Ils sont en 2e année primaire, dans une école en discrimination positive [1]. Ils peuvent lire, tous, mais avec des niveaux de maîtrise très différents. Ils ont tous, et là avec la même intensité, envie de lire des livres.
Nous sommes après Pâques et nous entamons la lecture du livre de Jean Claverie : « La batterie de Théophile » [2].
1e étape : pour donner envie de lire… interdire de lire
L’annonce a été faite : nous allons lire un nouveau livre ! Lequel ? Vous ne le saurez pas aujourd’hui ! Protestations ! Je distribue une photocopie de la quatrième de couverture et donne la consigne : « Vous lisez ce petit texte qui se trouve à l’arrière du livre ; vous inventez son titre et sa couverture ». Après un moment de travail individuel, je groupe les enfants par quatre ; chacun présente sa production et la justifie en ayant recours au résumé. Ils repèrent ainsi les éléments significatifs de ce résumé. Certains enfants demandent à d’autres des précisions de vocabulaire : « C’est quoi un boa ? C’est un animal ? Et la jungle, t’as fait quoi, toi pour la dessiner ? »
Avant de clore l’activité, les couvertures imaginées par les enfants et sur lesquelles ils ont recopié leur titre sont disposées au coin tapis. Nous les regardons en essayant d’y voir des différences et des ressemblances.
2e étape : lire… et entendre l’écrit
Le matin, c’est l’effervescence : « Véronique, c’est aujourd’hui que tu nous donnes les livres ? ». Chaque enfant reçoit alors un exemplaire du livre. Pas besoin de donner de consigne… Tous lisent le titre et commentent la couverture. Des questions fusent : « C’est quoi une batterie ? Et ce bâton, on n’en parle pas dans le résumé, c’est quoi ? ». Je me garde bien d’y répondre mais je les note au tableau pour pouvoir y revenir plus tard.
Les enfants tournent ensuite les pages jusqu’aux premières images. Les mots « DONG DONG » en caractères gras attirent l’attention des enfants. Beaucoup suggèrent spontanément l’origine de ce bruit : « C’est ce que tient Théophile en mains ». Je confirme et je donne la consigne : « Repérez dans l’image tout ce qui fait du bruit et imitez ce bruit. » La classe se remplit d’un joli tintamarre : les enfants imitent le bruit d’un tracteur, d’une moto, d’un bébé qui pleure. Je leur donne des explications sur la femme qui pile, au second plan.
Retour au calme… Je demande : « Essayez d’écrire ces bruits ». Ils saisissent alors leur farde de « sons » et cherchent avec enthousiasme comment écrire ce qu’ils disent… Après un temps de travail individuel, j’écris les propositions des enfants au tableau et je me lance avec eux dans un intéressant travail de correspondance graphème/phonème, dans un contexte différent de l’apprentissage de la lecture. Avant de terminer l’activité par la lecture du texte, je montre aux enfants des illustrations de contrebasse et je leur fais entendre les cordes à vide [3]... Mais Véronique, ça fait vraiment « DONG DONG » !
3e, 4e et 5e étapes : onomato quoi… ? Onomatopée !
Le lendemain, et chaque jour, tant que le livre n’est pas terminé, nous lisons un épisode de l’histoire. À chaque nouvelle page, les enfants sont interpelés par une image et un son, avant même d’avoir pris connaissance du texte. Chaque nouveau son découvert est caractérisé par une typographie qui lui est propre, conférant ainsi à ce livre une composition très visuelle, particulièrement bien adaptée à de jeunes lecteurs.
Ils découvriront ainsi un crocodile qui fait « KLEK » transformé en caisse claire, un boa qui fait « KSISSS » transformé en cymbale et un hippopotame qui fait « TOUB » métamorphosé en grosse caisse.
Une fois les trois épisodes lus, les enfants seront capables d’identifier une batterie. Ils pourront même en jouer sur un site qui propose une batterie virtuelle [4]. Je leur demanderai encore de créer des onomatopées pour différents instruments de musique, en soignant la typographie pour indiquer des sons longs ou courts, faibles ou forts.
6e étape : quelle fin ?
Pour que la découverte et la lecture de l’album soient un réel moment collectif et un temps d’émotions partagées, j’ai interdit que les albums rentrent à la maison. J’ai aussi exigé que les enfants ne tournent les pages qu’à ma demande. Après avoir lu les trois épisodes autour des animaux, épisodes mentionnés dans le résumé lu à la première étape, les enfants ont dû imaginer la suite. Une vive discussion s’est engagée entre les enfants qui voulaient encore ajouter un épisode sur un animal et ceux qui argumentaient qu’il fallait autre chose puisque seuls trois animaux étaient mentionnés dans le résumé. D’autres inventaient une suite qui pouvait être une autre histoire à elle seule. L’apparition d’un saxophoniste sur la page qui venait d’être tournée suscita encore bien des hypothèses : « Qui est-ce monsieur ? Son papa ? Un médecin ? Un musicien ? » . Ces hypothèses furent vérifiées par la lecture de la fin de l’album.
Enfin, pour clôturer l’exploitation de cet album, les enfants ont élaboré plusieurs mises en voix, qui, sans même une présentation, les a non seulement amusés mais aussi particulièrement valorisés tant le résultat était étonnant. Quatre groupes d’enfants se sont donc attelés à lire un épisode de l’album. Trois enfants de chaque groupe se répartissent la lecture du texte : un pour la narration, un pour le héros du livre et un pour l’animal. Le reste du groupe effectue des effets vocaux, à partir d’onomatopées.
Beaucoup d’autres activités sont possibles à partir de cet album : création d’instruments de musique, écriture d’un épisode supplémentaire, organisation d’un débat sur les thèmes du bruit, de la musique et du voisinage… et bien d’autres, décrites dans le merveilleux petit livre malheureusement épuisé (mais peut-être le trouverez-vous chez un bouquiniste) de Marie-Hélène Porcar [5].
[1] Pour le bon déroulement de cette démarche, il est préférable de disposer d’un album par enfant et d’un ordinateur en classe… Oui, c’est aussi possible en discrimination positive !
[2] Jean Claverie, La batterie de Théophile, Gallimard-Jeunesse.
[3] Pour entendre les cordes de la contrebasse à vide : http://doublebass.website.free.fr/instru.php.
[4] Une batterie virtuelle : http://lamachineabruit.lab11.be/batterie-virtuelle.html.
[5] Marie-Hélène Porcar, Guide pour l’enseignant : une analyse de « La Batterie de Théophile », Armand Colin, collection Tous en classe avec.