contraintes de directives tardives ! Suite aux inscriptions, à la rentrée, l’accueil des élèves et les explications sur le déroulement de l’année, voilà qu’arrive une circulaire (19/9/12) qui évoque la procédure de recours interne contre les décisions du jury de qualification et la possibilité de changer d’option (ou d’école) jusqu’au 15 novembre, en 5e ! 15 novembre... Le temps, certes, de se dire qu’on s’est trompé d’orientation et qu’on peut essayer autre chose, mais quelle entrée dans « autre chose », quand les premières épreuves intégrées ont lieu en décembre ?
La réévaluation permanente et toutes ces choses
La confection des horaires des épreuves de qualification est elle aussi un casse-tête, puisqu’il faut mettre ensemble, 4 fois sur le degré (pour les sections ne fonctionnant qu’avec les SIPS, et 6 fois, avec celles en CPU), une équipe dont les membres travaillent dans plusieurs options ou plusieurs écoles. Ne parlons même pas des jurys externes à trouver : la circulaire de mars fait une prudente et réaliste marche arrière. On y admet que le jury extérieur, c’est mieux, mais n’est obligatoire que pour la validation finale…
De même les horaires d’occupation des locaux (et du matériel) en esthétique se compliquent encore (outre l’horaire mi-temps d’une enseignante qui travaille dans une autre école, et le temps partiel d’une jeune maman). Puisque les UAA travaillent un seul type de soin pendant toute l’unité, il faut bloquer les salles de ce soin (ex. : visage ou corps) pendant toute l’unité, puis elles ne seront plus utilisées pendant le reste de l’année ! Les rotations de locaux sur l’année permettaient une répartition plus judicieuse des salles et du matériel !
Vu les difficultés, la tentation sera grande de limiter le nombre d’intervenants et de confier plus d’heures à un seul professeur. Et tant pis pour la diversité des apports et des points de vue ! Et pourvu que le professeur ne soit pas malade ou enceinte !
Initiative : zéro
Le travail des enseignants de cours d’option qualifiante est ainsi profondément modifié, et aucun n’en trouve son travail au quotidien facilité. En quoi cela va-t-il aider nos élèves à mieux apprendre ?
En CPU, les UAA, sont évaluées selon les grilles CPU où la répartition des points est fixée au point près, et l’autonomie des profs réduite à zéro.
Cherchez aussi, au passage, où sont les sciences (pourtant, 3 heures par semaine, dans l’option). C’est d’ailleurs le lot de tous les cours techniques, à savoir les cours théoriques liés aux options. Ils ne trouvent pas leur place dans les standards d’évaluation, n’apparaissant pas dans la certification. Combien de temps encore pourront-ils jouer leur rôle de cours qui aident à réfléchir à ce qu’on apprend, qui aident à prendre distance ? Revaloriser le qualifiant, qu’ils disaient !
Bref, tout le monde se sent sous pression, en surcharge de travail, à compléter des grilles et démultiplier
les moments d’évaluation. Même si l’école a toujours essayé de comprendre le sens des réformes et de se les approprier [4], il y a un gout amer ; on se démène pour peu de résultats, voire on scie la branche sur laquelle on est assis.
Entretemps, les élèves en décrochage, aux unités validées ou non, nous quittent quand même, mais avec la bénédiction du système, cette fois... Ils ont quitté l’école, ils ont quitté les statistiques de l’échec scolaire, certes, mais qu’y ont-ils gagné ?
PS Depuis la rédaction de cet article, un nouveau référentiel provisoire est arrivé. Il nous oblige une fois de plus à tout réorganiser. Désormais, il faudra mettre en place non plus 6, mais 10 évaluations intermédiaires. La suite au prochain numéro ?
[1] Pour tous ces acronymes, lire le glossaire en page 5.
[2] Avant, la qualification se décidait lors d’une épreuve finale, devant un jury.
[3] Lire un extrait de ce document en page 5.
[4] De nombreuses journées pédagogiques de travail collectif y ont été consacrées, sur base des journées d’information destinées à l’équipe
de direction. Cette année, il n’y a plus eu d’informations, sauf au travers des visites d’inspection.